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Presquevoix...
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16 juillet 2013

Duo

Aujourd'hui, duo de juillet avec Caro-carito du blog les heures de coton. Les consignes étaient les suivantes : utiliser cette phrase de Christian Bobin - Les jambes de vingt ans sont faites  pour aller au bout du monde.  Tout au moins je le croyais - et nous inspirer de cette image.

Ci-dessous, vous pouvez lire son texte ; quant au mien, il  est sur son blog.

 

Paris, juillet 2013

Un pas devant moi

Je l’ai toujours connu et, en même temps, je ne le connais pas vraiment. Nous avons grandi côte à côte. Un seul mur partagé par nos maisons mitoyennes, un grillage vert entre deux rectangles de pelouse traçait une limite fragile entre nous. Une frontière que brisait l’ombre du vieux prunier.

Je le suivais partout dans sa course jamais interrompue : le long de notre rue, de la maternelle au lycée, sur les bancs du stade où il lançait un javelot, toujours plus loin. Un pas derrière lui quand il me traîna dans ma première boum. Et aussi plus tard quand je faillis le planter là, au milieu du trottoir, avant de le suivre dans cette soirée embuée de fumée de cigarettes. Ce soir-là et d’autres par la suite, au cours desquels son visage émergeait, souriant, rieur. Deux yeux sombres, sans une once de concession. Faits pour foncer. Avertissant tous ces gens qui se révoltaient tranquillement avant de se fondre dans une vie sans relief de ne pas s’y frotter. Je restai. A ses côtés, moi l’indécise, je me découvrais étrangement vivante, en relief.

Il est parti, déroulant sa vie sans hésiter. On the road*. Je m’inscrivis à la fac la plus proche, Valenciennes. Nous ne croisions plus, ni à Noël que j’évitais, ni pendant l’été, il baroudait toujours ailleurs. Je reçus juste une carte d’anniversaire avec sa signature, un bisou chiche et cette phrase « Les jambes de vingt ans sont faites pour aller au bout du monde.  » Je décidais de l’oublier puisque tout s’efface, mais je gardais la phrase, prenant un billet pour l’Inde, puis la Hongrie… la Nouvelle-Zélande. Le bout du monde, ça fait toujours un but. Un jour, ses parents ont déménagé, les miens se sont séparés. Il est devenu un de ses visages qui apparaissent sans raison au milieu de nos pensées et sur lequel on n’arrive pas à remettre un nom, un lieu, une anecdote. Le passé nous échappe si aisément.

Je sais que sans lui, je n’aurais pas mis un pied devant l’autre, je n’aurais jamais osé avancer, décider, croire. Je serais restée là, le nez en l’air, les mains dans les poches. Les traces que les autres laissent en nous, on ne sait pas les reconnaître ou on ne veut pas vraiment. Dans cette ville d’enfance, grande comme un mouchoir de poche, nous nous sommes retrouvés, nos enfants déjà adolescents, nouveaux conjoints ou relation sur le fil de nos quarantaines. Sur nos smartphones, nos parents avaient des cheveux blancs et semblaient avoir rétréci.

Nous nous sommes retrouvés. Lui marchait toujours un pas devant moi, même si les routes deviennent plus incertaines au fil des ans. Il fut facile de fixer une heure pour se retrouver au Gibus. De s’y rendre à chaque fois que l’un de nous débarquait. Quand nous sommes entrés dans ce bar au décor identique, il a commandé une queue de singe ; le patron a rigolé : « Tiens, v’là les anciens. » « La première fois que j’en ai goûté un, j’ai détesté, mais bon ça faisait classe, non. » Je murmurai un vague assentiment, j’avais été une abonnée fidèle du lait fraise. Après était venu le moment des bières ou des cafés bien serrés en journée. Je posais ma tête contre son épaule. Comment faisions-nous pour ne pas voir que nous avions vieilli ? Nous parlions à demi-mot d’eux, famille, travail, ennuis ; nous évoquions aussi nos envies, nos rêves, nos erreurs.

Lors d’une fête chez des potes ou un cousin, ce fut l’occasion de découvrir nos conjoints, revoir nos parents. Ma tante se pencha vers moi alors que Marc allait me chercher un verre. J’eus un léger mouvement de recul, allait-on encore me demander pourquoi nous n’étions jamais sortis ensemble, me ressasser le « Vous êtes si mignons ensemble. » À 48 ans, on ne tombe pas amoureuse d’un gars qui aura toujours 16 ans.

Il y eut simplement ces mots : « Vous ne vous êtes pas vu pendant un bon moment. » J’ai hoché la tête. Comment expliquer qu’il avait toujours été là, un pas devant moi.  En me quittant et me donnant cette phrase, il avait fait que la gamine paresseuse que j’aurais pu être, nez en l’air et prête à ne rien faire, soit autre. Qu’il soit présent ou que son absence ne se tisse que de quelques mots, je lui avais toujours emboîté le pas.

 

* sur la route

Commentaires
M
Bonsoir,<br /> <br /> <br /> <br /> Très beau texte, j'avoue être admiratif. J'attendais de voir comment la phrase imposée allait être placée et je dois dire qu'elle se fond parfaitement dans le décor ! J'aime ces courts récits qui, en quelques paragraphes, nous prennent par la main et nous font entrevoir un quelqu'un, une rencontre, des routes qui se suivent et se croisent. J'aime voir des êtres se construire et se déconstruire au gré des autres et du temps qui passent. Merci beaucoup !
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C
Oui ou le souvenir même qui se superpose.
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P
Beau texte où la vie passe et où le bonheur de retrouver l'autre est toujours intact...
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G
Bravo Corinne ! Ce texte dessine bien la courbe de l’amitié et raconte subtilement ce qui nous lie à l’autre ; comment ce lien peut nous élever sans que rien ne soit particulièrement dit... Ton texte se décline par petites touches successives et tu nous fais habilement voyager dans l’espace et le temps. <br /> <br /> Puisque nous n’avons que le point de vue de la narratrice, le lecteur finit par se demander : et lui," l’initiateur", que serait-il devenu si celle qui le suivait n’avait pas existé ? Quelle merveille que celles et ceux que nous avons l’impression d’avoir toujours connu sans pour autant tout savoir d’eux….
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C
Dac au dac... Patrick m'a encore devancé Grrr... Mais j'aime bien.<br /> <br /> En dehors du premier amour, du 2ièm du 3ièm<br /> <br /> Il y a toujours, un jour de "je ne sais quoi" : Une rencontre - personne ou lecture, même un film ou pourquoi pas notre image dans la glace !<br /> <br /> Enfin une journée où d'un seul coup tout s'éclaire ? Youpi ! <br /> <br /> Alors... Je chante, je piscine, je "magasine" je "magazine" ou j'emmagasine!!<br /> <br /> Envie de m'faire la belle - changer de corps et changer les décors.<br /> <br /> Tiens même un canapé peut me faire voyager... Allez je retourne dans le pré.<br /> <br /> Mais bon... vais pu courir longtemps GRRRRRRRR
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