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Presquevoix...
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21 mars 2008

Le couteau

couteauxDepuis quelques minutes elle  fixait son couteau en aluminium qui se détachait curieusement sur le set de table rouge sang placé devant elle. Le regarder lui évitait de le regarder lui, guindé dans un costume trois pièces qu’il avait certainement mis pour l’occasion. On ne pouvait pas dire qu’il avait fait preuve d’originalité dans le choix du restaurant. La carte alignait des plats d’une banalité affligeante et la clientèle était à l’image de la carte. Elle regrettait d’avoir accepté son invitation, elle méritait mieux que des couverts en aluminium sur un set de table en papier rouge. Avec les hommes, elle n’avait jamais eu de chance.
Il était plutôt plaisant à regarder mais il n’avait aucune conversation et au bout d’une heure d’attente - un quart d’heure  pour le menu, un quart d’heure pour passer commande, et une demi-heure pour avoir les apéritifs - elle avait épuisé à peu près tous les sujets de conversation possibles. Ce type était terrifiant, il  laissait  mourir  les sujets les uns après les autres. Elle  avait ainsi vu trépasser  les élections municipales – il détestait la politique - le sport – il pratiquait le football mais n’avait rien à en dire - les voyages – il partait rarement - la lecture – il ne lisait pas – la télévision – il ne regardait que les séries américaines  -  le travail – il préférait passer le sujet sous silence. Elle était exténuée et  le regard de convoitise qu’il portait  à la naissance de ses seins, très pudiquement dévoilés, l’obligeait à fixer ses couverts. Qu’espérait-il ? Qu’elle  le remercierait en couchant avec lui  alors qu’il n’avait pas formulé une seule idée digne de ce nom depuis leur arrivée ?
Heureusement, la bouteille de vin  posée sur la table  fit diversion. Il avait fait un bon choix – un mercurey 2004 au bouquet légèrement boisé - elle devait en convenir, et elle savoura immédiatement le verre qu’on venait de lui verser afin d’oublier les cendres froides de leur conversation. Lorsqu’elle l’eut terminé, il lui dit à brûle pourpoint.
- Est-ce que tu… est-ce que tu…
- Oui ? Concéda-t-elle, plus exaspérée qu’intéressée.
- Est-ce que tu m’aimes un peu ?
Elle faillit s’étrangler. Elle le connaissait à peine - ils ne se voyaient que depuis quatre mois au bureau, et encore, jamais en tête-tête - il n’avait rien à lui dire et il osait lui demander sans rire si elle l’aimait un peu ! Elle regarda rapidement la lame affûtée du couteau - sans doute eut-elle envie, l’espace d’un instant, de la lui planter quelque part - puis elle lui sourit poliment et répondit.
- Non, pas du tout, mais ce n’est pas grave ; tu ne m’as pas invitée au restaurant pour que je couche  avec toi  ?
Et elle se servit d’autorité un deuxième verre de vin qu’elle avala cul sec sous son regard atterré.

* photo gentiment prêtée par Coumarine

Commentaires
L
Trancher dans le vif du sujet, pour sûr, vous excellez !
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D
Voilà une femme tranchante, comme on les aime... Elle mérite effectivement mieux que ce monsieur ennuyeux :-)
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Presquevoix...
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