La lessive
Je me souviens, c’était une saison sans queue ni tête… j’avais étendu le fil à linge entre deux pommiers parce qu’il commençait à faire beau, et elle, elle était agenouillée dans l’herbe et pleurait tout son saoul. Je me suis toujours demandée pourquoi elle pleurait tout le temps, pour rien, elle m’a toujours énervée à pleurer comme une madeleine ! Mais là, ce n’était pas pareil, elle pleurait agenouillée, comme si elle implorait le ciel et je n’ai pas pu le supporter. J’ai arraché la corde à linge d’un geste sec et je me suis approchée d’elle en hurlant, la corde tendue entre mes mains rougies par l’eau « Lève-toi ou je t’étrangle ! »
Elle a compris et elle s’est levée. Je jure que je l’aurais fait si elle ne s’était pas levée !
A ce moment-là, je me tenais non loin d’elle, nous nous faisions face, et tout le paysage s’était figé, même les moineaux s’étaient tus.
Et puis après, je ne sais pas ce qui m’a pris, je suis retournée vers la corbeille à linge et je lui ai tout balancé à la tête : les slips, les chaussettes, les gants, les serviettes… et j’ai gueulé
- Moi je voulais pas ça, tu m’entends je voulais pas ça, ! Pourquoi tu m’as fait ça, pourquoi ?
C’est là qu’elle s’est mise à chanter à tue-tête, comme si elle était prise de démence
- Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés, la belle que voilà ira les ramasser, entrez-dans la danse, voyez comme on danse, sautez, dansez….
Je ne pouvais plus l’arrêter. Et puis elle dansait, elle dansait sur l’herbe… Elle avait dénoué ses cheveux blancs qui faisaient une ronde autour d’elle et elle avait enlevé ses chaussures et elle commençait même à enlever ses vêtements... elle… elle devenait folle !
Voilà, c’est comme ça que c’est arrivé. Peut-être que si je l’avais laissée agenouillée sur l’herbe, rien ne se serait passé…
* photo gentiment prêtée par Marisondêtre