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Presquevoix...
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9 janvier 2019

Dépaysement

La citation qui va suivre est extraite du livre de Anne Dufourmantelle  « En cas d’amour – psychopathologie de la vie amoureuse »

Psychanalyste et philosophe, A. D. dessine dans cet essai, et ce de main de maître, la carte du cœur blessé.

"Dépaysements

(…) Et s’il fallait être très loin pour se risquer au plus près de soi ? Nous sommes des êtres fragmentés, un feuilletage qu’une unité fragile et toujours renouvelée voudrait résumer en disant « je ». Mais ce « je », comment saura-t-il qui le compose, ce qu’il aime, ce qu’il désire, s’il ne se risque pas hors de lui-même pour, enfin, après revenir à soi ? Le dépaysement est l’image de ce trajet peut-être essentiel qui voudrait qu’on se perde pour se trouver.(…)"

7 janvier 2019

Le Christ

Après le texte de Mado, voici le mien, écrit à partir de la même photo, prise par Mado en été 2018 , dans un village gascon. 

 

IMG_20180731_203930_1

 

Le Christ

 

En voyant sa position, j’ai tout de suite compris pourquoi il était arrivé en retard à notre rendez-vous : cet idiot se prenait pour le Christ. Sans doute parce qu’il s’appelait Christian, allez savoir ?

 D’abord, j’ai essayé de lui dire qu’une telle tenue me paraissait déplacée, mais il ne m’a pas écoutée. J’ai aussitôt ajouté  que garder les bras en croix, dans cette étrange position, ne pouvait en aucune façon le mettre sur le droit chemin. C’est à ce moment exact qu’il m’a signalé qu’il avait une mission.

-          Te prendrais-tu pour le messie ? Ai-je demandé.

Il n’a jamais voulu répondre à ma question et c’est pour cette raison que je l’ai quitté.

Certes, mon attitude vous semblera rigide, mais peut-on passer sa vie avec un homme qui se prend pour le sauveur de l’humanité ?

Pour être sincère, je dois vous avouer que je n’attendais pour compagnon qu’un être « normal »,tout simplement, non un être qui prenait sa mère pour la vierge Marie.

A l’époque – et aujourd’hui il en est de même - je n’attendais ni rédemption ni résurrection.  Je préférais marcher seule sur le chemin avec comme unique volonté celle de me connaître moi-même. N’est-ce d’ailleurs pas une folie que de vouloir conduire les autres sur un seul chemin, le sien ?

Je dois dire qu’une semaine après cette rencontre étrange, Christian m’avait envoyé un extrait de l’évangile dans une enveloppe de la couleur du ciel.

Je ne me souviens que d’une phrase pour l’avoir  notée dans mon agenda :

«Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »

Quand j’ai revu Christian par hasard, vingt ans plus tard, je n’ai pu m’empêcher d’être triste. Il faisait la manche devant un distributeur automatique dans une tenue non plus christique mais d’une saleté repoussante.  Son chemin avait dû le conduire dans les ténèbres, car ses rides lui donnaient le visage d’un homme de soixante-dix ans alors qu’il n’en avait que cinquante.

J’ai cherché un billet de vingt euros que j’ai placé dans sa sébile et je l’ai salué. Il ne m’a semble-t-il pas reconnue.  Merci ma sœur, m’a-t-il dit, Dieu vous le rendra un jour, le seigneur est juste et bon.

 Je n’ai pas osé lui dire qu’un jour, il avait été mon amant, et je n’ai pas non plus osé lui dire qu’il n’était pas le Christ…

5 janvier 2019

Sur quel pied danser...

Mado – dont vous ne pouvez pas voir le blog car il n'existe pas  -  fera de temps en temps trois petits pas sur Presquevoix ; parfois seule, ou en duo avec moi. Cette fois, il s’agit d’un duo où nous nous sommes inspirées de l''une de ses photos  prise en été 2018, dans un village gascon. 

Aujourd’hui, vous pouvez lire son texte. Le mien sera publié dans deux jours.

 

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Sur quel pied danser...

 

Dans son journal, Nijinski appelait de tous ses vœux  un « dieu qui danse ». Il était mort trop précocement pour savoir  qu’un jour il serait exaucé, enfin presque. Bien lui en fut fait en somme, car  une âme si éprise d’absolu eût certainement  été un peu déçue.

Quelques décennies plus tard, Alexandre le fut aussi. Ce soir-là, comme d’ordinaire, il s’était bien torché au bal du village et  levant haut la jambe  il avait, devant son public depuis longtemps acquis,  paraphrasé le génie bondissant. Bien à son insu, le pauvre !  Lui qui avait seulement retenu de ses quelques années de  Primaire trois compagnons  de beuverie !  A l’extinction des feux, le trio ne s’était pas senti  d’aller plus loin que les cyprès du cimetière pour cuver sa piquette. De concert ils s’étaient soulagés d’urgence sur le muret d’enceinte, et c’est là qu’ils étaient tombés nez à nez avec lui, qui se déhanchait  sur sa croix de pierre. Ils n’en croyaient pas leurs yeux :

(Note : l’échange  ci-dessous se lit avec l’accent)

-          Putain  (on le sait, le Gascon est  un précurseur linguistique) ! Putain ! Hé bé, lui aussi a pété un boulon ! Et pas si brave le père pour s’y frotter, qu’il  en a envoyé le fils !

-          Moi, j’ai toujours pensé que c’était un déséquilibré ce type, renchérit Antoine.

-          En tous cas, con, sa rockégraphie ne vaut pas un clou ! conclut Arthur en connaisseur. 

Seul  Antonin s’était tu. Ses yeux vaguaient par les coteaux  baignés de lune, caressant  cette Terre  qu’alentour  il trouvait si jolie.

-          Si tu veux y rester plus longtemps, parvint-il à  philosopher à part soi, il faudrait peut-être que tu arrêtes la rouquine… 

Et s’adressant en silence au danseur qui ne cessait de dodiner et lui donnait  le tournis, il en  fit serment au père si puissant : dès demain, il freinerait la rouilleuse...

3 janvier 2019

Le rayon surgelé

On était au rayon surgelé du supermarché et elle m’avait demandé où je partais pendant mes vacances de février ; je lui avais répondu simplement.

-          En Angleterre.

C’est à ce moment-là qu’elle m’a servi sa diatribe sur l’Angleterre et les Anglais.

-          Comment ? Me dis pas que tu vas filer du fric à ces égoïstes qui  se retranchent dans leur Brexit et qui  sont même pas capables d’aligner deux mots en français ! Ya pas pire qu’un anglais ! Enfin si, deux anglais !

Et en plus, elle se trouvait drôle. Je savais que, deux ans plus tôt, elle s’était séparée de son mari qui était anglais. J’imagine qu’elle lui en voulait encore et que l’Angleterre servait à épancher sa poche d’humeur maritale. J’ai voulu passer au rayon « produits frais », mais elle  a bloqué mon chariot de son corps et a rajouté.

-          Et tu sais qu’en plus ils baisent mal les Anglais ?

J’ai rétorqué, gênée.

-          Mais, mais … j’y vais pour faire du tourisme !

-          Je me doute, a-t-elle répliqué, mais si l’envie te prenait, je te les déconseille vivement.

A ce moment-là, j’ai empoigné fermement mon chariot  et j’ai commencé à faire mine de partir, mais elle n’avait pas fini.

-          Tu sais que j’ai été mariée à un Anglais ?

-          Oui, bien sûr, puisque vous étiez venus manger à la maison tous les deux.

-          C’est pour ça que je peux en parler en connaissance de cause ! Il n’y a pas de peuple plus autiste et plus coincé que les Anglais. Et puis leurs hôtels ! Leurs hôtels c’est de la merde, sans parler de leurs transports en commun !

La situation devenait on ne peut plus embarrassante ; elle parlait de plus en plus fort en faisant de grands moulinets avec ses bras. J’ai soudain trouvé une porte de sortie.

-          Tu sais que je vais me remarier ?

-          Non, je l’ignorais. Et avec qui ?

-          Avec un anglais !

J’ai vu son corps se ratatiner et son visage se décomposer ; j’en ai profité pour battre en retraite !

 

1 janvier 2019

Les pingouins

20181220_142316Elle lui avait raconté son repas du nouvel an avec des pingouins. « Pas si  facile que ça au départ », avait-elle ajouté.

- Ne me dis pas que tu as passé ton réveillon avec des pingouins ? A  immédiatement répliqué son amie. Décidément, tu es folle. Vraiment n’importe quoi !

Elle l'a immédiatement rassuré en lui disant qu'on pouvait être pingouin et avoir bon goût.

- Par exemple ? Insista son amie

- Eh bien ils sont tous tombés amoureux de moi.

- Tu ne crois pas que tu vas un peu loin ?

- Pas du tout, à quarante ans, on se satisfait de ce qu’on trouve !

Ce qu'elle avait évité de dire à son amie, c'est que les pingouins en question avait fait le repas et que, pendant toute la soirée, il lui avait joué une musique merveilleuse. Sans parler des cadeaux qu’ils lui avaient  donnés et du reste...

Mais peut-on  dire toute la vérité rien que la vérité  sur les pingouins à une personne si bornée ?

 

PS : photo prise à Rouen, non loin du musée des Beaux-Arts

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