Duo
Aujourd’hui, avec caro-carito, nos textes se croisent en un duo printanier aux couleurs de l’hiver. Son texte est sur Presquevoix ; quant à mon texte, il est sur son blog.
La consigne était la suivante : écrire à partir des photos de N. Howalt et T Sondergaard
Le nid
Ils se tenaient au beau milieu de la grande salle : la mère, l’adolescent, la fille et le petit dernier. La fin du jour adoucissait les contours des murs et des pièces qu’ils avaient parcourus en enfilade. Lui, près de la cheminée, discourait sur les corniches satinées, le plancher en chêne, la cuisine où on pourrait installer un piano, les trois salles de bain. Elle rencontra les yeux de Jérémy et sût qu’il s’apprêtait à interrompre son père. Elle posa discrètement un doigt sur ses lèvres ; inutile de dire que la peinture était écaillée, qu’ils devraient tous se lever plus tôt pour le travail, le lycée et l’école. Il n’écouterait pas, lui qui ne savait dormir que quelques heures agitées chaque jour, qui mangeait en cinq minutes, lisait, téléphonait, travaillait sans jamais s’épuiser.
Elle alla jusqu’à la pièce qui avait été désignée comme la buanderie. Là où il avait déjà installé en pensée la planche de repassage, le vaporetto, deux fils à linge et une machine à laver. Des étagères. Elle alla jusqu’à la fenêtre. L’appartement avait dû vraiment lui plaire pour qu’il ose penser s’installer dans ce quartier modeste. Étrangement, cet homme qui avait toujours volé de ville en ville, les emportant sur tous les continents, avait toujours attaché une importance particulière à la demeure familiale. « Le nid » comme il aimait le surnommer. Déménagements et mille adresses jusqu’à ce qu’une rébellion familiale le lie à cette capitale nordique que personne, surtout les deux aînés, ne voulait plus quitter.
Et maintenant cet appartement. Le rendez-vous avec l’agence immobilière déjà acté, les projections financières avalisées par le banquier. Autant se résigner, vingt-trois mois sans cartons, cela avait tenu du miracle. Elle jeta à nouveau un coup d’œil sur la place vide en contrebas. Étaient-ce les larmes qui adoucissaient la nuit ? Les immeubles, le terrain de jeu, la délicate empreinte de la neige, elle leur trouvait soudain un certain charme. Un bruit de pas, il l’avait rejointe et s’était mis, lui-aussi, à scruter le quartier endormi. Elle observa à la dérobée ce visage qu’elle ne connaissait plus et le découvrit étrangement apaisé.
Ils se retournèrent ensemble en entendant un bruit de courses, des rires, des chamailleries et se regardèrent en souriant. Ils allèrent à la rencontre des enfants et elle se fit la remarque que ce semblant de complicité ne leur était pas arrivé depuis… Il avait même failli prendre sa main même si, au dernier moment, une hésitation avait suspendu son geste. Thomas déboula sur eux, rouge et essoufflé, « Ma chambre, c’est celle du fond ! » et il tira la langue à sa sœur qui l’avait rattrapé. Alors que tous se dirigeaient vers l’entrée, elle se surprit à dire tout haut que c’était un bel endroit, que les larges fenêtres devaient accueillir le moindre rayon de lumière.
Ils se tenaient à nouveau au milieu de ce qui serait le grand salon, admirant les hauts plafonds, chacun pensant secrètement que vivre ici était une bonne idée.