Je suis une victime du coup de cœur ferroviaire ! Je ne compte plus le nombre de fois où je suis tombée amoureuse du premier inconnu venu. Mon dernier inconnu, c’était dans le Paris Rouen, hier ! Voici la lettre que j’ai glissée dans sa poche, dans le train qui nous ramenait à Rouen. Vous serez sans doute surpris que je lui ai adressé une lettre rédigée avant notre rencontre, mais c’est ainsi que je suis faite : pour que je puisse écrire à quelqu’un que j’aime, il ne faut surtout pas que je le connaisse avant :
« Oui, cette lettre vous est destinée, ne la repliez pas, j’espère d’ailleurs que vous la lirez jusqu’au bout. J’étais à vos côtés il y a quelques instants. Vous m’avez peut-être remarquée tout à l’heure. A un moment de la journée, nous avons été très proches physiquement. Votre image a réveillé l’enfance qui me reste, celle qu’on n’efface pas, dernières poussées d’orages suspendues à la réalité où l’enfant - ombre de ce qu’il était - traverse vallées et rivières dans les nuits de nos rêves.
Si je prends le chemin de l’enfance – mais pourquoi vous parler d’enfance alors que c’est de moi, maintenant, que je veux vous parler ? – je ne vois rien, ou plutôt, je vois de grandes étendues moroses d’où jaillissaient des désirs vite enterrés et quand, insouciante, j’en prenais un par la main, il me fuyait à toutes jambes : je n’étais pas à la hauteur. Ce n’était pourtant pas l’envie qui me manquait d’exister entre marges et précipices.
Que je dresse d’abord cet impitoyable portrait de moi-même où vous lirez ce que vous voudrez y lire, comme dans toute lecture. Je pourrais faire la liste de mes défauts probables, celle de mes qualités improbables, vous installeriez alors votre balance et on en finirait une bonne fois pour toute ! Mais une méthode aussi simple est inconvenante, et peut-on résumer la complexité d’un être à deux listes parallèles qu’on mesure et compare ? Non, la réponse est non, et si je savais que vous pensez le contraire, vous ne m’intéresseriez déjà plus.
Je suis de ces oiseaux qui sortent la nuit et dont on ne remarque que leurs yeux luisants. Vous me demanderez alors “Qu’est-ce qui luit chez vous ?”… Et je vous répondrais que je ne sais pas… Vous désirerez sans doute connaître mes plus chers désirs… et je vous répondrais… j’aime savoir ce qui se cache chez moi à mon insu et ce qui se cache chez l’autre, distraitement, sans y attacher plus d’importance qu’à une tasse de thé en fin d’après-midi… Je suis de ces essences dont on ne se rappelle plus le nom, même si leur parfum – discret - nous inspire un lointain secret. Je suis de ces femmes qui observent le monde mais restent à distance. Vous ajouterez peut-être “Et quel type de femme êtes-vous ?”…Et je vous trouverai bien fou – grossier ?- de me poser une question aussi directe, mais je ne me déroberai pas. Je suis de ces femmes dont la féminité, sans artifices, n’accroche pas le regard de prime abord. Pas de maquillage, un âge qui fait son âge – 33 ans – soir et matin, un corps simple, sans soie ni satin, pas de minauderies ; une voix qui caresse à distance. Je suis surtout ce que je ne dis pas. Je suis le printemps et l’hiver, la joie et la tristesse d’un jour ordinaire, je suis l’aujourd’hui et demain, je suis la vie qui engrange le temps.
J’aimerais qu’on m’aime, qu’on me trouve drôle, intelligente, qu’on me complimente, j’aimerais…que vous me téléphoniez ou que vous m’écriviez, j’aimerais qu’on se rencontre une deuxième fois, ou plus si affinités. J’aimerais… mais peut-être n’êtes vous pas disponible, alors je n’insiste pas. Je n’aime pas forcer la main des hommes pourtant, une réponse négative, me décevrait terriblement. Surtout ne venez pas chez moi. Je préfère que notre premier contact se fasse sans que nous ne soyons physiquement l’un en face de l’autre. Utilisez le téléphone ou la lettre. Je vous promets que ce premier échange sera suivi d’une rencontre, si vous le souhaitez bien sûr. Je vous attends déjà. Claire.
Claire Noël
2, chemin du Devin
76 000 Rouen
tél : 06 95 24 25 89 »