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Presquevoix...
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30 décembre 2022

La dinde

Le 25 décembre, lors du traditionnel repas de Noël, leur père s’était effondré sur la table de la salle à manger, la tête dans les mains. Sa position – au centre – avait fait tourner la tête des six personnes présentes vers lui.

-           Narcolepsie, avait dit le fils aîné, médecin, certainement déclenchée par une émotion.

-          Quelle émotion ? avait dit le fils professeur de mathématiques, je n’ai rien remarqué de particulier dans notre conversation.

-          Toi, tout t’échappe à part l’ordi et les mathématiques, avait répondu le troisième fils, dentiste.

-          Il a été surpris par l’une de tes remarques, a dit la femme du médecin, psychologue. Quand tu as parlé d’homosexualité, il a dû croire que tu l’étais, toi, homosexuel !

-          Pour une fois que notre père écoute, a répondu le dentiste !

-          Hélène, tu es toujours une psy professionnelle, même le jour de Noël, bravo, a souligné le professeur.

Les trois dernières réponses ont fait sourire leur mère mais elle s’est tue ; si son mari ignorait, que leur fils était homosexuel, elle, le savait depuis longtemps mais n’y accordait aucune importance. Elle s’est juste demandée à quoi ressemblait son ami et, c’est à ce moment là que son mari s’est réveillé et a dit, en regardant sa femme.

-          Alors, elle arrive quand cette dinde ? A moins qu’elle soit déjà parmi nous ?

Sa femme n’a rien répondu. Quarante années de plaisanteries douteuses l’avaient immunisée.

PS : prochain texte, MARDI.

27 décembre 2022

Le père Noël

Son amie s’appelait Noëlle et Marie lui avait demandé, comme tous les ans, si le père Noël dormait chez elle après son épuisante nuit de distribution de cadeaux. Contrairement aux autres fois - pour quelle raison, Marie n’aurait pu le dire - elle avait voulu savoir si le père Noël et ses rennes étaient syndiqués.

Noëlle avait aussitôt répondu que cette année, il avait préféré rentrer chez lui, dans le Grand Nord, malgré sa profonde fatigue. Quant à son adhésion syndicale, Noëlle avait précisé.

-          Non, il n’est pas syndiqué, parce que lui aussi souffre de la même défiance à l’égard de ces « planqués de syndicalistes », comme certains disent. L’exploitation est en route, Marie, et le pire est à venir. J’espère que toi-même tu es syndiquée, même si tu es retraitée, comme ça tu pourras au moins être soutenue si ton mari t’exploite.

Ah, l’humour, l’humour – avait pensé Marie - c’est de l’amour en rire. Comment pourrait-on survivre sans lui au déséquilibre du monde ?

 

PS : Prochain texte, vendredi.

24 décembre 2022

Comme un sapin de Noël

Moi, je cultive mon corps comme un sapin de Noël et pour moi, Noël, c’est le jour des championnats. Les guirlandes et les boules se sont mes muscles. Alimentation et frustration sont les deux mamelles du body Builder. Pourquoi je fais ça ? Allez savoir. Dieu le sait, mais il n’est pas le seul. Ma sœur m’a dit que je le faisais pour ma mère, mais qu’est-ce qu’elle en sait ma sœur, parce que ma mère est morte à ma naissance et elle, elle n’avait que trois ans. Ce n’est pas l’âge de raison trois ans.

Peut-être que je suis devenu amoureux de mon corps car je n’aime personne. « On n’a rien sans rien », disait mon père. Lui n’a jamais rien eu, sinon des dettes et une cirrhose. Voilà mon héritage du côté du père. Alors moi, j’ai voulu soigner mon corps et ne pas entrer dans la case cirrhose qui nous a fait mener une vie si noire. Je veux gagner des prix, plein de prix, moi qui n’ai pas eu de cadeaux.

Je sais que je me nourris de frustrations avec mon régime si strict, mais cela n’en vaut-il pas la peine si je deviens champion de France ? Oui, la France a besoin de champions et moi j’ai besoin de la France. Voilà ce que je dirai au Président si un jour je le rencontre. Qui sait ?

 

PS : prochain texte, mardi.

20 décembre 2022

Le voyage dans la lune

Marie avait rencontré la femme aux cheveux roux par hasard, alors qu’elle se promenait dans la lune. Celle-ci lui avait mis une étoile dans l’une de ses boucles blondes puis lui avait dit.

-          Marie, il vous faut arrêter de dépenser des pensées qui ne vous appartiennent pas. Par contre, pensez à panser ce qui est à vif. Ensuite, cultivez de nouvelles pensées et vous irez bien mieux.

Lorsque Marie avait cessé d’être dans la lune, elle avait remarqué qu’autour d’elle, tout le monde souriait. Sans doute le monde était-il heureux, ce que d’habitude il ne semblait pas être. Mais où était la femme aux cheveux roux ?

PS : prochain texte, samedi.

17 décembre 2022

Le cercle des anciens

C’était un drôle de club. Au centre, un parano, à l’instabilité permanente. Il en était arrivé au stade où il se demandait si des acteurs avaient été payés pour l’emmerder. Il en parlait souvent à son cercle d’amis mais personne n’osait répondre à sa question, la peur d’un éclat de verre droit dans leurs yeux, sans doute.

S’ajoutait à cette paranoïa quelques petits problèmes de santé qui se manifestaient par des crises d’éternuments. L’un d’entre eux osait parfois dire.

-          A tes souhaits.

Ce à quoi le parano répondait, agacé.

-          Je n’ai aucun souhait.

L’autre ajoutait, lorsque le mois de janvier approchait au grand galop.

-          Même pas pour la nouvelle année ?

-           Sache que maintenant, pour moi les années sont toutes les mêmes et je n’en attends rien ni pour moi, ni pour la société. Basta les manifs et les désirs d’autre chose.

-          Tu as raison, vu l’état des choses.

Ce après quoi, le cercle concluait.

-          L’attente est l’ennemi du peuple.

Oui, ils étaient tous des héritiers d’un parti de la gauche de la gauche qui aujourd’hui a disparu. Ensuite, le silence s’installait à la table du café où ils se réunissaient à trois, quatre ou cinq.

Ils formaient un bien étrange club que la clientèle du café connaissait, mais que personne ne côtoyait. Si le parano tenait le haut du pavé, les trois autres pouvaient aussi manifester leur présence de manière inattendue, parfois.  Il est vrai que personne n’apprécie l’étrangeté des autres car, souvent, n’est-elle pas un miroir – pâle ou non -  de nous-mêmes ?

PS : prochain texte, mardi.

 

13 décembre 2022

Le couple

Son mari parlait très fort et à l’âge qui était le sien – quatre-vingts ans – sa voix tenait plus de l’aboiement. Pourquoi cette colère gagnait-elle du terrain avec l’âge ? Que s’était-il passé ? Un jour, n’en pouvant plus, elle lui avait dit.

-          Ecoute, c’est insupportable de t’entendre ainsi crier. Je crois qu’il va falloir que je t’achète un collier anti-aboiements. D’abord, à qui parles-tu ? Il n’y a que nous deux ici ?

-          Eh bien, c’est à toi que je parle, mais tu es sourde comme un pot.

-          Si j’étais sourde, je ne t’entendrais pas aboyer, a-t-elle répliqué.

Lui n’a rien répondu. Il évitait toute conversation qui pouvait le conduire sur une voie sans issue. Il s’est juste contenté de reprendre ses mots croisés afin de les achever avant le match de foot. Sa femme, elle, a terminé la conversation en disant.

-          Oui, les chiens aboient, et la caravane passe.

Et elle est repartie dans la cuisine.

 

PS : prochain texte, samedi.

10 décembre 2022

L’ange gardien

-          Connaissez-vous votre ange-gardien ?  Lui avait demandé un type en costume noir et à la tête de croquemort qui se promenait dans la rue avec un panier à questions.

Elle avait immédiatement répondu.

-         « Je viens de le licencier pour incompétence* ».

-          C’est possible ?

-          Oui, si les raisons sont bonnes. De toute façon, là-haut, ils ont un énorme contingent d’anges gardien.

L’homme en noir l’a regardé attentivement et lui a dit.

-          Pourquoi un ton si dur et un regard si noir, madame ?

-          Parce que mon ange n’était pas à la hauteur. Sans doute n’avait-il pas suivi la formation intensive. C’est pourtant un minimum quand on a un CDI pour l’éternité.

L’homme en noir n’a rien ajouté, il a descendu la rue massacre et au bout de la rue, il s’est retourné pour la regarder. Elle, elle n’avait pas bougé, car elle se demandait si l’homme à la tête de croquemort n’était pas justement son ange gardien.

*idée d’Alainx

PS : prochain texte, mardi.

8 décembre 2022

Confrérie

J’appartiens à la confrérie des buveurs réunis après avoir appartenu, pendant deux ans, à la confrérie des amnésiques réunis. Si je suis partie, c’est qu’amnésique je ne l’étais pas. Je faisais juste semblant, pour le plaisir de l’être.

En ce qui concerne le vin, là, je ne feins pas, ma consommation croit au fil des mois de notre calendrier. Le seul endroit où je peux fuir, c’est au fond du verre, un voyage qui ne coute pas cher, vous en conviendrez.

Dieu, avec qui j’ai parlé hier après-midi à l’église Saint Maclou m’a dit simplement.

-          Ma fille, si tu as besoin de boire, bois. Mais à travers ce vin, sens non pas le sang, mais les blessures du Christ.

Et je lui ai répondu, simplement.

-          Merci mon Dieu. Je peux vous jurer que je les sentirai jusqu’à la lie.

Là, Dieu a souri – je ne savais pas que Dieu souriait – et il a conclu.

-          Doucement ma fille, et n’oublie pas de te confesser car la lie ne donne pas l’éternité.

Je suis sortie, plus légère, mais en rentrant chez moi, je me suis demandée si Dieu ne s’était pas moqué de moi…

 

PS : prochain texte,  samedi.

4 décembre 2022

L’autre pays

Quand le prince au turban vert m’a dit de venir voir son pays imaginaire, j’étais à un âge où l’on croit encore que les princes ne veulent que le bien des princesses.

La première fois que nous avons voyagé ensemble, les feuillages laissaient passer des trouées de lumière et les fleurs, toutes plus étranges les unes que les autres, contemplaient la surface d’eaux limpides. La deuxième fois, nous nous sommes baignés nus dans les eaux pures d’une rivière où le soleil faisait briller des myriades d’étoiles. C’est à ce moment-là que le mot FIN est apparu dans le ciel, mais j’ai préféré l’ignorer.

Une fois devenue princesse, j’ai commencé à comprendre que son pays ne serait jamais le mien. Jour après jour le Prince grignotait le pistil de mon cœur et mon âme se perdait dans des vallées obscures.  Nous nous baignions encore nus dans les rivières, mais les eaux étaient devenues sombres et le feuillage des arbres ne laissait plus passer de lumière.

Quand j’ai voulu partir de son pays, il était trop tard, son imaginaire avait refermé sur moi sa prison de pétales.

 

PS : prochain texte, jeudi.

1 décembre 2022

Ré mineur

Comme sa nouvelle conquête était musicien à l’orchestre de Paris, elle avait tenu à lui dire, d’entrée, que ses orgasmes se faisaient en ré mineur. Puis elle avait ajouté.

-          Ça ne vous gêne pas ?

Lui, bon enfant avait répondu.

-          Non, ça ne me gêne pas, si vous êtes majeure

Elle avait souri avant de répliquer.

-          Quel humour que le vôtre. Moi, hélas, je ne fais rire personne.

-          Quelle tristesse. Même pas vous-même ?

-          Non, je n’ose pas, de peur justement de ne pas me faire rire.

Il était resté silencieux, penché sur son violoncelle, et il lui avait confié qu’il allait jouer  pour elle une création de deux minutes intitulée « névrose ».   

A la fin du morceau, elle pleurait à chaudes larmes. Une fois la rivière apaisée, elle conclut.

-          Merci, vraiment, une très belle névrose que celle-ci. Et si nous passions à l’orgasme en ré mineur, mais sans violoncelle, d’accord ?

Il la regarda, ému, plaça son violoncelle sur le sol et dit.

-          D’accord pour l’orgasme en ré mineur. Mais déshabillons-nous d’abord et regardons lentement le ciel de nos corps avant que nos instruments s’accordent.

 

PS : prochain texte, dimanche.

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