La rencontre
En ce mardi matin, il était de course au centre commercial. La voiture garée, il alla rapidement chercher un chariot avant d’entrer dans l’antre de la consommation. Peu de courses à faire pour lui, juste des bouteilles de bière – plusieurs parce que ces derniers temps les températures étaient à la hausse – et du vin, car depuis que les vaccins étaient eux-mêmes à la hausse, leurs invitations l’étaient aussi ; et, quand il s’agissait de vin, sa femme lui demandait de se déplacer avec l’argument suivant.
- Tes amis boivent plus que leurs femmes !
Arrivé tôt, aucune queue à la caisse, juste une femme d’une quarentaine d’années qui déposaient ses céréales, biscuits, légumes, fruits et bouteilles d’eau et de lait devant la caissière. Plutôt longue sa liste de courses, mais elle avait un beau visage et un sourire qui donnait envie d’attendre. Il faut dire qu’à son âge – soixante dix ans – il ne se privait jamais du plaisir que ses yeux lui offraient ; il faut dire que le sexe, lui, était en liste d’attente depuis longtemps.
Une fois son caddie rempli, la jeune femme lui dit, amusée.
- Ah, votre caddie est beaucoup plus intéressant que le mien dirait-on ? Vous avez une fête chez vous, peut-être ?
- C’est effectivement ce que je me suis dit en comparant nos caddies respectifs. Vous savez, à mon âge, c’est vacances tous les jours, alors, on en profite ! Mais bon, des vacances un peu particulières, puisqu’à la fin, on meurt !
La jeune femme ne sembla pas démoralisée par cette vaguelette de cynisme et elle conclut en souriant.
- Alors bonne fête ! Pour moi, c’est triple peine. Le matin, les courses, l’après-midi mon travail à mi-temps, et le soir, la cuisine, les enfants et mon mari. Quelle chance vous avez ! J’ai hâte d’avoir votre âge, mais je n’ai pas hâte de mourir. A une prochaine fois peut-être, qui sait ?
Et elle partit en poussant son chariot à vive allure. Il se demanda si son épouse, à l’âge qui était celui de cette jeune femme, aurait pu dire la même chose avec autant d’esprit. Dès qu’il rentrerait, il lui poserait la question.
PS : prochain texte, samedi.