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25 février 2021

Ministre de la solitude

Ministre de la Solitude*

Hier soir, contrairement à son habitude, il avait longuement réfléchi avant de dormir. Sa femme, elle, ronflait déjà légèrement, ou plutôt, respirait fort, comme elle le disait.

J’accepte ou non répétait-il, et si j’accepte, quels risques ? Mais pourquoi lui avait-on demandé à lui, psychologue de deuxième classe, après une longue carrière dans la navigation marchande, de devenir ministre de la solitude ? 

Il avait fini par téléphoner au secrétariat du premier ministre. Après une longue attente et trois sous-secrétaires différents, il avait eu le premier secrétaire qui lui avait certifié que le premier ministre l’appellerait le lendemain.

Il passa sa journée chez lui. A 15 heures, le téléphone sonnait et le premier ministre entama le monologue écrit qu’il avait certainement légèrement modifié pour les 9 autres candidats.

-          Monsieur de la Romandière, bonjour. Ici le premier ministre. J’imagine que vous vous demandez pourquoi moi et pourquoi ce poste ? Les autres aussi se le demandent. Vous êtes sur une liste de 10 personnes et ce poste de « Ministre de la solitude » se fera sur tirage au sort. Bien sûr, vous n’avez pas été choisi par hasard. D’abord votre âge, 50 ans, ensuite votre expérience dans la navigation –  vous le savez, vous, la solitude est un voyage, comme la navigation – et ensuite, votre nouveau poste de psychologue en EPHAD et en hôpital psychiatrique. Vous savez tout comme moi que ces deux lieux sont au centre de l’humanité, ou plutôt, je devrais dire, au centre de ce que peut-être la solitude. Et, si je me souviens bien, le cargo sur lequel vous travailliez avant de devenir psychologue, s’appelait « l’espérance », donc…

Il avait écouté le premier ministre patiemment, mais il finit par glisser.

-          Oui, entre l’espérance et la solitude il y a tout un voyage…

Le premier ministre sembla sourire et il ajouta.

-          Vous avez de l’humour Monsieur de la Romandière et l’humour est très utile. Pas l’humour noir, bien sûr, mais l’humour léger, celui qui réunit les hommes. Ministre de la Solitude c’est un rôle très simple. Vous lutterez – avec un petit ministère et un petit budget – contre l’isolement social. Il vous suffira de parler de temps en temps de la solitude endurée par les personnes âgées, les personnes vulnérables, ceux qui ont perdu des êtres chers, enfin les gens qui n’ont personne à qui parler. En cette période de Covid c’est important. Parler et écouter parler, voilà les deux mamelles du Ministre de la solitude, si je peux me permettre. Par ailleurs, j’aime beaucoup votre nom. Entre Romandière et romancière, il n’y a qu’une lettre de différence et votre ministère, c’est un peu celui du récit, vous voyez pourquoi on vous a choisi.

Il se tut. Finalement le ministre conclut en disant.

-          Un poste d’exception comme vous le voyez avec un accès gratuit en première classe au réseau SNCF ainsi qu'un quota de déplacements aériens, la mise à disposition d'un parc automobile, d'une voiture de fonction et d'un chauffeur, de dépenses téléphoniques et courrier, ainsi qu'un logement de fonction, ou d'une prise en charge par l'État d'un autre logement, d'une superficie maximale de quatre-vingt mètres carrés, auxquels s'ajoutent vingt mètres carrés par enfant à charge. Qu’en dites-vous ?

-          Je ne dis rien, monsieur le premier ministre, j’écoute. Le tirage au sort fera le reste. Ne dit-on pas que le hasard fait bien les choses ? J’attendrai.

-           La roue de la fortune – c’est comme ça que l’on appelle notre nouveau tirage au sort pour ces nouveaux ministères ouverts pendant le Covid. Vous serez prévenu samedi dans l’après-midi. Bonne journée Monsieur de la Romandière.

Triste fat, pensa-t-il. Deviendrais-je fat moi-même si ministre j’étais ? demanda-t-il à sa femme.

-          Aucun doute répondit-elle. La fatuité est l’emblème des sous-fifres du roi. Y gouter c’est mourir un peu.

Sa femme était son cerveau gauche et elle tendait toujours vers la gauche qui, hélas, était bien loin du pouvoir en place…

 

*Merci à Mado pour son idée de titre.

 PS : prochain texte, lundi.

Commentaires
M
Bien que je ne sache rien du ( vrai) ministre nommé sous Thatcher, mon imagination se plaît à supposer que le tien est bcp plus aimable que lui...Et il est des éminences, quoique grises, plutôt gratifiables,telle cette épouse. Joli portrait de caractères !
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C
C'est si joliment poétique que dans ce bal de tristes sires, j'en viendrais à souhaiter pareil ministère et pareil ministre.
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P
Joliment cynique et drôle...
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D
Belle analyse du discours dominant visant à "consoler" (par des mots) les personnes âgées, "fragiles", etc., tandis que la politique libérale du plus fort va son train, avec ses retards habituels, et son chef de gare dont la tête tourne dans tous les sens telle une girouette qui n'a jamais su distinguer sa gauche - oui, elle existe encore, même à bas bruit - et sa droite devenue de plus en plus extrême.<br /> <br /> <br /> <br /> M. de la Romandière refusera ce poste-alibi (s'il devait être tiré au sort) et montrera ainsi, grâce à son épouse, que les idées de gauche ne sont pas une marchandise que l'on achète, sur un simple coup de fil, comme des fraises espagnoles à l'hyper-marché. <br /> <br /> <br /> <br /> Joli texte où la fiction se frictionne agréablement avec la réalité politique du moment ! :-)
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W
Gauche ou droite, ça ne change pas grand chose, une fois qu'on est ministre ! ;-)
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