lettre à la prison
En faisant un tri dans mon ordinateur, j'ai retrouvé cette lettre envoyée à un détenu - originaire de la Guadeloupe - que j'ai vu pendant cinq ans à la prison Bonne Nouvelle, à Rouen. Je l'ai relue, ainsi que le très beau texte de Mandela que je lui joignais. Claude est parti de Bonne nouvelle en 2015 pour un centre de Détention dans le Nord de la France et, après quelques lettres de part et d'autres, le courrier s'est arrêté ; il n'a plus répondu. Il est toujours en prison, car il avait une très très longue peine.
Rouen, le 10/12/2014
Bonjour Claude,
Aujourd’hui je suis venue vous voir, mais vous avez décidé de ne pas descendre et de refuser la visite. J’imagine que vous êtes en colère contre moi en raison de la lettre que je vous ai envoyée la dernière fois.
Mais peut-être est-ce autre chose ?
En tout cas, si vous ne voulez plus me voir, envoyez un petit mot à mon attention avec sur l’enveloppe « G. B visiteuse de prison ». Celui-ci sera mis dans le tiroir où sont regroupées les lettres pour les visiteurs.
Si jamais vous souhaitez ne plus avoir de visites, je trouverai cela dommage, bien sûr, car je vous rends visite depuis longtemps – quatre ans – et je sais que ces visites vous permettent de rester en lien avec l’extérieur, qu’elles vous évitent de vous refermer sur vous-même. Il n’est jamais bon de se recroqueviller, seul, dans sa cellule avec pour seule compagne la télévision, surtout quand celle-ci raconte en boucle les mêmes horreurs sur le monde. Ces têtes coupées par des djihadistes qui sont embrigadés par des discours qui s’apparentent à ceux des sectes et qui répandent la haine entre l’Occident et le reste du monde, semblent trouver un terrain favorable chez vous car lors de ma dernière visite, vous m'avez dit : « quand je sortirai je couperai la tête à un blanc ». Alors ce blanc, cela pourrait être moi ?
Je vous envoie, à la fin, un texte de Nelson Mandela trouvé sur internet. Lisez-le et vous m'en parlerez le lundi 22 décembre à 9 h 30, si vous acceptez ma visite.
Prenez soin de vous,
Amicalement,
G. B
« Un long chemin vers la liberté
J’ai toujours su qu’au plus profond du cœur de l’homme résidaient la miséricorde et la générosité. Personne ne
naît haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, ou de son passé, ou de sa religion.
Les gens doivent apprendre à haïr, et s’ils peuvent apprendre à haïr, on peut leur enseigner aussi à aimer, car
l’amour naît plus naturellement dans le cœur de l’homme que son contraire.
Même aux pires moments de la prison, quand mes camarades et moi étions à bout, j’ai toujours aperçu une lueur
d’humanité chez un des gardiens, pendant une seconde peut-être, mais cela suffisait à me rassurer et à me
permettre de continuer.
La bonté de l’homme est une flamme qu’on peut cacher, mais qu’on ne peut jamais éteindre. Un homme qui prive
un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, il est enfermé derrière les barreaux des préjugés et de
l’étroitesse d’esprit. Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté, tout comme je ne suis
pas libre si l’on me prive de ma liberté.
L’opprimé et l’oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité. Quand j’ai franchi les portes de la prison,
telle était ma mission : libérer à la fois l’opprimé et l’oppresseur. Certains disent que ce but est atteint. Mais je sais
que ce n’est pas le cas. La vérité, c’est que nous ne sommes pas encore libres ; nous avons seulement atteint la
liberté d’être libres, le droit de ne pas être opprimés.
Nous n’avons pas encore fait le dernier pas de notre voyage, nous n’avons fait que le premier sur une route plus
longue et difficile. Car être libre ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est vivre d’une façon qui
respecte et renforce la liberté des autres. La véritable épreuve pour notre attachement à la liberté vient de
commencer ».
(Nelson Mandela)
PS : prochain texte, lundi 15 février.