Le cadeau d’anniversaire
Pour son anniversaire, il avait décidé de l'étrangler. C’était une idée qui lui trottait dans la tête depuis quelques temps. Il n’y avait attaché aucune importance jusqu’à ce jour précis où sa femme lui avait demandé ce qu’il voulait pour son anniversaire. Il ne savait plus quoi demander… des livres et des disques remplissaient sagement ses étagères, son armoire était pleine de pantalons, de pulls et de chemises ; il avait un ordinateur, une imprimante, une télévision grand écran, un lecteur enregistreur de DVD, une caméra numérique, un appareil photo… non, il avait tous les biens matériels qu’un homme appartenant à la bourgeoisie moyenne peut désirer. Il ne lui manquait qu’une chose : le bonheur ! Mais que peut attendre un homme de soixante cinq ans, ni beau ni laid à l’âge où il dévale la pente de la vie ? C’était la question qu’il s’était posée jusqu’à ce qu’il la rencontre. Elle, sa « fleur de jouissance », son « bonbon sucré » – comme il l’appelait lorsqu’elle le retrouvait lors de moments volés – ou « ma petite mienne » – comme il lui chuchotait au creux de l’oreille lorsqu’il voulait faire l’amour avec elle.
Il en était arrivé à la conclusion qu’étrangler sa femme était le cadeau d’anniversaire qui lui ferait le plus plaisir, mais a-t-on jamais imaginé un homme demander pareil sacrifice à sa femme ? Même lui n’en serait pas capable ! Si sa femme avait connu ses pensées les plus profondes, elle ne le regarderait certainement pas avec ces yeux-là ; mais dans un couple, n’est-on pas souvent le dernier à savoir ce que l’autre pense de nous ? Lorsqu’il l’observait, c’était la médiocrité de sa propre vie qu’il voyait en miroir. Sa femme acceptait presque avec bonheur l’âge qui s’installait doucement et la détachait des rives du désir. Tout son plaisir consistait à s’occuper de ses petits enfants qui, pour lui, étaient non seulement un fardeau – il les avait toujours trouvés bruyants et mal élevés - mais l’annonce qu’il allait devoir leur céder sa place pour disparaître à jamais.
A partir du jour où Léa avait accepté de devenir sa maîtresse, sa femme lui était devenue insupportable, non par ses exigences, mais bien parce qu’elle n’en avait aucune. Il en avait maintenant presque la certitude : ce qu’il voulait étrangler, ce n’était pas sa femme, mais l’acceptation tranquille de la mort qu’il croyait lire dans ses yeux.