Voici un texte illustré par Patrick Cassagnes. Ce texte est le fruit de notre collaboration sur « jedouble ».
Le gorille
C’est en voyant la photo dans l’encyclopédie animalière feuilletée chaque soir avec son fils, qu’elle se rendit à l’évidence : son patron était un gorille.
Elle avait déjà eu de sérieuses présomptions : quand elle l’entendait marmonner dans son bureau ou quand elle le surprenait à la cantine en train d’éplucher une banane. Mais là, plus de doutes possibles, une mutation irréversible s’opérait chez lui et il était de son devoir d’ en avertir le personnel.
Ce lundi-là, lorsqu’ elle arriva au bureau avec une demi-heure d’avance pour éviter les embouteillages, elle espéra ne pas tomber sur Josiane.
Celle-ci arrivait toujours très tôt, à croire qu’elle espérait une promotion de la part du patron. Elle se demandait même si entre Josiane et lui... mais si Josiane avait envie d’atteindre le septième ciel avec le patron, ce n’était pas son problème. Elle était cependant étonnée qu’une fille aussi délicate que Josiane supporte la proximité de ce gros corps velu, sans parler du reste…
Dans le couloir, les lumières étaient éteintes et des grognements lointains lui parvinrent. Au fur et à mesure qu’elle avançait, les grognements redoublaient, à tel point qu’elle se crut dans la jungle. Tremblante, elle s’approcha à pas de loup du bureau du patron, regarda par le trou de la serrure, et étouffa un cri.
Son téléphone sonna à 8 h 30 précises, c’était le patron qui lui demandait de venir avec le dossier Duranchon. Elle blêmit : le dossier Duranchon n’existait pas. En parcourant les 50 mètres qui la séparaient de son bureau, un dossier vide sous le bras, elle essaya de réfléchir à la meilleure attitude à prendre.
Elle frappa et une voix rauque lui dit d’entrer. Dès qu’elle eut franchit le seuil de la porte, elle fut prise à la gorge par une odeur forte, presque animale. Le patron lui tournait le dos et sa silhouette massive occupait tout l’encadrement de la fenêtre. Sans se retourner, il lui annonça.
- Je vais devoir me séparer de vous Madame Bouton. Votre contrat arrive à terme et vous êtes bien trop curieuse pour que je le renouvelle.
Elle ne répondit rien. Soudain, il lui fit face et, tel un King Kong déchaîné, il se frappa le torse en s'avançant vers elle. Elle s’évanouit aussitôt.
A son réveil Josiane était à ses côtés, souriante, un verre d’eau à la main, comme si de rien n'était. Avait-elle fait un cauchemar ? Ses doutes furent de courte durée car des grognements lointains se firent entendre. Quelle ne fut pas sa surprise de voir Josiane pousser une inquiétante série de petits cris perçants en fronçant le nez !
Deux jours plus tard, elle se réveilla dans une chambre de l'hôpital psychiatrique des Oeillets, sans que personne ne pût lui expliquer qui l'y avait conduite, pas même son mari. le vendredi suivant, celui-ci lui apportait une lettre de son employeur expliquant que son contrat ne serait pas renouvellé. Elle remarqua, étonnée, que dans la poche de costume de son mari il y avait deux bananes...