Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
11 décembre 2012

Duo

Aujourd’hui textes croisés : le texte que vous allez lire est de Caro-carito, du blog les heures de coton, quant à mon texte, il  est sur son blog.
La consigne était la suivante, écrire un texte à partir de " Dream ", de John Cage et de l'expression " mode définitif "

 

Dix-sept chaises, quatre-vingt-neuf minutes, un silence.

 

Juan regarde les dix-sept visages qui l’entourent. Des traits jeunes, entre deux âges, des hommes, des femmes, peaux mates, peaux claires, avec ou sans lunettes, pauvres, peut-être riches. La salle, jaune citron, murs tranquilles, est située dans l’aile ouest de l’institut San Judas Tadeo, le patron des causes désespérées. Et c’est vrai, seuls ceux dont l’existence n’a plus d’issue arrivent jusqu’ici.

Juan lève les yeux vers l’horloge. 10 h. Lentement, les voix se succèdent. Un fil, un chuchotis, un ton bravache, une litanie. Juan sait que, contre toute attente, cette lente mélopée qui se fond dans le tremblement d’une épaule, dans le pli qui barre un front las, dans les mains qui tambourinent mécaniquement, ce long chant monocorde apaise. Une chaise crisse contre le carrelage brun sang, des pleurs, une phrase se brise. Chacun, chacune debout, tour à tour, comme un cercle qui se fait et se défait à chaque voix qui s’ouvre et qui se tait.

Il jette un coup d’œil à l’horloge. Ici on l’appelle le maître du temps, car il soupèse les quatre-vingt-neuf minutes de la séance de paroles avec justesse. Tous savent que, quand ses yeux se posent une deuxième fois sur le cadran argenté, quatre-vingt-neuf minutes se sont dissoutes entre les murs jaunes. Ils se lèvent, brisent le dernier silence. Se libèrent de la tension de cet être-ensemble, se retrouvent à nouveau seuls et renouent avec la peur.

Lucha ouvre la porte en premier, comme toujours. Lucha métisse plantureuse, faite pour un rire qui l’a désertée. Luis, Andréa, Lupe... Il ne reste plus que Thèlme, mince comme un fil. Jorge, si gentil, si prévenant, ouvre la porte en grand pour la laisser passer. La musique jaillit du couloir. Bordel, lâche Juan, il l’a fait ! Et il repense à ce connard de petit docteur étranger qui est arrivé le mois passé. Juan avait pourtant bien insisté. Pas de musique ici, pas plus une cumbia que du Vivaldi ou une chanson d’amour. Ces âmes ont désespérément besoin de silence. Il se souvient, il s’était levé, avait martelé : « Aucune musique, pas encore, pas maintenant. » Et surtout pas John Cage.

Juan se précipite vers la porte ; tout va si vite, trop vite. Thèlme s’écroule par terre, secouée de spasmes, tressautant et griffant le pauvre Jorge qui se penchait pour la secourir. Le délire collectif qui s’ensuit embrase méthodiquement chaque pièce, chaque étage de l’institut. Il faudra des heures pour que chacun retrouve son calme. Le soir, certains patients devront être admis à passer la nuit dans les chambres mises à disposition uniquement en cas d’urgence.

Vers minuit, Juan lâche la main d’une Thèlme qui dort enfin, assommée par les médicaments qu’il s’est résigné à lui prescrire. Il regagne le bureau qu’il aurait dû retrouver après la séance du matin, celle d’avant la catastrophe. Il prend quelques notes, rédige un rapport exhaustif des événements et s’enroule dans une couverture sur le divan.

Demain à 6 h, le médecin blond revenu d’un colloque à l’étranger assistera à la réunion d’urgence. Juan lui expliquera alors que la musique de ce pays se compose et se joue différemment ici qu’ailleurs. Les notes n’ont pas la même valeur, on n’y trouve ni mode majeur, ni mode mineur. Un simple mode définitif que la junte a déversé dès le berceau, dans chaque cour d’école, dans chaque maison, dans chaque âme. Un mode sans atermoiement qui a accompagné les humiliations et les tortures, comme celles dont on lit encore les traces sur le corps exsangue de Thèlme. Oui, Juan lui expliquera tout cela en lui montrant quelques clichés. Comme ces brûlures de cigarettes que les bourreaux infligeaient avec des gestes déliés sur un air de John Cage ou parfois de Schönberg. Pire aussi. Alors peut-être, le médecin étranger n’imposera plus de musique et, même, repartira très vite, dans son pays paisible où Cage, Bach ou Scarlatti habilleront de leur lumière originelle les murs d’une clinique récemment inaugurée.

Le silence pourra résonner à nouveau dans les pièces nues de l’institut San Judas Tadeo, patron des causes désespérées, jusqu’au creux des paroles qui tournent monocordes et en rond entre les chaises, entre leurs occupants aux gestes usés, tous les jours, quatre-vingt-neuf minutes.

 

PS : Et, ne manquez pas de regarder cette vidéo : Hitler's opinion on John Cage's 4'33''

10 décembre 2012

Le tableau

Cela faisait au moins trois ans que Marie Odile n’était pas allée chez sa nièce. Elle lui montra le tableau au-dessus du buffet et lui dit.
- Je trouve qu’il est très réussi ce tableau, conforme à la réalité. Et puis les couleurs sont bien choisies, vraiment.
Sa nièce la regarda, étonnée.
- Tu ne  te souviens pas ?
- Non ? Quoi ?
- Eh bien il est de toi. Tu me l’as peint il  y a quatre ans.
- Ah bon, répondit tranquillement Marie Odile. Eh bien, ma parole, on dirait que j’ai du talent.

9 décembre 2012

Le personnage

Elle était assise au café de l’échiquier, à la même place que chaque matin et elle se creusait  la tête pour  décrire, d’une seule phrase, ce personnage qui occupait son esprit. Soudain, à la table à côté de la sienne, quelqu’un dit.

- Ce crétin a remplacé l’intelligence par la boursouflure.

C’était exactement ça, on lui avait soufflé ce qu’elle cherchait à exprimer depuis si longtemps. Elle se tourna vers l’inconnu qui avait prononcé la phrase afin de le remercier, mais elle renonça : aurait-il compris ?

8 décembre 2012

La robe de mariée

PT212069D’elle, il ne restait que cette robe de mariée posée sur un mannequin au bas des marches. C’est lui qui l’avait installée à cet endroit car cette robe, il l’avait choisie lui-même, 30 ans plus tôt. Depuis combien d’années était-elle morte ? 5 ans ? 10 ans ? Il avait oublié.


Le seul souvenir  qu’il lui restait d’elle - en dehors de la robe - c’était son sourire ce jour-là, et le mot qu’elle avait prononcé juste avant de mourir : «  merci »


Jamais il n’avait compris pourquoi elle l’avait remercié de l'avoir tuée, et il lui en voulait presque…

 

PS : texte écrit à partir de cette photo prise par C. V. à Lisbonne, en 2010, dans ce merveilleux hôtel.

7 décembre 2012

Le cercle

A Noël, il avait eu une pile de cadeaux au pied du sapin, tous plus étonnants les uns que les autres, mais depuis une heure il jouait avec ses crayons. Il faisait des carrés, des rectangles, des lignes, brisées ou non... Excédée, sa mère lui dit.
- Mais enfin Maxence qu’est-ce que tu fais ?
Il releva la tête, la regarda étonné et lui dit.
- Ben je joue maman.
- Et tes cadeaux de Noël ?
Il ne daigna même pas répondre et se replongea dans la figure qui l’absorbait : le cercle.

PS : texte écrit à partir d'une consigne du blog “mil et une

6 décembre 2012

Soumission

Ce matin, dans le métro, on lui a marché sur le pied et il s’est excusé. Au travail, sa collègue Cynthia, une pimbêche qu’il étranglerait avec plaisir, s’est engouffrée dans la cage d’ascenseur en le bousculant et il s’est encore excusé. A midi, à la cantine, son chef de service lui est passé devant le nez en lui disant qu’il était pressé. Là encore, il a oublié que ce n’était pas à lui de s’excuser. Le soir en rentrant chez lui, sa femme ne l’a pas même salué et lui a dit d’une voix cassante.

-  Et le pain ?
-  Quel pain ?
-  Celui que tu devais rapporter.
-  Moi, mais… tu ne me l’avais pas dit. Excuse-moi

C’était au moins sa vingtième excuse de la journée. Il était épuisé. Après le repas il s’est assis dans son fauteuil pour voir un documentaire. Son fils a changé de chaîne. Il ne lui a rien dit…

5 décembre 2012

L’éducation

Son enfant avait l’air si sage qu’elle lui avait demandé quel était son secret. Il lui avait répondu très simplement.


- Le corriger quand il fait un pas de côté.
- Le corriger, mais comment ?
- Avec une canne en rotin. Mais ce n’est pas tout, vous devez lui annoncer le nombre de coups qu’il va recevoir et il doit se montrer imperturbable, sinon, vous doublez les coups. Et s’il se trompe en comptant, vous lui en donnez deux supplémentaires.


Elle n’avait pas osé lui poser d’autres questions. Soudain, son fils hurla «  Maman ! » et elle se précipita pour voir ce qu’il se passait. Quand elle revint, l’homme lui dit.


- Vous voyez, ce que votre fils vient de faire, moi, je ne le laisserais pas passer. Ce serait au moins 6 coups de  baguette, c’est inadmissible de déranger ainsi ses parents !


Elle ne répondit rien, mais elle n’eut qu’une envie : partir.


- Maxime, cria-t-elle soudain, Maxime, on rentre. Papa nous attend pour aller faire les courses !


Elle eut de la chance, Maxime arriva aussitôt et elle n’eut pas à supporter d’autres conseils horrifiants. Elle prit congé de son voisin de banc, salua de la tête le petit garçon qui n’avait pas bougé, occupé à lire un livre de contes, et elle partit à grandes enjambées en traînant Maxime derrière elle.

4 décembre 2012

Piazza San Marco

PT302846Ils prenaient un café en terrasse, comme si de rien n’était. Les garçons avaient chaussé leurs bottes, le soleil faisait son appartition – les lunettes de soleil s’imposaient presque -  et la journée commençait presque bien...
Ils étaient dans un cadre idéal - un tableau de Canaletto mouillé par la lagune – mais l’ennui la guettait. Pourquoi était-elle parti avec lui alors qu’elle aurait voulu partir avec l’autre ?

PS : photo prise par C.V. à Venise en novembre 2012

3 décembre 2012

Pôle emploi

Le Directeur de cette agence de Pôle emploi avait été clair lors de son discours de prise de fonction.
-  Afin d’éviter le pire en cas d’immolations, nous avons mis en place quelques mesures.
Et il a calmement énuméré le nombre d’extincteurs et de couvertures supplémentaires qui seraient disponibles dans le hall d’entrée de l’agence. Les employés se sont regardés, mais personne n’a osé dire au Directeur que la meilleure des préventions, c’était sans doute des offres d’emploi suffisantes…

2 décembre 2012

Dormir

Dormir dans le chagrin du vent, dormir pour toujours ”. Il a glissé cette phrase dans une enveloppe rouge où il a écrit mon nom et mon adresse. Il n’a pas posté la lettre. Il est venu jusque chez moi. Il a sans doute regardé une dernière fois la glycine qu’il aime tant, puis il est parti comme un voleur.

Il me  disait souvent  “ Tes yeux sont trop noirs, ils me rappellent le puits de mon enfance. ”

Je n’ai jamais compris de quel puits il parlait. Maintenant, il est trop tard pour le savoir...

 

PS : texte écrit dans le cadre des “ impromptus littéraires ”

<< < 1 2 3 4 > >>
Presquevoix...
Newsletter
8 abonnés