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ehpad amitie humour
5 novembre 2023

Amitiés d’EHPAD

Monsieur Rougeole et Monsieur Croque étaient arrivés à l’EHPAD il y a un an, presque en même temps. L’un avec sa femme, l’autre non car elle était morte avant lui. L’un était au deuxième étage, l’autre au troisième. L’un avait un déambulateur, l’autre une canne et, ce qui les réunissait, c’était l’humour et l’ironie. L’un sombrait de temps à autre dans l’humour noir, l’autre savait se tenir car sa femme lui disait souvent : « Monsieur Croque, stop, tu vas trop loin ».  En ce dimanche désert – ni l’un ni l’autre n’avait été invité par sa famille – ils se retrouvèrent, comme d’habitude, au « salon » du deuxième étage. Ce jour-là, Monsieur Rougeole n’était pas au meilleur de sa forme ; quant à M. Croque, il naviguait dans son nouvel univers en gardant l’œil ouvert, le bon, car nombreux étaient « les dysfonctionnements » dans cet Ehpad de rêve.

-          Tiens, encore un dysfonctionnement, comme dit la cadre de santé, sourit M. Croque. Regardez, encore un gueulard en fauteuil roulant, diplômé Alzheimer, qui est au deuxième étage au lieu d’être au rez-de-chaussée. Ce type n’arrête pas de gueuler, surtout le soir ; j’en peux plus. Qu’on lui apporte ses peluches pour qu’il la ferme. L’aide-soignant m’a dit que quand les Alzheimer étaient en fauteuil roulant, on les mettait au deuxième car il n’y avait pas assez de personnel à l’étage Alzheimer. Etonnant, non ?

-          Moi, j’en peux plus de tous ces simili-légumes au deuxième étage. Et puis, ces repas immondes ! Vous en pensez quoi, vous, Monsieur Croque, de ces repas qui ne s’améliorent pas malgré nos plaintes ? On fait une grève de la faim ? Quoique non, laissons la mort de côté, elle arrivera bien assez tôt. 

-          Moi je propose deux lettres, une lettre à la directrice de l’EHPAD et une lettre à l’Assurance régionale de santé. Les lettres c’est mon truc. Ma carrière, c’est une carrière de lettres diverses, variées et synthétiques.

-          Je compte sur vous Monsieur Croque et je la signerai en gros caractères. Vous voulez que je vous fasse une confidence ?

-          Oui.

-          Quand je vois la cadre de santé, je n’ai qu’une envie, moi qui écris peu, raconter une histoire dont elle serait l’héroïne et dans l’histoire, elle mourrait ! La dernière fois que je suis passée dans son bureau pour lui demander ce qui justifiait que je ne puisse pas gérer mes médicaments, et quand je l’ai entendue parler de dysfonctionnements, j’ai eu envie de l’égorger !

-          La cadre de santé, tuée par une histoire que vous créez, plutôt drôle ça, Monsieur Rougeole, et une bonne idée. Allez-y, et ça va mettre de l’ambiance si vous la faites lire au personnel ! Mais vous ne m’aviez pas dit la même chose au sujet de votre belle-mère ?

-          C’est possible. Celle-là aussi elle m’emmerdait, tout comme ma femme d’ailleurs car elle lui ressemblait. Pourquoi les filles ressemblent-elles souvent à leur mère ?

-          Ah, on croit perdre le passé, mais quand on vieillit il revient au galop. Tiens, il faudrait peindre le bonheur avec des points de toutes les couleurs, et le malheur avec des traits noirs qu’on essaierait de rayer avec une règle au fur et à mesure.

-          Dites-moi M. Croque, vous devenez poète.

-          Avec vous, peut-être, mais pas avec ma femme ; elle me reproche de ne pas parler. Elle oublie de se souvenir qu’elle passe son temps à me raconter toujours les mêmes histoires de son «passé  merveilleux » avant que je n’arrive dans sa vie, bien sûr, parce qu’après... Pas de chance pour moi, je suis tombé sur une amnésique.

-          Elle a peut-être des qualités votre femme ?

-          Je cherche Monsieur Rougeole, je cherche et… et je trouve : Elle dit toujours la vérité. Les autres, eux, ne savent pas et vivent au royaume du mensonge car ils sont incapables d’ouvrir les yeux sur leur propre vie !

-          Je vois. Bon, vous connaissez cette citation « Heureux ceux qui ont souffert car ils seront consolés ! »

-          Non, je ne connais pas et je n’y crois pas. Moi je dirais plutôt « Heureux ceux qui sont sourds car leur femme ne peut plus les emmerder ! »

-          Peut-être, mais on ne pourrait plus se parler puisque vous ne m’entendriez pas.

-          Oui, vous avez raison. Mieux vaut ne pas être sourd, alors. Surtout qu’avec vous, parfois, on rit.

-          J’ai une idée. Il faudrait une police des mots capable de catapulter les mots qu’on veut vous envoyer dans votre cerveau.

-          Ah, bonne idée.

-          Eh oui, très bonne, comme ça je pourrais supprimer les mots que me dit ma voisine de table, Madame Pinson. Elle aussi elle est en boucle, et si ça se trouve plus que votre femme. J’ai essayé de changer de table. Impossible m’a-t-on dit. Je suis condamné à manger avec madame Pinson jusqu’à la mort, la mienne ou la sienne !

-          Je vous plains, mais comme on dit, chacun sa croix, hein ? Bon, désolé Monsieur Rougeole, je dois y aller, car ma femme m’attend pour le goûter

-          Ah Monsieur Croque, quel bonheur d’être attendu par une femme !

-          N’est-ce pas, sourit-il, j’ai toujours dit que j’avais une veine de cocu !

Monsieur Croque se leva et marcha avec son déambulateur jusqu’à l’ascenseur. Quant à Monsieur Rougeole, il avait décidé de rester au salon pour voir les livres disponibles sur les étagères de la bibliothèque. Mais quand il vit Madame Pinson arriver en fauteuil roulant, il se précipita sur sa canne pour aller dans sa chambre.

PS : prochain texte, vendredi.

 

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