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26 juillet 2008

le balcon (fin)

divers_printemps__t__08_082

Elle l’entraîna sur le banc face au balcon et ils s’assirent tous deux. Elle laissa un silence s’installer, silence qu’il n’avait pas osé interrompre.
- Vous connaissez l’histoire de Juliette et de Roméo ?
Il sursauta à cette demande. Bien sûr qu’il la connaissait, qui ne la connaissait pas, et il le lui dit mais il ne voyait pas le rapport. Elle poursuivit.
- Grâce à Shakespeare ou à cause de lui, cela dépend, le monde entier situe cette histoire à Vérone. Eh ! bien non, le balcon et le tombeau de Juliette à Vérone sont des fadaises mais c’est voulu, histoire de laisser Juliette en paix.
Il ne put s’empêcher de sourire, un brin moqueur.
- Vous ne me croyez pas, c’est ça ?
- Racontez, ensuite, je vous donnerai mon opinion !
- Vous les « stranieri », vous êtes loin de nos légendes, pourtant elles sont belles, belles et vraies…il y a de cela longtemps, Juliette s’était prise d’amour pour le fils du rival de son père. C’était semble-t-il réciproque et jusque là, Shakespeare raconte bien l’histoire d’origine. Où cela diffère, c’est dans la suite. Quand le père de Roméo a su cet amour, il a pensé que c’était une bonne idée pour déshonorer ce rival qui lui faisait de l’ombre et il encouragea son fils à poursuivre de ses assiduités la belle. Bon que sait-on de la vie à 15 ans car tel était l’âge de Juliette, hein, je vous le demande ? Cette gamine se prit au jeu de l’amour et se laissa aimer par Roméo alors 10 ans plus âgé qu’elle et plus expérimenté comme cela était souvent le cas à cette époque. Les filles au couvent ou sous bonne garde pour préserver leur virginité et les hommes avec les filles de joie, comment vouliez-vous ne pas vous faire avoir, hein je vous le demande ?
- Si cela peut vous consoler, ce n’est plus le cas de nos jours, l’égalité à au moins cela de bon
- L’égalité où elle ne devrait pas être…bon je m’égare. Je poursuis donc mon histoire. Roméo, pas aussi pur que nous aurions espéré, se lassa de cette aventure et des gamineries de cette amante qui, à part sa fraîcheur et sa spontanéité, ne lui apportait plus grand-chose. Il espaça ses visites nocturnes à la belle et de dépit celle-ci tomba malade.
- Ca fait un peu roman bon marché votre histoire, pour l’instant, je préfère celle de Shakespeare, je dois l’avouer.
Sans répliquer, la vieille continua.
- Une nuit, elle le provoqua et exigea de lui le mariage car elle était enceinte. Roméo lui rit à la face, il avait d’autres projets. Elle devint folle, supplia, l’implora car elle savait la sentence de sa conduite, le couvent à vie pour elle et l’enfant qu’elle portait à l’orphelinat. Cette femme à ses genoux irrita le beau Roméo et il se montra dur, intransigeant et terriblement cruel. Elle se releva et le regarda partir par le balcon, celui-là même que nous admirons vous et moi. Alors qu’il enjambait la rambarde, elle le poussa de toutes ses forces. Le malheur voulut qu’il tombe la tête la première sur une pierre et il rendit son dernier soupir sur le champ. Quant à Juliette, elle devint folle et la famille l’enferma toute sa vie dans cette chambre qui fut le théâtre de son bonheur et de son malheur.
- Et l’enfant qu’elle portait ?
- Fausse couche !
- Ah !
- Depuis cette soirée maudite, Juliette ou son fantôme apparaît tous les jours au balcon et charme les hommes, on dit qu’elle cherche à se venger de l’affront subi. Savez-vous que depuis des siècles, plusieurs hommes ont été retrouvés sans vie au pied du balcon ? La légende dit qu’elle les attire à elle et ensuite qu’elle les tue.
- Son fantôme ? Mais cette maison est habitée ?
- Oui, elle est restée dans la famille de Juliette, elle n’a jamais changé de propriétaires.
- Et qui l’habite ?
- Moi !
Il sursaute.
- Vous ? Mais…vous n’avez pas peur des fantômes ?
- Non, vous aimeriez visiter ?
Il hésite mais la curiosité est la plus forte. Il accepte et tous deux se dirigent vers la porte qu’elle ouvre avec une grosse clé en métal qu’elle sort de sa poche. Elle entre la première, il la suit, ils montent à l’étage et quand il pénètre dans la chambre au balcon, un grand froid le saisit. Il se retourne, la veille a disparu, à sa place, une jeune fille, belle à couper le souffle, vêtue d’une longue chemise de nuit blanche à dentelles fines, de longs cheveux bruns défaits sur ses épaules.
- Juliette, murmure-t-il !
Elle sourit et s’avance vers lui, les bras en avant alors que le chien se met à hurler…

25 juillet 2008

le balcon

divers_printemps__t__08_082

Aujourd’hui, il ne la voit pas et il en est triste, elle lui manque, sensation bizarre que cette dépendance toute fraîche... Cette silhouette, il l’a aperçue un peu par hasard, un matin alors qu’il promenait son chien dans cette jolie cité de Vicenza où il séjourne pour se remettre de cette saleté qu’on appelle cancer et qui a failli le tuer. Ce jour-là, il ne sait pas pourquoi, ses pas l’avaient emmené sur un autre chemin et il avait pensé « pourquoi ne pas changer la routine ? » Il avait pris plaisir à regarder les façades des maisons qui se succédaient, le soleil chauffait ses bras et son crâne dégarni et, un peu en sueur, il avait trouvé refuge sous un arbre en s’octroyant une petite halte sur le banc disposé à cet effet. Le balcon était en face, s’offrant à sa vue et à sa curiosité. La végétation qui montait à l’assaut de la maison en briques camouflait la décrépitude des murs et leur effritement. Il admirait les colonnes supportant le toit du balcon quand il distingua une forme se mouvant dans l’ombre. Tout d’abord, il n’avait aperçu qu’une vague ombre mais progressivement, il avait su deviner les gestes gracieux des bras qui tenaient un arrosoir ancien en cuivre mais n’avait pu discerner les traits cachés par un chapeau charmant à larges bords. L’habillement semblait désuet mais il n’en était pas sûr. Le lendemain, il était revenu à la même heure et avait assisté au même rituel. Depuis 10 jours, il ne manquait aucun rendez-vous et cette simple apparition suffisait à combler sa journée. Sur son banc, il ne bougeait pas et il ne savait pas si elle l’avait remarqué, elle n’en donnait aucun signe.

Il avait même rêvé d’elle et il doit l’avouer, les images qui lui étaient restées n’étaient pas anodines. Il se demandait si il n’était pas en train de tomber amoureux d’une ombre ?
Le rêve ne suffisait pas, il voulait savoir qui elle était. Il s’installa à son ordinateur et chercha qui habitait là mais il ne trouva rien. Il alla donc rôder autour de la maison et profitant de l’opportunité du chien, commença à parler avec les personnes qu’il croisait dans le coin, à les questionner mais sans résultat. Un jour, il entra dans le café situé en face, s’accouda au bar et demanda au patron s’il savait qui habitait cette maison. Le patron, un rondouillard à l’allure débonnaire comme le sont souvent les rondouillards, le regarda d’un œil perplexe, puis sans se presser, lui demanda.
- Pourquoi vous voulez savoir ?
- Euh, par curiosité !
L’homme posa son torchon et vint s’accouder en face de ce client curieux. Il le fixa dans les yeux.
- La curiosité peut parfois être malsaine. Vous voulez un conseil, orientez votre curiosité ailleurs.
Il se redressa et sans plus accorder d’attention à cet inconnu qui posait des questions sans réponses, il héla un autre client et débuta une conversation anodine sur le temps qu’il faisait.
Jacques, car tel était son prénom, paya et sortit. Sa curiosité avait été attisée et il s’enhardit. Il sonna à la porte de la maison. La porte resta close. Il fit un pas en arrière, cherchant des ombres derrière les fenêtres, mais rien ne bougeait.
- Vous cherchez quelqu’un ? demanda une voix
Il se retourna pour se trouver presque nez à nez avec une veille dame voûtée, au visage plissé comme une vieille pomme, fichu noir sur des cheveux blancs comme neige. Des yeux lavés par les ans le scrutaient d’un air bienveillant. Il se sentit en confiance.
- Je cherche à savoir qui habite cette maison ?
Elle hocha la tête.
- Et pourquoi voulez-vous savoir qui habite là ?
- J’ai aperçu une silhouette au balcon et…
Qu’allait-il dire ? Qu’il était tombé amoureux d’une ombre ? Ridicule, il était ridicule. Alors qu’il se creusait la tête pour terminer sa phrase en trouvant une suite admissible…
- Et vous êtes tombé amoureux ?
Il la regarda bouche-bée, comment avait-elle deviné ?
- Venez !

 

13 juin 2008

la lettre (version 2)

Elle tient la lettre dans sa main, debout au milieu de sa cuisine et elle n’en revient pas. Ça alors, trente ans sans nouvelles et il propose un rendez-vous, comme ça, la bouche en cœur et les mots racoleurs ! Quel con, non mais, il croit quoi ? Il croit au Père Noël ? Il l’a laissée tomber comme une vieille chaussette, sans explications, du jour au lendemain alors qu’ils parlaient avenir, projets et il faudrait qu’elle accepte de le revoir parce qu’il réapparaît ? Mais est-ce qu’il se rend compte, ce tordu, les lacs que ses larmes ont formés à ses pieds pendant des semaines, des mois, les efforts qu’elle a dû faire pour essayer de se reconstruire, de vivre à nouveau après le coup de salaud qu’il lui a fait ? Elle a tout imaginé, s’est donné tous les torts, était prête à devenir autre pour lui et lui, d’un coup de torchon, il a tout balayé sans explications la laissant en plan avec ses questions et ses doutes.

Elle regarde par la fenêtre, voit le rosier dans le jardin, ricane. « Et dire que j’ai insisté pour que les roses soient jaunes, en souvenir de lui. Il m’en offrait à chaque rencontre et cela m’attendrissait, ce côté touchant qui ne cadrait pas avec son apparence. » Elle crie tout haut, levant les bras au ciel : « Alors que j’avais tout oublié, pourquoi il revient à la charge, après toutes ces années ? Et en plus, je suis sûre qu’il est devenu moche, gros et qu’il a perdu ses cheveux, il va me massacrer mes souvenirs ! ». Elle regarde son reflet dans la vitre de la fenêtre et poursuit : «  Et toi aussi tu vas lui faire un choc, diable trente années, ça laisse sa trace…quitter une minette de 20 ans et retrouver une femme mature comme on dit maintenant, c’est pas anodin ! ».

Elle baisse les yeux, relit la lettre et note le numéro de téléphone, que faire ?

12 juin 2008

la lettre (version 1)

Elle tient la lettre dans sa main, debout au milieu de sa cuisine, l’esprit envolé vers ses lointains souvenirs. Trente ans, trente ans sans nouvelles et pffff, une lettre fait tout remonter à la surface. Trente ans à essayer d’oublier, à enfouir très loin, très profondément ce visage, ce sourire, ces bras qui la serraient, ces mains qui la parcouraient, ces lèvres qui cherchaient les siennes…

Elle tourne son visage vers la fenêtre et ses yeux tombent sur le rosier jaune, note ensoleillée en ce jour assez gris. Elle sait maintenant pourquoi elle aime les roses jaunes et pourquoi elle a insisté pour en planter un…il lui offrait à chaque rencontre une rose soleil, elle avait toujours trouvé cela touchant, cela ne cadrait pas avec son côté un peu loubard. Elle avait tout juste 20 ans, il en avait 10 de plus, elle avait été subjuguée par sa moto, son assurance, sa douceur, son expérience. Dans ses bras, elle avait expérimenté les jeux interdits et son corps de femme s’était éveillé à des sensations qu’elle n’avait pas retrouvées dans d’autres bras. Leur dernière nuit avait été sublime, repas aux chandelles, bonne chère, bon vin, elle avait un peu trop bu, il l’avait portée dans la chambre, l’avait déshabillée comme on effeuille une fleur et avait été très doux…Le lendemain il avait disparu. Envolé, sans un mot, sorti de sa vie sans savoir ni comment ni pourquoi ! Elle l’avait cherché, partout, longtemps  mais avait dû se rendre à l’évidence, il était parti en l’abandonnant, en abandonnant tout, leurs rêves, leurs espoirs…ses espoirs.

« A 20 ans, on oublie, on est jeune, c’est facile », lui avait-on dit. A 20 ans, on aime avec tout son cœur et quand ce cœur est poignardé, lacéré, cela met long, très long à cicatriser.

Et maintenant, cette lettre, ce téléphone à composer, cette rencontre à programmer…

14 décembre 2006

La folie d'Odette. 2

- Ca va Madame, je vous ai fait mal ? demande la jeune fille

- Ca va, ça va, mais j’ai eu si peur de tomber, vous savez à mon âge, une chute cela ne pardonne pas.

Elle lève les yeux et rencontre deux billes noires qui la scrutent de façon intense.

- Vous vous sentez bien, vous voulez que je vous raccompagne, vous habitez loin ?

Alors qu’elle songe à refuser cette aide, elle se met à regarder d’un peu plus près cette jeune personne qui lui fait face. Seize ans, dix-huit, difficile à dire, grande, les cheveux frisés de couleur châtain, tirés en arrière et arrangés à la va-vite avec une grosse pince, un visage rond avec des tâches de rousseur, habillée d’un gros pull, d’un pantalon qui traîne sur le macadam, de baskets qui ont dû être blanches une fois et d’un gros sac en crochet qui lui barre la poitrine.

- Dites Madame, vous allez bien, vous êtes toute pâle ?

Odette s’apprête à la rassurer mais quelque chose l’arrête. Cette jeune dégage un étrange sentiment en elle, elle semble si triste qu’instinctivement la vieille dame sent ses capteurs émotionnels l’avertir de quelque chose. Elle ne sait pas quoi mais il y a quelque chose. Elle décide d’en avoir le cœur net, d’y mettre son nez, après tout elle a tout son temps.

- Vous vous appelez comment ?

Un peu surprise, la jeune fille répond.

- Kalinka

- C’est un prénom original, je ne l’ai jamais entendu.

- Il est d’origine slave, je l’ai hérité de mon arrière grand-mère.

- Cela veut-il dire que vous êtes d’ailleurs, d’un autre pays ?

La jeune fille ne répond pas. Elle se contente de regarder cette dame qui lui pose des questions personnelles au milieu d’un trottoir. Elle aimerait continuer son chemin mais elle hésite à la laisser sans s’être assurée que tout va bien. Odette sent la retenue que ses questions ont provoquée, change de tactique et demande :

- Ce serait gentil à vous de me raccompagner chez moi, je me sens encore un peu chancelante, cela ne vous dérange pas, je n’habite pas très loin ?

Kalinka n’hésite pas longtemps, ramasse le sac de courses toujours à terre, prend Odette par le bras et questionne.

- C’est où chez vous ?

- Au numéro 28, le petit immeuble là-bas jaune aux volets gris. J’habite au deuxième, sans ascenseur.

- Cela ne vous dérange pas les escaliers, à votre âge…

La jeune fille se mord la langue. Ce n’est pas poli de rappeler son âge à une personne adulte, sa mère le lui a déjà dit plus d’une fois mais elle est de nature spontanée et cela lui a échappé. Odette émet un petit gloussement et répond.

- Monter les escaliers entretient ma forme j’adore marcher et je fais une heure de promenade par jour. C’est bon pour la santé. De plus je rencontre des gens sympas et parfois même adorables comme vous, dit-elle d’un air malicieux.

Kalinka ne répond rien. Elles continuent leur chemin et arrivent assez vite devant l’immeuble d’Odette. Celle-ci sent que la jeune fille aimerait maintenant s’en aller, sa bonne action terminée mais elle n’a pas envie de la laisser partir.

- Montez avec moi, je vais vous donner une plaque de chocolat pour vous remercier.

- Oh ! mais cela n’est pas nécessaire, Madame.

- Si,si, j’insiste, allez, venez et comme cela vous déposerez mon sac qui est un peu lourd pour moi, argumente Odette qui ne se gêne pas de raconter un petit mensonge !

Refuser quelque chose à une vieille dame quand on est une jeune fille un peu timide n’est pas aisé et Kalinka n’ose pas décliner l’invitation. Elle suit un peu à contrecoeur son interlocutrice. Arrivée sur le palier, elle tente à nouveau de quitter la vieille dame en argumentant que c’est dangereux d’introduire des personnes qu’on ne connaît pas, qu’il y a plein d’histoires sur des personnes âgées qui ont été détroussées, etc. Odette se retourne, la regarde intensément et lui dit.

- Je suis entièrement d’accord avec vous, ma petite mais si j’insiste c’est que j’ai eu le sentiment bizarre et inexpliqué que vous alliez faire une bêtise et que je devais vous aider.

5 décembre 2006

La folie d'Odette

Il est

16h45

ce samedi d’octobre, Odette entre dans le magasin d’alimentation, prend un panier et se dirige directement vers le rayon poissonnerie. Si il y a des rabais substantiels, c’est d’abord dans cette partie du super marché. Le poisson ne peut passer le week-end en invendus et c’est la première chose que le gérant solde, depuis le temps, elle le sait ! Elle grimace un peu en constatant qu’aujourd’hui, elle n’est pas la seule à y avoir pensé. Tous ces gens qui s’agglutinent autour du vendeur qui lui, imperturbable, colle les petits ronds rouges sur les barquettes offrant ainsi des rabais de 25% à 50 % sur les prix affichés. Elle a de la chance, elle arrive à saisir rapidement des petits filets de carrelet et une truite pour moitié prix. Elle sourit et contente se dirige maintenant vers le coin viande. Plus grand-chose mais un émincé de foie de bœuf soldé à un prix dérisoire lui fait penser que Domino, son beau matou adoré, a droit lui aussi à une petite gâterie. Le magasin par son haut-parleur annonce à son aimable clientèle qu’il va fermer et que les personnes sont priées de se diriger vers les caisses.

C’est ce que fait Odette non sans avoir passé au rayon boulangerie et produits laitiers pour profiter de quelques bonnes affaires encore. En déposant ses courses sur le tapis roulant, elle calcule mentalement le prix de ses achats et soulagée, constate qu’elle a suffisamment d’argent dans son porte-monnaie et qu’elle n’est pas obligée de laisser un article de côté. La caissière, fatiguée par sa longue journée, ne réagit pas tout de suite au beau sourire de cette petite femme menue qui lui tend son billet de 20.-. Ce n’est qu’en lui rendant sa monnaie qu’elle répond à son tour d’un sourire tout en lui souhaitant un bon dimanche. Odette hoche la tête, salue d’un petit geste, ramasse ses courses et d’un pas trottinant sort du magasin. Elle n’habite pas loin, son sac n’est pas lourd et comme il fait beau, elle se permet le chemin des écoliers pour rentrer chez elle. Elle a envie de passer devant la ferme des Mathis, qui sait, il y aura peut-être des légumes ou des œufs à acheter ?

Arrivée à la hauteur du maraîcher, elle est dépitée : la chaîne barricade l’entrée du parking de terre, les étalages sont vides et un panneau informe qu’exceptionnellement la fermeture s’est effectuée à

15h.

Dommage se dit Odette en continuant sa route, ce sera pour une autre fois. Plus loin, elle croise Monsieur Hofer qui promène son chien. Gentleman, il soulève son chapeau et la salue, elle répond pas un petit signe de tête mais ne s’arrête pas. Cela fait bientôt 2 ans qu’il est veuf et visiblement sa solitude devait lui peser car chaque fois qu’il la rencontrait, il essayait de l’aborder et de lui parler. Au début, elle s’était sentie solidaire mais rapidement, l’entendre continuellement se lamenter lui avait chauffé les oreilles et, tout en essayant de rester polie, elle avait décidé de mettre au point une stratégie pour éviter ces rencontres qui ne lui apportaient rien. S’en était-il aperçu ? Vraisemblablement oui car cela fait un moment qu’il se contente de la saluer sans plus chercher à l’aborder. Elle s’est sentie un peu confuse au début mais après tout, si à son âge, elle n’est pas capable de renvoyer les pleureurs, les enquiquineurs et les râleurs, qui pourrait le faire ?

Au loin, un beau coucher de soleil irradie de ses derniers rayons les tours de Vedmont. « Ce doit être beau d’habiter au dernier étage » se dit Odette, « la vue est sûrement splendide, je me demande comment c’est de là-haut ? ». La voilà dans sa rue, les feuilles tombées des arbres qui la bordent crissent sous ses pas. Elle fait attention à ne pas glisser, elle serait belle avec une fracture comme cela était arrivé à Mme Planchet. Deux mois d’hôpital pour finir ensuite dans un établissement médico-social d’où elle n’était plus ressortie. Elle ne pouvait plus rester seule qu’ils ont dit et son appartement à été rapidement débarrassé puis loué à un couple de jeunes. Odette ne veut pas que cela lui arrive alors elle fait attention.

Tout occupée à regarder où elle pose ses pieds, elle ne voit pas une jeune fille, une adolescente encore, qui vient en sens inverse. Celle-ci, perdue dans ses pensées, ne voit pas Odette non plus et ce qui devait arriver, arriva, elles se télescopèrent. Odette lâche son sac qui tombe à terre, chancelle, fait des moulinets avec ses bras et se sent partir à la renverse. Heureusement, une main ferme la saisit et la remet en équilibre. Sous le coup de l’émotion, Odette murmure : « Oh ! mon Dieu, oh ! mon Dieu », la main sur son cœur qui palpite de façon désordonnée.

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