Le boucher-poète
Le lundi, la boucherie était fermée, alors parfois ils partaient à la campagne. Ce lundi-là, lui contemplait le paysage et respirait la beauté des lieux alors que sa femme feuilletait Gala, assise sur son siège pliant en toile bleue et rouge. Pendant un long moment il resta silencieux et son regard vogua sur l’onde paisible ; soudain, mû par une veine lyrique, il déclama presque exalté :
- Je suis l’eau, le ciel, le baiser bleu-vert de l’herbe couchée, l’arbre gorgé de sève...
- Arrête tes sornettes, je lis ! Répliqua sa femme énervée.
A chaque fois qu’il improvisait un poème, elle l’humiliait. Comme si elle était dérangée de voir que derrière son tablier de boucher et ses mains rouges-sang il y avait aussi un poète ! Il faudrait pourtant qu’elle s’y habitue : dans sa vie, la viande et la poésie occupaient la même place. Et si elle s’obstinait à ne voir que le boucher en lui, il ne faudrait pas qu’elle s’étonne si un jour, il lui plaçait la pointe de son couteau affûté sous la gorge...
PS : texte écrit à partir de cette photo gentiment prêtée par Latil.