Il avait regardé la planche à repasser et le fer pendant quatre jours avant de  savoir si oui ou non le moment était venu de passer à l’action, et puis le mardi il s’était décidé.
Une fois le premier tee shirt repassé, il s’était effondré sur le canapé : l’effort avait été trop violent.

Elle l'avait tué le jour de la St Valentin - le plus beau cadeau qu'elle pouvait lui faire. Une fois le crime commis, elle déposa sur sa chemise bleue un énorme cœur rouge, en souvenir de son amour défunt. De peur qu’il ait mal compris son geste elle lui chuchota la première strophe de ce fado* déchirant :

Ne prends pas la peine de m’aimer
Sans que je ne te le demande.
Ne me donne rien, non plus,  que
Je ne puisse mériter
Ne rejette pas ensuite
La faute sur moi
C’est sincère
Parce que je ne veux pas
Te faire de peine.


*Ce fado est ici chanté par Amalia Rodrigues, la plus grande chanteuse de fado portugaise, morte en 1999. Le mot fado veut aussi dire  destin

A chaque fois qu' elle passait devant la boucherie,   il arrêtait de servir les clients pour lui adresser un sourire. Jusqu’au jour où  il l’avait attendue sur le pas de la porte,  un bouquet de fleurs jaunes et mauves à la main. C’est pour vous, lui avait-il dit, presque timide.

Elle avait rougi et  avait accepté les fleurs sans mot dire. Quand il  avait ajouté qu’il l’aimait, elle n’avait rien répondu, mais elle avait ouvert son sac, en avait retiré une feuille blanche et, d’une écriture sage, elle avait écrit :

« J’ai lu sur vos lèvres que vous m’aimiez. M’aimeriez-vous encore si je vous disais que je suis sourde et muette ? »…

PS : photo prêtée par R. B.

Il voulait toujours mettre les élèves « en activité » ; le seul problème, c’est qu’eux n’avaient nullement l’intention de s’activer.

A quoi bon t’acharner ? lui répétait sa femme. Et il répondait inlassablement : Ce sera moi ou eux ! Et ce fut lui.

La clinique de la Verrière, blottie dans son « écrin  de verdure » – comme aurait pu l’écrire le guide michelin - l’accueillit pour une assez longue période. A l’atelier marionnettes, où il  rencontra Geneviève, une ancienne collègue du Lycée Jules Ferry elle-même en CLM*, il devisait agréablement sur les activités proposées et refusait même, parfois, de se mettre en activité…

*congé longue maladie

Elle avait tagué « l’origine du monde » et, presque immédiatement, on l’avait arrêtée. Quand on l’avait interrogée, elle avait répondu : « je m’en bats les couilles de l’origine du monde ! ». Ce fut aussitôt une hospitalisation d’office.
Bien plus tard, le psychiatre qui la suivait avait appris qu’elle ne savait rien de ses origines…

PS : texte inspiré de ce fait divers

Il en avait ras le crucifix de sa vie de pape. Il constatait, d’ailleurs, que la chute abyssale du  mercure du thermomètre de la foi accentuait son syndrome dépressif. Même ses mocassins rouges, astiqués chaque jour par son fidèle valet de pied, ne lui procuraient plus aucun plaisir quand il y glissait ses pieds gonflés.
Une chose était sûre, dès qu’il ne serait plus pape, il pourrait enfin mettre à l’index sa langue de bois qui lui avait rendu  la bouche si pâteuse qu’il n’avait plus le goût à rien…

Il y avait des caméras partout – une pour 30 citoyens  – et aucun pouce de bitume ne leur échappait. Jour et nuit elles filmaient et moi je contrôlais et stockais ce que jamais personne ne regarderait. Et puis il y eut ce jour-là...

La fille était en haut d’un pont, elle hésitait, sur le fil de la vie ; moi je la regardais, témoin invisible. J’aurais voulu sortir, courir, lui dire d’arrêter, mais je ne pouvais pas. On m’aurait fichu à la porte.  Et puis soudain il y eut ce type sorti de nulle part. Jamais je n’oublierai. Cette vidéo, je l'ai gardée pour moi, elle est là, regardez-là et je suis sûr que vous non plus vous n’oublierez pas.

La semaine prochaine, elle n’aurait pas le temps de s’ennuyer : le lundi dentiste, le mardi radio des poumons, le mercredi scanner, le jeudi courses, le vendredi  phlébologue, le samedi repas avec son fils et le dimanche repos.

Enervé, le professeur lui avait dit.

- Bon, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

Elle n’avait rien répondu. Elle regardait alternativement le sol et l’horizon, mais elle ne se décidait toujours pas. Elle avait peur. Il le savait. Sans cesse il la rappelait à l’ordre, lui faisant des réflexions qu’il n’aurait certainement pas faites à d’autres ; la veille il l’avait même traitée, moqueur, « d’oiseau qui aurait perdu ses ailes ». Jamais elle ne lui répondait… sans doute parce que le professeur n’était autre que  son père.

PS : photo prêtée par R. B.

Depuis qu’il prenait son traitement pour la repousse des cheveux, ceux-ci reprenaient du poil de la bête, mais sur son dos, son ventre et ses oreilles…