Allongée sur le lit à moitié défait d’une chambre d’hôtel tristement banale, elle restait silencieuse alors qu’il attendait une réponse de sa part. Pourquoi persistait-il à la vouvoyer ? Elle en ressentait une certaine irritation. Sans doute souhaitait-il qu’elle le rassure, qu’elle lui dise que ce n’était pas grave, que tout vient à point à qui sait attendre, que demain serait un nouveau jour, qu’il n’y avait quand même pas que « ça » dans la vie… mais elle n’y arriva pas et articula d’une voix agacée.
- Bien sûr que ça me déçoit, je ne suis ni Mère Térésa, ni Sœur Emmanuelle !
« Parmi les enseignements de
Bahà’u’llàh, il y a l’égalité de l’homme et de la femme. L’humanité a deux
ailes, la masculine et la féminine. Un oiseau ne peut voler que si ses deux
ailes sont également développées. Si une aile reste affaiblie, le vol serait
impossible. La réussite et la prospérité ne seront atteintes que lorsque
l’univers de la femme égalera celui de l’homme ».
Extrait des écrits de la religion
baha’ie, dont les enseignements ont été promulgués dans la Perse du XIXème
siècle, extrait transmis par un ami.
Ils étaient chez Alain Aflelou, « Deux lunettes de plus pour un euro de plus. » ! Son mari devait se choisir une nouvelle monture. Elle, elle était venue parce qu’il avait eu un argument convaincant.
- C’est quand même toi qui me verras le plus avec mes lunettes !
Son mari choisit trois montures. La vendeuse le félicita du choix, mais n’était-elle pas prête à lui dire que tout lui irait même ce qui ne lui irait pas juste pour accélérer la vente ? Soudain, faisant preuve d’initiative alors qu’on ne lui demandait rien, elle lui tendit des lunettes à la monture marron, classique, hideuse, qu’il chaussa sans hésiter.
- Ah non, pas celles-là, s’écria sa femme, j’ai l’impression de voir mon grand-père, il avait les mêmes !
- Bonjour Madame, nous sommes
mandatés par une radio pour une enquête sur les goûts musicaux des personnes,
nous recherchons des femmes entre 17 et 29 ans.
« Ouf, se dit-elle, ce n’est
pas pour moi » et soulagée de ne pas être obligée de trouver plein
d’arguments pour refuser, elle répond toute contente.
- Dommage pour vous car j’ai 50
ans.
Le jeune homme à l’autre bout du
fil insiste et demande s’il n’y a pas dans la famille une jeune femme répondant
à ce critère. Elle ne se sent pas de mentir alors elle avoue que ses deux
filles sont dans cette tranche d’âge. Il insiste gentiment pour leur parler
mais elle rétorque qu’elles ne sont pas là. Quand peut-il rappeler alors ?
Ils conviennent d’un rendez-vous pour un autre jour. Curieuse comme à son
habitude, elle demande d’où il appelle et alors qu’elle se trouve à Lausanne,
le téléphoniste se trouve en Allemagne. Elle pense alors à la globalisation et
se demande le pourquoi d’avoir un téléphoniste allemand maitrisant le français
pour un sondage en suisse romande ? Alors qu’elle surfe sur cette
question, le jeune homme allemand pose la question qui tue.
- Et vous, vous êtes la
grand-mère ?
- Ahhhhh !
Elle préfère éclater de rire et
rétorque qu’elle est la mère. Il reste imperturbable, il la remercie et lui dit
au revoir. En reposant le combiné elle se dit qu’elle vient d’attraper un sacré
« coup de vieux ».
Depuis 15 jours ses idées étaient aspirées par un vide vertigineux et son fichier attendait toujours les brassées de mots qui auraient dû peupler l’écran vierge. Face à l’ampleur du désastre, il se résolut à « emprunter », comme il le disait pudiquement. Il n’en était pas à ses premiers « emprunts », mais il préférait oublier ses larcins passés ; il aimait à se penser fécond alors que sa plume était sèche.
En chasseur de mots éprouvé - plus de trois ans d’expérience et déjà un livre publié – il investit son champ d’action : la toile mondiale. Les mots des autres le fascinaient et il savait choisir les meilleurs, ceux qui habillent les textes de soies légères.
Il n’avait jamais eu aucun remords à prendre les mots des autres ; les textes publiés par d’anonymes écrivants n’étaient-ils pas la propriété de tous ? Et puis, qui aurait pu savoir à quels cambriolages il se livrait devant l’écran de son ordinateur ?
Il ingérait tout ce qu’il pensait pouvoir digérer. Quand un texte l’inspirait au point de le vouloir voler, il opérait sur lui une opération chirurgicale décisive. Depuis qu’il était passé maître en l’art de la transformation, sa conscience s’allégeait. Ne faisait-il pas que s’inspirer ? N’était-ce pas ce que les écrivains avaient fait de tout temps ? Tout texte n’était-il pas que réminiscences digérées d’autres textes ?
Parfois un doute l’étreignait - ne serait-il pas devenu faussaire ? – mais il le dissipait très vite. Son deuxième manuscrit allait bientôt prendre forme…
PS : pour comprendre ce qu’est plagier, consulter ce site en langue anglaise : http://www.plagiarism.org/
Clara Magouille observait son
visage et ce que le miroir lui retournait ne lui plaisait pas, mais alors pas
du tout ! Ses rides disparaissaient, les verrues qu’elle avait sur les
joues et le front rapetissaient, la bosse sur son nez s’aplatissait et comble
de malheur, ses cheveux hirsutes à souhait prenaient une couleur miel tout en
ondulant, l’horreur totale !
« Il faut que je réagisse,
les autres sorcières vont se moquer de moi et je vais être la risée du bal de
la Saint Pétulon » Elle se leva d’un bond et chercha dans sa bibliothèque un
grimoire qui pourrait lui donner la recette pour retrouver sa laideur. Elle
trouva les « 37 façons pour ternir un teint de pêche en teint
terreux », « Nez crochus, becs d’aigle : 99 idées » ainsi
que « Cheveux de paille ou huileux, que choisir ? ».
- Parfait, j’ai deux jours pour
me refaire une laideur, au travail !
Elle enfourcha son balai et se
rendit au marché des Crèves-grenouilles pour trouver tout ce qu’il lui fallait
pour ses potions. Sa beauté étant trop évidente, elle mit des lunettes noires à
monture de crapaud, un fichu troué sur la tête et des gants en peau de limaces pour
camoufler ses mains toutes dodues et roses en se disant que si tôt le matin, le
risque de se faire reconnaître serait minime, les autres sorcières fuyant le
soleil et les journées éclatantes. Elle avait bien calculé car le marché était
quasi désert et ses emplettes furent faites en un temps record. Une horrible
robe en fils d’araignées agrémentée de cafards bruns et noirs lui fit de l’œil
et elle hésita avant de craquer et de se l’offrir. De retour dans sa grotte,
elle se mit tout de suite à l’ouvrage, les onguents et autres crèmes devant être
utilisés le plus rapidement possible pour un effet optimal. La colle qu’elle
mit sur ses cheveux eut un pouvoir fantastique et fit disparaître les
ondulations. Quant à la couleur miel, elle fut remplacée par du gris sale qui
allait parfaitement avec les tons de sa robe neuve.
Les verrues se multiplièrent et
se disséminèrent sur tout son corps. « Parfait se dit-elle, cela m’évitera
de poser un châle sur mes épaules, mes bras et mon décolleté seront hideux à
souhait. » Ses rides par contre, refusèrent de se creuser davantage !
Folle de rage, elle passa toute la nuit et toute la journée du lendemain à
chercher et essayer les 37 potions de son livre, sans succès. Son visage
présentait une surface lisse que les verrues ne parvenaient pas à camoufler et
son teint, du rose avait viré au blanc pâle, ce qui accentuait encore plus l’effet
de jeunesse qu’elle ne voulait pas. Elle dû donc tricher et à l’aide d’un
crayon gris, marqua autour des yeux, au coin de son rictus et sur son front des
traits profonds qui de loin pouvait passer pour une peau fripée.
« Finalement, ce n’est pas si mal ! » se dit-elle en enfonçant
son chapeau noir suffisamment fort jusqu’aux yeux, plaquant ainsi ses cheveux
de telle façon que le visage disparaissait derrière eux.
Rassurée sur son image, elle
s’octroya un petit verre de Muscadet, car on a beau être sorcière, on peut être
sensible à certains petits plaisirs plus communs…
Désespérés, ils erraient dans les rues de cette ville de bord de mer depuis 10 minutes sans trouver aucune place pour se garer, quand soudain sa mère s’écria d’une voix impatiente. - Non, mais regarde-moi ça, il y a plein de places handicapés et ils occupent même pas leur place, les handicapés ! Tu n’as qu’à t’y mettre !
Voilà un an qu' il s'envoyait des lettres, tous les jours, sans jamais indiquer l'expéditeur. Sa femme s'étonnait de ce courrier massif, mais elle préférait se taire, elle ne voulait pas lui laisser penser qu'elle s'intéressait à lui. Quand il les parcourait, il prenait un air mystérieux. Parfois il souriait, mais la plupart du temps son visage n'exprimait rien.
Jamais elle n'avait ouvert son courrier, mais l'envie la tenaillait de lire l'une de ces lettres, non qu'elle fût jalouse - elle ne l'aimait plus depuis longtemps – mais curieuse.
Le jour où elle le retrouva pendu à la cave et où elle vit le sol jonché de lettres, elle comprit. Chaque lettre répétait le même texte, mot pour mot :
" Voilà une bonne chose de faite, je me suis suicidé ; j'ai cru que je n'y arriverai jamais, mais si, la méthode Coué fait des merveilles, n’est-ce pas ce que tu me disais ? Tu es devant moi, ma tête pend au bout d’une corde et je suis enfin débarrassé de moi… et de toi.
Jean
PS : les enfants sont grands, tu inventeras le mensonge qui t'arrange, comme d'habitude, je te fais confiance."
Etrange, cette panique qui s'empare de nous lorsque les premières rides arrivent, sans parler de la détresse qui nous saisit quand deux poches impitoyables soulignent nos yeux presbytes et de l'angoisse qui s'installe quand nos joues, autrefois si fermes, se ramollissent irrémédiablement !
Je me demande s'il ne vaudrait pas mieux se faire opérer dès la naissance… pour avoir une tête de vieux !
Il n’a eu qu’un but dans sa vie : me contredire. Quand j’indiquais une route, il en prenait une autre ; si je montrais le Nord, il regardait le Sud et si je disais rouge, il me répondait vert. Notre vie était un contresens. Nous avions atteint ce que j’ appellerais « le seuil de l’angle mort ».
Au bout de 5 ans, nous ne nous parlions plus. Nous griffonnions sur des papiers les mots du quotidien : « Ferme le gaz !», « Donne à manger au chien ! » ou « Achète du pain ! »…
Un beau jour, j’ai cessé de lui écrire, je n’avais plus d’encre. C’est à ce moment là qu’a germé en moi l’idée de le tuer, idée chassée très vite. Moi ? Le tuer ? Non, je respecte trop la vie, même la sienne !
Lui, par contre, il n’a pas hésité, et maintenant je coule des jours paisibles sur cette colline… Vous voulez savoir où j’habite ? Et bien c’est par là… vous suivez l’allée centrale, vous prenez la cinquième allée à gauche, et c’est tout au fond, juste sous l’érable. Vous verrez, elle est en marbre rose. Ah, ça, il m’a gâtée !