« D'après moi un étranger entrera dans votre tombe », c’est ce que lui avait dit une voyante, en ce jour de vague à l’âme où elle avait eu envie de mourir sans en avoir le courage ; pourtant, son contrat obsèques était déjà prêt. Il lui aurait fallu juste un petit déclic pour sauter le pas.
Ce contrat, elle ne l’aurait jamais pris si l’employé de l’assurance n’avait pas été aussi jeune, souriant et inexpérimenté. Elle lui avait même offert un thé et le jeune homme lui avait longuement parlé de ses parents, de sa nostalgie du Sud et de la rude concurrence qui régnait sur « le marché de la mort ». Elle n’avait pu s’empêcher de sourire en entendant cette expression. Il y avait des marchés pour tout. Quelle inconvenance ! Il la remercia chaleureusement pour le thé, pour l’assurance – ce devait être son premier contrat – et il lui assura que les prestations seraient parfaites. Elle sourit et referma la porte derrière lui.
Le jour où elle avala ses comprimés, en trois fois, elle ressentit un immense soulagement, sans doute parce qu’elle partait pour un long voyage et qu’elle ne serait pas seule, il y avait ce fameux étranger...
Le jeune homme ne lui avait pas menti. L’enterrement fut parfait et elle ne regretta pas son investissement. Dommage qu’il y ait eu si peu de monde. Mais elle avait si peu d’amis. Elle les entendit cependant soupirer, surtout Ginette et Adèle, il faut dire qu’elles étaient très proches étant jeunes. Son ex-mari était là aussi, toujours aussi raide, et son fils, Marc. S’il soupira, ce fut sans doute de soulagement. Et puis il y avait cet étranger aux cheveux blancs, juste derrière son mari. Mais celui-là, elle ne le connaissait pas ou elle ne se souvenait pas de lui.
Une heure plus tard, le cimetière avait retrouvé sa quiétude. Alors qu’elle croyait s’être endormie, quelqu’un frappa. Elle dit « Entrez », machinalement, et elle vit l’étranger aux cheveux blancs. Il lui dit aussitôt.
- Tu te souviens ?
Elle chercha en vain et lui répondit que non, vraiment, elle ne voyait pas qui il était malgré ses efforts.
- Et si je te dis, Rouen, 1965 ?
Le souvenir lui revint alors, si parfait qu’elle en fut bouleversée. Il avait 20 ans, elle aussi. Ils avaient fait l’amour pour la première fois et il lui avait dit, le lendemain, qu’il allait entrer dans la police. Elle avait répondu que dans ce cas, ils ne pourraient plus se revoir. Elle ne lui avait jamais expliqué pourquoi.
- Je voudrais savoir pourquoi tu es partie, dit-il d'une voix émue.
Elle sourit. Il se glissa à l’intérieur et referma le couvercle derrière lui. Elle se demanda ce qu’elle pourrait lui offrir, à part l’éternité…
PS : une couverture réalisée grâce à ce merveilleux site de Générateur de titres