Pour le duo suivant, le collage de Patrick a inspiré mon texte. Ces duos sont tous sur le blog jedouble.
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Enfant, il avait eu un cheval. Non, pas un vrai cheval, un cheval imaginaire qui vivait dans sa chambre nuit et jour mais personne ne le savait. C’était leur secret. Dès le matin, le cheval tendait sa tête vers l’oreiller, l’enfant lui caressait le chanfrein et l’animal manifestait sa joie par un hennissement sonore.
Les parents ne prêtaient que peu d’intérêt aux histoires de l’enfant; ils n’avaient pas le temps, c’est tout au moins ce qu’ils disaient. Quand les gens demandaient des nouvelles de leur fils, le couple le décrivait comme rêveur et introverti. Le fils ne se plaignait pas de ses parents. Leur inattention lui permettait de vivre de grands voyages avec son compagnon. La nuit ils galopaient ensemble dans des contrées chimériques et le jour, l’enfant se contentait de flatter l’encolure du cheval couché à ses côtés, près de son lit.
L’enfant avait voulu placarder sur les murs de sa chambre des posters de chevaux. Au départ les parents avaient refusé – il ne fallait pas salir les papiers - mais, lassés devant l’insistance de leur fils, ils avaient fini par accepter. Et l’enfant passait ses mercredis à contempler les chevaux des plaines de Mongolie, des parcs naturels du Wyoming et des prairies de Normandie où il jurait que son cheval avait été élevé. A l’école, il disait à qui voulait l’entendre que son cheval venait du haras du Pin, que c’était un pur-sang et qu’il s’appelait Roméo. Il ajoutait que lui seul pouvait le monter et que tout autre cavalier était mis à terre aussitôt qu’il essayait de se mettre en selle.
Chez Roméo, ce qui lui plaisait, c’était la douceur de son regard sous ses paupières dont les cils paressaient caresser la vie. Roméo avait toutes les qualités : fier, courageux et rapide ; sans parler de son galop, à nul autre pareil.
Le jour où l’enfant enfourcha Roméo et lui demanda de passer par-dessus le balcon de sa chambre située au deuxième étage de la maison, Roméo ne put s’empêcher de l’en dissuader par des hennissements réprobateurs. L’enfant ne voulut rien entendre.
- Vas-y Roméo, vas-y, criait-t-il de plus en plus fort en enfonçant ses talons dans les flancs de l’animal.
Le cheval hésitait et se cabrait, mais l’enfant refusa de céder et l’animal dut obéir. Quand les parents entendirent les cris ils sortirent affolés de la maison. Leur fils gisait sur le sol. Son corps ressemblait à une marionnette abandonnée et un petit filet de sang s’échappait de sa bouche. Avant de partir pour son dernier voyage, l’enfant murmura comme pour lui-même « Vas-y Roméo ! », puis il ferma les yeux.
PS : petite pause. Prochain texte le mercredi 26 juin, à 7 heures. Bon début de semaine à vous...