Disparition en forme de conte
Quand elle leur fit signe, ils ne daignèrent pas même tourner la tête et arrêter leur conversation oiseuse. Jamais personne ne s’était intéressé à elle dans cette ville anesthésiée où elle avait moisi toute son enfance. Pourquoi n’était-elle pas née à Paris, à New York ou à Londres ? Et pourquoi cette famille-là ? Non, elle ne serait pas comme eux, elle ne passerait pas son temps entre RSA et formations qui ne menaient nulle part.
Elle jeta un dernier coup d’œil autour d’elle. Au loin, la ville endormie, quelques passants qui ne se lassaient pas de passer, et toujours les longs cris stridents des goélands.
Puisque c’était ainsi, elle prendrait l’échelle, s’immergerait dans les flots sombres et deviendrait la princesse du royaume de la mer. La tête ceinte de sa couronne de sargasse, elle descendit les deux premières marches de l’échelle, s’immobilisa sur la troisième, s’empara de la pierre qu’elle avait fait rouler jusque sur le bord du quai puis se jeta à l’eau. Les flots se refermèrent immédiatement sur elle.
Son corps fut repêché six jours plus tard et le journal local en fit son gros titre :
« Privée de RSA, elle préfère mettre fin à ses jours en se jetant à l’eau. »
PS : Merci à Patrick Cassagne pour sa photo.