L’écrivain raté
Après son nième envoi à un nième éditeur de son roman intitulé " Et alors ? ", il avait dit exaspéré à l’être qui, au quotidien, assumait le difficile emploi non rémunéré de femme d'un écrivain raté.
- Le tampon dans la gueule, moi, je vais leur foutre mon tampon dans la gueule à ces éditeurs qui ne respectent pas les auteurs. Jamais une réponse aimable, jamais d’explication. Mais pour qui se prennent-ils ?
Elle avait hésité avant de lui répondre. Devait-elle lui dire l’exacte vérité – par exemple : mais pour qui te prends-tu, toi ? - devait-elle atténuer cette vérité – tu n’es pas le seul auteur qui envoie des manuscrits - ou devait-elle passer à un autre sujet. Elle pouvait aussi l'aiguiller – sans doute la solution la plus douce - vers un nouveau roman où il changerait de sujet, éviterait l’amertume, et se dirigerait à pas de loup vers un humour qu’elle pourrait peut-être caractériser d’aigre-doux.
Lassé de son silence il lui dit.
- Et toi, tu n’as rien à dire, rien du tout ? A croire que tu ne t’intéresses pas à moi. A croire que tu ne veux pas m’aider à ouvrir les portes.
Ah, ouvrir les portes, l’occasion était là, elle devait s’engouffrer dans le champ qu’il lui proposait.
- Justement, je pensais que tu pourrais naviguer sur une autre mer.
- Naviguer ? Tu te fiches de moi ou quoi ? Et de quelle mer tu parles ?
- Je voulais dire écrire, chéri, bien sûr, mais l’écriture est un voyage, non ? Pourquoi pas une écriture moins rude ?
- Rude, tu veux dire quoi exactement ?
- Un monde moins cru, voilà.
- Tu voudrais que je me lance dans l’eau de rose, peut-être, parce que les lecteurs aiment ce qui est fade ?
En observant son visage, elle comprit immédiatement que la tempête arrivait et elle essaya de naviguer vers des mers plus clémentes.
- Non bien sûr, ton style est ton style, bien à toi, mais les éditeurs attendent peut-être autre chose, voilà.
Il ne répondit rien, sortit de la salle et claqua la porte. Elle monta dans son bureau, ouvrit son ordinateur et regarda attentivement le manuscrit qu’elle avait écrit et souhaitait envoyer à deux éditeurs choisis précautionneusement parmi la liste d’éditeurs qu’il avait maintes et maintes fois contactés. Elle savait que ses chances étaient minimes, mais elle se dit : " Et alors ? "
Le titre de sa nouvelle était : « la valse des romans ». Oui, elle l’enverrait mais avec un pseudo et elle donnerait l’adresse de sa sœur, peut-être que…
PS : je précise que J'ai eu l'idée de parler de tampon en allant sur le site "le tampographe" évoqué sur "butinage" où je me promène au moins deux fois par semaine
PS 1 : prochain texte vendredi.