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Presquevoix...
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24 mai 2009

L’impasse (gballand)

vachesIls avaient roulé  pendant quatre heures puis s’étaient arrêtés sur une petite route départementale pour se dégourdir les jambes.

- Oh regarde, avait-elle dit mi-émerveillée, mi-amusée, en lui montrant le pré.

Et il avait vu le cul des vaches. Vision d’horreur, ça lui rappelait ses grands-parents et ses séjours longue durée à la ferme. Lui, on l’avait toujours laissé à la ferme avec les grands-parents. Pour s’en débarrasser, sûrement. Il ne put s’empêcher de faire un geste d’impatience.

- J’ai toujours détesté les vaches !

Il avait opté pour une réponse courte, par lassitude, mais il était sûr qu’elle ne s’en satisferait pas. Elle ne pouvait s’empêcher de lui poser sans arrêt des questions, comme les enfants. Il lui avait pourtant dit qu’il n’avait jamais voulu avoir d’enfants justement à cause de ces questions imbéciles qu’ils égrenaient comme des chapelets.


- Et pourquoi ? Ne manqua-t-elle pas d’ajouter.

Comme elle l’exaspérait quand elle lui demandait « Pourquoi » ! Dans ces moments-là, il la détestait autant que le cul des vaches. Cette fois-ci, sa réponse couperait court à toute conversation ; elle l’avait bien cherché. Ne lui avait-il pas déjà dit cent fois en six mois de ne pas lui poser ces questions qui ne rimaient à rien sinon à l’énerver ? Il jugea que le moment était venu de lui faire sentir que la limite était atteinte. Et si elle ne s’en remettait pas ? Elle partirait comme les autres, et alors ? N’avait-il pas toujours trouvé des femmes – et même de toutes jeunes femmes -  quand le désir le tiraillait ? Peut-être avait-il besoin d’un moment de solitude, sans questions, sans plaintes et complaintes, un moment où il se consacrerait entièrement à lui.


Il la regarda une dernière fois. Elle était jolie dans sa petite robe décolletée dont les couleurs mettaient en valeur sa peau brunie par le soleil. Presque une enfant. Qu’est-ce qu’il faisait avec cette toute jeune fille à peine sevrée ? La minute de tendresse passée, il  conclut.

- Tu veux savoir pourquoi ? Parce que j’ai passé ma putain d’enfance à la ferme ! Tout ça parce que mes parents ne supportaient pas le mouflet ! Alors la campagne, j’en ai ma claque ! Et quand je vois des culs de vaches alignés devant une mangeoire, j’ai l’impression de voir autant de culs de connards, qu’on gave pour les faire crever plus vite. Tu comprends pas que cette putain de vie ne vaut vraiment pas la peine d’être vécue ? Tu comprends pas que tu me fais chier avec ton sourire béat comme si la vie n’attendait que toi alors que merde, elle a déjà mis sa machine à broyer en route pour te faire disparaître !

Elle le regarda interloquée et des larmes commencèrent à rouler sur ses joues. Puis elle entra dans la voiture sans un mot et le voyage se déroula, comme il l’avait prévu, dans un silence de mort. Comme les autres, elle lui demanderait de s’excuser ; il ne s’exécuterait pas, et elle partirait. Il eut presque envie de siffloter en pensant au scénario à venir mais il se retint, par égard pour elle qui, mutique, continuait à fixer le paysage en essuyant ses larmes avec un mouchoir en papier qu’il lui avait donné.

PS : photo vue sur le blog photos de Coumarine et publiée avec son autorisation (qui date d’il y a un an)
   

21 mai 2009

Le cadeau de vacances (gballand)

Quand il était en vacances, il achetait toujours un cadeau à sa mère, souvent laid, exprès ; il ne pouvait  s’en empêcher. Non pas que sa mère ait été plus mauvaise mère qu’une autre, mais  il voulait l'encombrer, la gêner, et peut-être même l’obliger, une fois au moins, à lui dire le fond de sa pensée.

Après 10 ans de vacances dans les endroits les plus divers, il  se souvenait de presque tous les cadeaux qu’il lui avait faits. Elle les avait acceptés sans se plaindre, et même l’avait, à chaque fois, gentiment remercié. Certains étaient d’ailleurs exposés, comme des trophées,  dans les différentes pièces de la maison. Les sortait-elle de la cave lorsqu’il lui rendait visite trois fois par an ?

Le premier cadeau de la série, il l’avait acheté  en Espagne, à Malaga, ville hideuse s’il en est, hérissée d’immeubles, qui déroulait sa disgrâce le long de la côte sud. En se promenant dans la vieille ville,  il s’était  arrêté dans une boutique de souvenirs rafraîchie par un ventilateur qui tournait avec un bruit abominable. La ventilation aidant – il faisait 40 degrés à l’extérieur – il était resté 15 minutes dans la boutique et s’était presque cru obligé d’acheter un souvenir pour justifier une présence aussi longue : il opta pour une bouteille en forme de toréador que sa mère avait toujours dans son buffet depuis 10 ans.

Puis vinrent le phare bleu pétrole de Concarneau, les trois sets de table avec le coq de Barcelos, La petite lampe de chevet  en  coquillages de Noirmoutier, l’assiette avec le pont d’Avignon , le bol de Paimpol avec son prénom – Jacqueline – peint en noir, le rond de serviette – dont elle n’avait nul besoin puisqu’elle mangeait la plupart du temps en tête-à-tête avec elle-même – avec trois cigales roses du Lavandou, le plateau à fromages avec les vaches normandes, et il y en avait eu bien d’autres…


Son dernier cadeau – et c’était bien le seul qui ait eu cet effet-là – l’avait légèrement indisposée, il l’avait remarqué à la petite crispation de sa mâchoire. Il s’agissait de la statue d’un bouddha rieur qu’il lui avait rapportée d’Indonésie.
Sa mère avait juste dit.

- Merci Bertrand, c’est gentil de ta part, mais tu sais que je n’ai plus de place pour mettre tous tes cadeaux.


Il avait souri en concluant.

- Tu sais maman, ça me fait plaisir de te faire plaisir.

20 mai 2009

L’Evangile selon Saint Lui (gballand)

Avocat, 40ans, grand, plutôt bel homme, sportif, doux, prévenant, cultivé, cherche  femme pour partager… ça, c’était le texte de l’annonce parue dans le Nouvel Observateur.
Quand elle était entrée dans le café, il l’avait reconnue tout de suite. Trop tard pour s’enfuir.
- Déçue ? Lui dit-il.
Elle resta sans voix.
- Vous imaginiez quelqu’un d’autre ?
Elle était dépitée.
Il avait la quarantaine enrobée, il devait mesurer à peine 1 m 70  et il était très laid.
- Je suis bien avocat, ajouta-t-il.
- Au moins ça… s’entendit-elle répondre.
- Et je cherche une femme.
Elle répondit agacée.
- Et ça justifie tout, même le mensonge ?
- Trois mensonges pour six vérités, dit-il, je n’ai pas droit à une chance ?
Elle se surprit à penser qu’il n’avait pas tort. Un an plus tard, ils vivaient ensemble.

PS :  le titre est emprunté à Pagenas. Pour voir son blog, c’est ici.

18 mai 2009

Les urgences (gballand)

Samedi, j’étais aux urgences du CHU, une entorse ; non, pas  moi,  mon fils. Moi, les seules entorses que  fais, c’est au régime. En trois heures, j’ai eu le temps d’assouvir ma curiosité : défilé de blouses blanches, ballets de brancards, pompiers en uniforme, policiers, SDF etc. Et puis une femme est arrivée, la main enveloppée dans un mouchoir. Questions traditionnelles à l’Accueil, on lui demande ce qui lui est arrivé. Elle dit qu’elle s’est fait mordre par son mari. On lui fait répéter. Elle répète. On la regarde d’un drôle d’air. On lui demande si elle est vaccinée contre la rage ? Non répond-elle.
- Votre mari est-il atteint d’une maladie contagieuse ?
- Non, rétorque-t-elle, à moins que… et puis elle se ravise.
Elle vient s’asseoir à côté de moi, c’est la dernière place qui reste. Je m’ennuie tellement – deux heures d’attente - que je ne peux résister à la curiosité.
- Bonjour, j’espère que vous excuserez mon indiscrétion, mais j’ai entendu que vous vous étiez fait mordre par votre mari, alors je me demandais…
La femme me regarde ahurie, comme si j’étais atteinte de folie, et finit par me dire
- Non madame, je ne me suis fait mordre par mon mari, mais par le chien de mon mari. Mon mari ne mord pas. Quelle drôle d’idée !
Et c’est là que je me suis souvenue du rêve que j’avais fait  la nuit précédente : je me faisais mordre jusqu’au sang par mon mari qui se transformait en berger allemand, et quand j’essayais de dégager ma main, le molosse la secouait dans tous les sens et ne voulait pas la lâcher…

17 mai 2009

L’oiseau blessé (gballand)

pagenas3Pourquoi lui avait-il offert ce collage enveloppé dans un papier cadeau ? Matin et  soir, elle le croisait dans l’escalier, bonjour, au revoir, rien de plus. Elle ne l’avait jamais vraiment regardé, avant ; maintenant, c’était différent. Quel âge pouvait-il avoir ? Le même âge qu’elle, vingt cinq ans ou un peu plus ? Il lui avait juste écrit, sous enveloppe, ces quelques mots :

«  Un cadeau pour vous souvenir, et oublier. Votre voisin du dessus. ».

Elle ne devait pas se mettre martel en tête. Pourquoi systématiquement considérer chaque homme avec méfiance ?

Le collage était placé juste en face de son lit et tous les soirs elle le contemplait avant de s’endormir. Elle aimait  ce bleu qui éclaboussait le paysage, et cet oiseau blessé, au vol immobile, qui la faisait pleurer : où partirait-il quand il serait guéri ? Seulement, il y avait aussi ce monstre qui voulait manger l’oiseau, en bas, à droite, et de délicates  pointes mauves qui lui rappelaient les jacinthes des bois qu’elle  ramassait avec son père quand elle était enfant.


Le monstre était parti, l’année de ses douze ans, le jour où sa mère l’avait vu faire ce geste dont elle n’avait jamais pu parler à personne… n’allait-il pas revenir, un jour ?

* collage gentiment prêté par Pagenas. Pour visiter son site, c’est ici.

14 mai 2009

Le petit carnet du prince charmant (gballand)

Il les abordait toutes de la même façon : « Tes yeux sont deux lacs où se reflètent le soleil », si elles avaient les yeux bleus ou « Tes yeux sont deux sous bois où je voudrais m’enfoncer. », si elles avaient les yeux marrons. Il  n’avait jamais douté de ses talents  : 1 mètre 85, 85 kilos, des cheveux bruns, des yeux marron clairs, et un torse de body builder. Toujours moulé dans son jeans qui mettait en valeur ses fesses et son sexe – « Number one » comme il le désignait en riant – il passait ses nuits à écumer  discothèques et  cafés.
Quand il se campait devant une femme, il savait que l’affaire était dans le sac. Sexuellement parlant, il n’avait jamais failli. Au début il la jouait « fleur bleue » - elles attendaient toutes le prince charmant, même à 70 ans  - mais quand elles avaient mordu à l’hameçon, il accélérait la cadence. Lui, ce qu’il voulait, c’était que ça débite, comme dans les supermarchés au moment de Noël !
Sur son carnet – qu’il avait ironiquement nommé « Le petit carnet du prince charmant » - il en était arrivé  à 100, pas mal en si peu de temps. Après chaque prénom, il notait l’âge, les mensurations  - au jugé - et le nombre de fois où il avait fait l’amour avec chacune d’entre elles.  Ses statistiques révélaient une moyenne de deux relations par tête de pipe. Jamais il ne laissait  son adresse ou son numéro de téléphone, question d’éthique.
Il était au chômage depuis un an. Ce qui l’inquiétait, ce n’était pas tant le chômage  que la fille de L’ANPE qui commençait à lui chercher des noises. Elle disait qu’il n’était pas assez « dynamique » dans sa recherche d’emploi. Il faut dire qu’avec les nuits qu’il passait, il était sur les genoux. Il aurait pu la coucher sur son carnet, elle aussi, mais il préférait ne pas mélanger le boulot et le plaisir. De toutes les façons, il n’y perdait pas grand chose, c’était un thon.
Maintenant que la machine était bien huilée, il se disait qu’il pourrait peut-être en faire son métier parce que, toute modestie mise à part, souvent, elles en redemandaient. Sauf que, mardi dernier, il avait eu une panne, oh,  rien d’inquiétant, juste un soir, mais…

12 mai 2009

Un psychiatre est-il un homme comme les autres ? (gballand)

J’ai une maladie imaginaire qui me rend réellement malade, enfin c’est ce qu’on m’a dit.  En tout, j’ai vu trois psychiatres, rien n’y a fait et ma maladie est toujours aussi vierge qu’au premier jour. Les psychiatres, je les use. Au début, tout va bien, je suis assise en face d’eux, je leur parle, ils hochent la tête d’un air entendu, je fais de même, par mimétisme, mais à un moment donné, ça dérape toujours : soit ils me découragent de parler, soit ils parlent pour moi. Le dernier en date m’a même dit que je parlais trop, un comble. C’est lui qui a  soutenu que j’avais une maladie imaginaire qui me rendait malade, pauvre type ! L’avant dernier psychiatre, lui,  me passait sous silence et me parlait de sa femme – une maniaco-dépressive -, quant au premier, je l’ai vite laissé tomber, il prétendait que j’étais une « castratrice perverse ». Je ne le payais tout de même pas pour l’entendre dire du mal de moi. Je lui ai répondu qu’on ne pouvait pas prétendre remettre les gens sur le droit chemin quand on allait  soi-même de travers. A ce moment là, il est parti d’un rire hystérique et moi je suis partie en catastrophe.

Hier soir, en allant à un repas chez une copine, je me suis trouvée, par les hasards du plan de table, à côté d’un psychiatre. Au début, j’ai évité de parler de maladie mentale, mais vous savez comme ils sont pervers ces gens-là !


Celui-là avait  pourtant l’air moins « borné » que les autres. Quand on a attaqué l’entrée – une salade de fruits de mer –  nos rapports étaient parfaitement courtois mais, dès le plat de résistance – un rôti de bœuf aux cèpes -  il m’a fait comprendre que je devrais analyser mes rapports avec les hommes, puis arrivé au fromage, il m’a  asséné que j’étais du genre narcissique, dans le déni permanent ; et une fois au dessert, l’apocalypse, il a hurlé que j’étais une cinglée capable de conduire au suicide le plus compétent de ses confrères ! On a failli en venir aux mains. Je lui ai conseillé d’aller se faire soigner et il m’a répondu en me jetant son verre de vin rouge à la figure. Voilà ! Encore un type qui soigne les autres alors que le malade, c’est lui ! Conclusion, je suis fâchée avec mon amie. J’ai appris trop tard qu’elle couchait avec cet imbécile ; je me demande bien ce qu’elle lui trouve,  s’il est aussi grossier au lit qu’à table…


Enfin, à toute chose malheur est bon, j’ai pris une décision : je me soigne toute seule et je n’irai certainement  pas plus mal.

8 mai 2009

Le Pavillon Antonin Artaud (gballand)

« Tout est relatif ! » Combien de fois ne me l’avait-il pas répétée, cette foutue phrase, en quinze ans de mariage ! L’entendre me donnait de l’urticaire. A la fin de notre vie commune, il me suffisait de  voir mon mari pour que les démangeaisons commencent. Mon corps entier était devenu un urticaire géant, et tout ça à cause de la relativité…
Depuis notre séparation, je coule une existence paisible dans le pavillon « Antonin Artaud », sis derrière un rideau d’arbres. Aujourd’hui, j’aurais pu fêter mes deux ans dans le service du Docteur Barou. Seulement hier, Catherine, la fille avec qui je partageais ma chambre, a eu le malheur de me dire que tout était relatif. Je ne l’ai pas supporté et j’ai voulu l’étrangler. Elle n’allait quand même pas jouer à mon mari !
On m’a mise à l’isolement.

7 mai 2009

Être heureuse (gballand)

Je me souviens bien, il y a longtemps de cela, j’avais décidé d’être heureuse, juste comme ça*,
pour voir. Plusieurs fois par jour, devant ma glace, je me disais  « Je veux être heureuse », la méthode Coué fait parfois des miracles. Ensuite je suis passée aux exercices pratiques. J’ai commencé par des exercices simples. Par exemple, m’extasier devant un papillon, une fleur, un arbre, un ciel… avec des « Oh » et des « Ah ».
Puis, j’ai choisi le chemin de la contemplation esthétique. J’ai fréquenté assidûment les musées. Je m’installais devant une toile et j’essayais de ressentir quelque chose qui aurait pu ressembler à du bonheur. Si ça ne venait pas, je changeais de toile.
Ensuite, des œuvres d’art, je suis passée au genre humain et là, j’ai eu peur, toujours cette impression que le monde des hommes n’est pas fait pour vous et que vous n’y aurez jamais votre place. Afin d’adoucir l’épreuve j’ai commencé par les enfants ; je leur souriais et ils me répondaient. Parfois même, je leur parlais. Encouragée par leur fraîcheur, j’ai voulu faire le grand écart jusqu’aux adultes, mais là, j’ai eu peur  ! Je sais bien que tout adulte est un vieil enfant, mais quelque chose me retient.
Pour l’instant, je les observe, de loin. Je sais qu’il ne suffit pas de rester au bord de la route, mais la route est brûlante. J’attends encore un peu…

* phrase lue sur le blog  charivari, il y a  longtemps.

6 mai 2009

La poussière (gballand)

- Madame, je fais la poussière ?
- Non, laissez  Maria, il n’y aura plus de poussière à faire.
Comment sa patronne avait-elle pu  dire une chose pareille, elle d’ordinaire si méticuleuse ? Depuis qu’elle avait débuté sa carrière de femme de ménage, Maria - comme l’appelait sa patronne - avait une devise qui avait été aussi celle de sa défunte mère, elle-même femme de ménage pendant 38 ans : le patron a toujours raison.
Le surlendemain, quand elle voulut entrer chez sa patronne, impossible, celle-ci avait dû laisser sa clef dans la serrure. Deux heures plus tard, les pompiers sortaient le corps sur un brancard. Son visage, elle ne le vit pas, il était recouvert d’un drap blanc.
Lorsque le camion démarra, Maria éclata en sanglots : jamais plus elle ne ferait la poussière chez sa patronne.

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