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Presquevoix...
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22 février 2010

Les capsules nasales

Il s’était acheté, sur internet, des capsules nasales anti-pollution. Quand il les avait mises la première fois il avait demandé à sa femme :
- Tu ne remarques rien ?
- Non, avait-elle dit distraite.
Et puis en le regardant mieux, elle avait observé que son nez avait pris une forme légèrement renflée qui lui donnait presque un aspect effrayant.
- Mais qu’est-ce qu’il a ton nez ?
- J’ai mis mes capsules nasales.
- C’est quoi ce nouveau truc ? S’inquiéta-t-elle.
- C’est pour me protéger de la poussière. C’est peut-être ça la solution miracle.
Il ne lui en dit pas plus et elle préféra ne pas entrer dans les détails. Elle n’avait aucune envie d’entendre la scène de « l’homme en sursis » qu’il  lui faisait en boucle depuis 25 ans !
- D’ailleurs je vais les garder cette nuit, ajouta-t-il.
- Pour dormir ?
- Oui, pourquoi pas ?
Elle se contenta de sourire en pensant qu’il avait atteint un degré supplémentaire dans sa « folie préventive ». Tout devenait une menace pour lui. Bientôt, il faudrait le mettre sous cloche.

17 février 2010

La porte du Moi

Quand le psychiatre est passé à l’atelier d’art-thérapie, il a regardé la photo que j’avais choisie et il m’a dit :
- Alors ?
Et je lui ai répondu :
- Alors voilà, c’est Moi.
- Intéressant, a-t-il rétorqué en se frottant le menton.
Il  m’a souhaité bon courage pour la suite et il a continué son tour d’atelier. Le psychiatre ne s’embarrasse jamais de mots. Je me demande s’il ne file pas un mauvais coton, seulement maintenant  je m’en fous, je ne suis plus Dieu. Il faut dire que j’ai été Dieu pendant trente ans, c’est long trente ans. Maintenant j’essaie d’être Moi. C’est pour ça que j’ai choisi cette porte rouillée avec le barbelé. Le barbelé c’est pour me protéger des intrusions.
Quand j’étais Dieu, ce qui me fatiguait c’est que j’étais toujours au-dessus de tout le monde, je n’avais pas un moment pour penser à moi. A l’hôpital, on m’avait bien dit qu’un jour je me fatiguerais d’être Dieu et que je devrais trouver quelque chose de moins stressant pour ma retraite. Ils avaient raison. Maintenant j’ai décidé d’être Moi. C’est aussi mal rémunéré qu’être Dieu – j’ai 660 euros par mois -  mais j’ai du temps pour Moi. Il faudra que je demande au psychiatre si ça fait mal d’être soi.
En tout cas, avec les barbelés, il y a moins de risque de se faire marcher sur les pieds. Parce que de vous à Moi,   passer de Dieu à soi, c’est pas gagné.

PS : texte écrit dans le cadre des impromptus littéraires.

15 février 2010

La retraite

P1010209C’est là que je m’étais retirée. Une folie, mais parfois il faut vivre loin du monde pour en être plus proche. Je dormais sur l’eau et rêvais sur l’eau. J’avais fermé la porte de la tourelle à clef et je n’avais plus aucun contact avec personne, si ce n’est par lettre ;  je refusais de parler, je n’allais pas encore me laisser emprisonner par l’immédiateté du langage.
Mon mari s’était mis à la cuisine et il me laissait mon plateau repas devant la porte deux fois par jour.
Cette vie a duré un an, un an de tranquillité, un an de longue respiration, un an de bonheur. Et puis on m’a forcée à sortir et quand je suis revenue dans leur vie, deux choses m’ont surprise : moi et mon mari.  Moi, parce que j’avais vieilli de dix ans en un an, lui parce qu’il était mort alors que je l’avais quitté vivant la veille…

PS : texte écrit à partir de cette photo prise par C.V.  à Bruges.

10 février 2010

La cabine d’essayage

Elle était dans la cabine d’essayage, dos à la glace ; l’effeuillage pouvait commencer. Elle aurait préféré ne pas acheter ce pantalon le jour même – elle se sentait ballonnée - mais c’était une occasion. Elle avait laissé ses chaussures en évidence sous le rideau, la pointe glissée vers l’extérieur, pour que l’on sache bien que la cabine était occupée. Elle avait toujours eu peur qu’un jour, un imbécile ouvre le rideau d’un coup, et qu’on la découvre nue dans la lumière blafarde d’un grand magasin.
Une fois son pantalon enlevé, elle entreprit d’enfiler le nouveau jean. Il semblait un peu serré et le passage des cuisses  se négociait difficilement. Elle força un peu, le jean élastique se laissa difficilement faire et elle serra les dents. Vu le prix, il faudrait qu’elle y entre coûte que coûte. Au moment où le pantalon semblait céder à ses assauts, elle vit, comme dans un mauvais film d’horreur, une main velue se glisser sous le rideau et prendre ses chaussures. Elle resta interdite. Quand elle  sortit en criant, le pantalon à moitié remonté, il était trop tard ; le type était déjà loin et ses chaussures aussi.
Personne ne lui vint en aide. Elle eut juste le temps d’apercevoir, près du rayon lingerie,  l’une de ses élèves de seconde qui la regardait gesticuler l’air incrédule et elle retourna illico s’enfermer dans la cabine.
Elle en était pour ses frais. Le lendemain l’affaire aurait déjà fait le tour du lycée…

8 février 2010

Le plâtre

Trois jours plus tôt, il s’était  fait une entorse sur le terrain de foot et on l’avait plâtré. Un accident bête. Il se morfondait chez lui. Trois jours sans lycée, personne pour l’emmener ; alors il traînait son ennui, il écoutait la radio, il regardait la télé, il glandait. Il aurait pu travailler – on le lui avait conseillé le trimestre passé – mais  non, pas le courage. Pas un coup de fil, pas de SMS, rien ; le désert. Il  décida d’éteindre son portable, à quoi bon ? Même elle l’avait oublié. De toutes façons, il se moquait d’elle, elle lui servait juste à cacher la misère. Il aurait presque déprimé. Il ouvrit le buffet et  prit la bouteille de pineau dans le buffet de la salle à manger, ni vu ni connu, sa mère ne s’apercevrait même pas que le niveau avait baissé quand elle prendrait son apéritif.  C’était fort, mais ça faisait du bien.
Le soir-même sa mère lui annonça, triomphante, qu’il y avait une solution et que dès le lendemain il pourrait retourner au lycée. Quand elle le vit froncer les sourcils, elle s’inquiéta.
- Eh bien, tu n’es pas content ?
Il répondit juste par un grognement. A 22 heures il s’enferma dans sa chambre, prit un stylo et écrivit sur son plâtre en prenant soin de changer son écriture à chaque fois : « Bisous, Mélissa » ; « T’es chou, Alix » puis « A plus, Léa », juste pour faire croire qu’il avait des amies…

PS : texte écrit à partir d’une brève lue sur le blog une vie de merde  : « Aujourd’hui j’ai signé moi-même mon plâtre pour faire croire que j’ai des amis. »

5 février 2010

Trio

Elle aimait Jean qui aimait Paul qui l’aimait, mais qu’elle n’aimait pas. Le trio allait à vau-l’eau, mais l’aveuglement ne sied-il pas à la jeunesse comme le noir aux endeuillés ? Elle fredonnait souvent « une petite cantate », celle de Barbara, qui était aussi la sienne, la petite cantate des amours croisés qui se décroisent pour se recroiser au moment les plus inattendus.
Elle vivait ainsi à courir après elle, alors qu’elle pensait courir après l’amour qui n’était qu’amour d’elle-même. Puis un jour Jean disparut et le trio devint duo. En revenant du cimetière, dans le froid piquant que la morsure de la mort rendait encore plus douloureux, Paul lui chuchota « J'en ai vu, comme nous, qui allaient à pas lents et portaient leur amour comme on porte un enfant* ». Elle lui mit son doigt ganté sur ses lèvres mais il  murmura têtu  :
- Parce que je t’aime*.
- Je sais, répondit-elle.
Elle crut sentir la caresse de Jean sous le crêpe noir de sa voilette. Ne lui chuchotait-il pas que l’amour n’était qu’un jeu d’aveugles sur le chemin de la vie  ?

* parole et titre d’une chanson de Barbara. Vous pouvez l'écouter ci-dessus.

PS : texte écrit à partir d’une consigne de l’atelier des « impromptus littéraires »

2 février 2010

Le chemin du paradis

neigeElle l’avait rencontré  sur le pont qui plongeait sur la voie ferrée. Il lui avait demandé du feu, juste ça. Sa présence l’avait étonnée ; un dimanche neigeux, en fin d’après-midi, rares sont les gens qui regardent passer des trains qui ne passent pas.  Elle lui avait donné du feu et  il était resté immobile à ses côtés, à regarder les voies, en tirant sur sa clope. Ni l’un ni l’autre ne parlaient, à quoi bon quand on n’a rien à se dire ? Le silence remplissait suffisamment l’espace. Soudain il avait dit d’un air grave :
- C’est ça le chemin pour le paradis !
Son ton était tellement solennel qu’elle s’était tournée vers lui, émue.
- Oui, continua-t-il à dire soutenu par son regard brillant – vous allez tout droit, tout droit et vous y arriverez !
L’homme avait repris une bouffée de sa cigarette puis s’était tu. Un train était passé, puis tout était redevenu silencieux dans le paysage lunaire.
- Vous êtes sûr qu’on y va ? S’était-elle enquis.
- Oui. On me l’a dit.
- On ?
- Les voix.
Elle l’avait fixé à nouveau. Ses yeux bleus la regardaient étrangement. Il devait être fou. Elle avait eu la chance de le voir arriver au moment exact où elle avait besoin de lui. N’allait-il pas l’aider à sortir de ce quotidien sans nom ? Soudain, elle lui avait touché le bras prise d’une inspiration :
- Et si vous partiez avec moi ?
- Au paradis ?
- Oui, vous et moi. C’est bien ce chemin-là n’est-ce pas ? Avait-elle dit en pointant la voie ferrée de son doigt.
Le type avait ouvert son sac à dos, fouillé un instant, et il avait sorti  une carte qu’il avait dépliée devant ses yeux étonnés. Après l’avoir étudiée attentivement, il lui avait répondu d’une voix assurée :
- Oui, c’est bien ça !
- Eh bien partons tous les deux, le paradis nous attend.
Ils avaient descendu l’escalier en pierre et longé la voie ferrée l’un derrière l’autre, chacun cherchant le rêve que la vie leur avait ôté…

PS : texte écrit à partir de cette photo de Pierrick, du blog « crocklaphoto »

31 janvier 2010

L’auto-stoppeur

Le type s’était arrêté à trois mètres de lui. Un coupé rouge, rutilant, avec des peaux de zèbres à l’avant et  l’arrière.
- Je vais à Avignon, lui fit-il en arborant son plus beau sourire dégoulinant de pluie.
- Moi aussi, montez !
Génial, il allait pouvoir se la couler douce pendant quatre heures. Finis le froid et la flotte. Après avoir mis son sac à dos à l’arrière, il s’installa confortablement sur le siège avant et le type démarra. Pas de bruit de moteur. L’impression, à 140 à l’heure, d’être à 90, une voiture extra. Après un quart d’heure de conversation poussive – personne n’avait vraiment envie de parler – le conducteur lui demanda s’il pouvait mettre de la musique. Il répondit que oui. Une grossière erreur. Le type commença à mettre en boucle Garou
« Aimer d’amour c’est aimer comme moi je t’aime/ Depuis que tu es là je ne pense qu’à toi/ tu prends tout mon temps, tu es tout ce que j’attends/J’ai besoin de t’aimer… » disait la première chanson ; la deuxième, tout aussi niaise énonçait « Vouloir tout voir et vivre /C'est plus fort que moi /Aimer ce qui me tue / C'est plus fort que moi / Cette ombre qui me suit / C'est plus fort que moi ..." Le conducteur fredonnait en même temps avec une voix de fausset qui lui vrillait le tympan gauche. Malgré tout, il  finit par s'endormir. Deux heures plus tard le type le réveilla. Ils étaient presque arrivés.
- Où je vous laisse ? lui demanda-t-il.
- N’importe où, répondit-il la voix ensommeillée alors qu’une vive douleur lui laminait la tête.
Il  remercia en grimaçant. Une fois la voiture partie, il regarda autour de lui l’air défait. Il devait être à la périphérie d’Avignon, un marteau piqueur lui défonçait le crâne et il recommençait à déluger.
- Putain de Garou à la con !!! gueula-t-il  en remettant son sac sur le dos et en marchant en direction du centre ville.

28 janvier 2010

Le jogging

Mercredi dernier, comme tous les mercredis je suis partie courir en forêt. C’est une toute petite forêt aménagée où les étudiants font leur jogging. J’y suis allée plus tard que d’habitude, il devait être 16 heures, et la lumière commençait à décliner. J’ai garé la voiture non loin de la cité universitaire et j’ai commencé mon parcours en trottinant. Je ne vais jamais très vite, l’âge je crois. Au bout de dix minutes de foulées poussives, je me suis retrouvée au cœur du petit bois et c’est à ce moment là que j’ai entendu un bruit suspect derrière moi, comme des feuillages qu’on aurait ouverts brutalement. Je me suis retournée et je l’ai vu, l’homme nu. J’ai poussé un hurlement et j’ai immédiatement détalé. Plus j’accélérais, plus le type accélérait, j’entendais presque ses pas derrière les miens. J’avais le souffle court et je sentais que ma cheville droite allait flancher ; ma dernière heure était venue. Je n’osais pas me retourner. Soudain,  le type s’est mis à pousser des cris de bêtes, de plus en plus fort ; mon cœur allait lâcher, c’était sûr, je ne pourrais pas tenir jusqu’à la route. Et c’est à ce moment là que j’ai pensé à ma bombe. J’ai brusquement pilé, j’ai fait volte face, j’ai poussé un cri à déchirer les tympans d’un sourd et je lui ai envoyé un coup de bombe lacrymogène dans la gueule. Quand j’ai vu le visage du type, le ciel m’est tombé sur la tête : c’était mon patron. Nu comme un ver, il s’agitait de façon démoniaque et déversait un flot d’injures à mon égard. Sous l’effet de la surprise, je n’ai pas su quoi dire à part :
- Mais… mais qu’est-ce que vous faites là dans cette tenue ?
- Qu’est-ce que ça peut vous foutre, a-t-il réussi à articuler, allez plutôt me chercher une couverture ou  je vous fous à la porte de la boîte.
Je n’ai pas demandé mon reste, j’ai couru jusqu’à la voiture, j’ai sorti la vieille couverture léopard que je garde toujours au cas où, et je la lui ai rapportée au pas de course. Il a enroulé son corps transi dedans et m’a dit d’un ton qui n’admettait aucune réplique :
- Et pas un mot au travail ou je vous fous dehors !
J’ai failli pouffer de rire en voyant le tableau pitoyable qu’il offrait, mais j’ai réussi à me contenir et je l’ai assuré qu’il pouvait compter sur ma discrétion. Seulement maintenant, à chaque fois que je le croise dans son costume trois pièces qui tombe impeccablement,  je ne peux m’empêcher de le revoir nu, enveloppé dans ma couverture léopard, et je me demande toujours ce qu’il faisait dans le bois, nu, à cette heure de l’après midi…

17 janvier 2010

La piscine (gballand)

C’était jour de piscine. Ce mercredi, le ciel s’était lavé de ses nuages habituels, il nagerait dans le bassin extérieur. Le ticket tendu, la cabine occupée, l’effeuillage commença : pantalon, sweat, maillot de corps, slip défraîchi, chaussettes… Dès la sortie de la douche, il croisa des corps qui le croisaient mais ne le regardaient pas. Il faut dire qu’il était terriblement banal. Avant de plonger et de commencer ses 50 mètres sur le dos, ses yeux firent le tour de la piscine. Il remarqua, de l’autre côté du bassin, le corps magnifiquement proportionné du maître nageur. Ses muscles saillants et ses épaules massives - sûrement un nageur de papillon – lui donnèrent envie de disparaître. Il plongea immédiatement dans l’eau chlorée. En remontant à la surface, il entendit un coup de sifflet mais continua à nager, pourquoi le sifflerait-on ? Il repensa aux muscles du maître nageur, au triangle bleu de son slip et il battit des pieds frénétiquement. Un autre coup de sifflet résonna et une voix cria :
- Eh vous là-bas !
- Moi ? finit-il par dire en se montrant du doigt.
- Oui, vous, sortez !
Il se hissa avec difficulté sur le bord de la piscine. Le maître nageur était juste devant lui. Il se sentit presque humilié de se trouver, nu ou presque, à côté de ce type parfait.
- Et votre bonnet de bain ?
- Mais, mais… je suis chauve balbutia-t-il.
- Et alors ? Vous n’avez pas lu le règlement : bonnet obligatoire. Si vous  n’avez pas de bonnet vous ne pouvez pas avoir accès au bassin.
Le maître nageur se montrait inflexible et il se sentit doublement humilié.
Il n’attendit pas son reste et battit en retraite en grelottant dans son slip de bain noir légèrement détendu.
 

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