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Presquevoix...
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3 novembre 2010

La route du Rhum

Ils voulurent commencer par le café de la poste – le patron y faisait crédit -  mais des vents contraires et des pluies diluviennes  les obligèrent à se rabattre sur un café de la place du vieux marché. Ils commandèrent deux rhums, puis deux autres et à 11 h ils sortirent en titubant. Direction, la Boîte à bière, et tant pis pour le rhum, il fallait savoir changer de maîtresses. Le patron leur servit deux pintes à l’écume mousseuse, et ils remirent ça  une demi-heure plus tard. Ils passèrent autant de temps au WC qu’au comptoir ; il faut dire que leurs vessies étaient mises à rude épreuve. Gérard proposa de terminer sur les Quais, il y aurait bien un café où ils pourraient jeter l’ancre. D’ailleurs, un peu d’air marin ne pourrait pas leur faire de mal. Ils prirent la route en chantant des vieux tubes des années 70 avant de s’échouer au comptoir du Marégraphe. Le garçon contempla ces presque-épaves d’un air dubitatif. Gérard  gueula :
- Nous aussi on fait notre route du rhum,
seulement on n’a pas trouvé de sponsors !
Les clients sourirent, polis, et Marcel  enchaîna :
- Alors qui est-ce qui nous la paie la tournée ?
Puis il perdit l’équilibre, essaya désespérément de s’arrimer au comptoir, mais aucun cordage n’aurait pu éviter la noyade…

25 octobre 2010

Duo

Mademoiselle et « son automobile », c’est sur cette chanson que caro-carito du blog « les heures de coton »   et moi-même avons décidé d’écrire chacune un texte. Nous nous sommes imposées d’autres contraintes, pour le plaisir : 4 paragraphes, l'héroïne s'appelle Mélodie, elle a une robe rouge, on doit connaître le nom des cigarettes qu'elle fume, la scène est statique et   des  "larmes de crocodile" coulent…

Voici le texte de caro-carito :

Bar de jour

Il fait encore sombre. Assise sur la banquette en skaï éraflé, elle aperçoit sa clio blanche à côté d’un pin et d’une poubelle. Le parking de l’aire d’autoroute est désert. Mélodie baisse la tête pour ne trouver que les deux tasses vides devant elle. Avec leur reflet dans la vitre sale, ça fait quatre tasses blanches inutiles. C’est un bol rempli à ras bord de café brûlant qu’il lui aurait fallu. Elle se serait jetée dans cette lune ronde et noire comme un soir italien. Et en même temps, elle aurait noyé les kilomètres avalés et sans doute plus que ça. L’envie de griller une cigarette, une Pall Mall. Des larmes de crocodiles entre Puteaux et le péage de la Folie-Bessin et même jusqu’après la Touraine, elle n’a jamais aimé la Touraine. Ce poids qui lui broie le cœur. Lui. Et surtout Elle. Elle, lui et elle, pauvre pomme sentimentale.

Il y a une carte routière près des toilettes. Quand elle était petite, elle restait plantée là pendant que ses frères suppliaient pour qu’on leur achète un paquet de menthos ou un mars. Elle répétait inlassablement le nom des villes, des départements et des numéros, 50, 03… qu’elle n’avait jamais pu retenir. Elle était nulle en géo, pas bien meilleure ailleurs. Elle avait vite délaissé l’école pour une panoplie de fille à la bouche rose pimpant, au mascara épais et bas de gamme. Elle était une de celles qui ne tiraient pas sur sa jupe et qui croisaient les jambes, de celles aux robes trop courtes, trop rouge, comme aujourd'hui, ou trop près du corps ou... Qui s’arrachaient la gorge avec la fumée des Marlboro et de la vodka ou d’un gin sans saveur. C’est le ceinturon de son père qui l’avait rattrapée in extrémis. Et son orgueil qui l’avait fait s’engouffrer dans un BTS obtenu contre toute attente et une carrière, une vie qu’elle avait voulue, à bonne distance des siens.

Elle meurt d’envie d’en griller une. Elle meurt d’envie de beaucoup trop de choses en fait, de beaucoup trop d’hommes, de leurs rires désordonnés et de passages dans le repli d’une fin d’un été qui s’éterniseraient. Là, elle rêve de lui en pliant cette lettre qu’il lui a écrite, aussi légère que ses sentiments, aussi silencieuse que son départ. Combien en a-t-elle gardé, cinq, dix, vingt de lui et d’autres ? Elle ne sait plus. Elle se souvient de leurs souffles sur sa nuque et des inflexions de tendresse dans leurs voix. Ou les a-t-elle imaginées ? Des mots, trop de mots, suaves, violents, solennels. Des mots qui mentent, trompent, exilent, des mots qui sculptent une solitude. Elle se lève et achète une carte de l’Europe. Ce matin, en partant, elle voulait pousser jusqu’à Biarritz. Il y a la mer là-bas. Mais elle a envie d’une ville où une langue colorée l’accueillera. Pas l’Italie, mais l’Espagne, Barcelone. Pourquoi pas Madrid. Elle poussera ses quelques jours qu’ils devaient passer ensemble sur le tapis contre une errance au parfum de soleil.

Elle a pris ses clefs sur la table du bar et laissé la feuille pliée en huit près des sucres qu’elle n’utilise jamais. Les autres lettres, elle les a jetées dans le vide-ordures du palier. Juste avant de partir. Mercredi vers six heures, le camion-benne les fera disparaître. Elle ferme la porte et, au lieu d'enclencher la clef de contact, allume une cigarette. Elle se penche pour regarder la montre qu’il a laissée dans la boîte à gants. Elle va la garder, la porter peut-être. Ne pas oublier, ce serait bien. L'autoradio s'est mise en marche. La station-service s’éloigne. Devant elle, la plaque d'une BMW affiche 39. Jamais elle ne saura le département qui s’y rattache. Elle cherche une autre cigarette. Elle sourit. Est-ce bien grave de ne pas savoir ? De ne jamais savoir…

Voici le mien :

Mélodie en rouge et noire

Elle n’avait jamais aimé le rouge mais elle avait mis cette robe pour lui. Une rouge, Mélodie, lui avait-il précisé avant qu’elle ne raccroche. Elle lui avait obéi, machinalement, comme on prend un verre au comptoir ou comme on dit « comment ça va ? ».
La voiture était arrêtée sur le bas-côté de la route et elle attendait, pour rien, alors que la pluie tombait à verse et lavait les vitres de ses pensées. Elle sortit un paquet de cigarettes de la boîte à gants. Les siennes, des gauloises, elle avait toujours détesté ses gauloises, même sa peau en était imprégnée. Elle, elle n’avait jamais fumé ou si peu. Elle prit pourtant une cigarette, l’alluma et toussa à la première bouffée. Cette gauloise avait le goût de la vie, amer et sombre.
Si elle s’était forcée un peu elle aurait pu faire pleuvoir sur son visage les larmes de crocodile de l’automne, mais ce n’était pas le moment, pas encore, il lui faudrait attendre encore un peu. Elle démarra et reprit le chemin de Brest, ils s’étaient donnés rendez-vous dans leur restaurant. Elle se souvenait qu’un jour il lui avait dit « Pourquoi tu m’aimes ? », et elle lui avait répondu par une question, comme à son habitude :
-    Et toi, pourquoi tu crois que je t’aime ?
Jamais plus il ne lui avait posé de questions, sauf la veille, cette question absurde qui lui trottait  dans la tête à la même cadence que les essuie-glaces balayant le pare-brise des scories de l’automne :
-    Qu’est-ce que tu dirais si je disparaissais ?






22 octobre 2010

La visite

Quand on a sonné à la porte, j’ai préféré ne pas ouvrir, un pressentiment. Mon mari, lui, s’est précipité avant que j’aie pu lui dire quoi que ce soit ; le malheureux attend toujours quelque chose. Cette fois il n’a pas été déçu : c’était Dieu en personne. Dieu ne nous avait pourtant jamais parlé, ni à moi ni à lui.
Dieu lui a fait un sermon qui a duré deux heures ; j’ai même  eu le temps de préparer le repas, de manger et d’écouter le journal de la 2 avec Pujadas.
Quand Simon est rentré, il était livide. J’ai bien essayé de lui tirer les vers du nez mais pas moyen, le mutisme total, et ça a duré cinq jours. Le sixième jour il m’a fait un sermon et le septième, il a disparu en me laissant un mot que j’ai encore sur ma table de nuit :
« Je pars avec quelques apôtres pour prêcher la vérité. Je prierai pour toi. Simon dit Pierre.  »
Je me demande pourquoi il a changé de nom aussi brusquement. L’autre lui allait bien. Ça fait deux ans qu’il est parti et hier, par la poste, j’ai reçu un paquet que j’ai hésité à ouvrir. A l’intérieur, il y avait un livre que je n’avais pas commandé : le nouveau testament.

19 octobre 2010

Le caniche

Il n’arrêtait pas d’aboyer, l’odieux caniche, impossible de se concentrer sur Libération. Elle avait déjà fait une remarque à la propriétaire, une femme plissée et fardée jusqu’aux yeux, mais celle-ci l’avait vertement remise à sa place. Etait-elle la seule à être exaspérée par ce ridicule roquet au manteau rouge que sa  maîtresse bichonnait comme un jeune amant ?
L’animal continuait à criailler de sa voix suraiguë, elle n’en pouvait plus. La propriétaire  grattait amoureusement la tête de la bestiole  en murmurant de sa voix sucrée  « doucement mon coco, doucement, on va bientôt sortir, calme-toi. »
Elle sentait bien depuis quelques mois qu’elle développait une inquiétante allergie aux chiens. Elle en avait d’ailleurs averti son médecin traitant, mais il avait pris l’affaire à la légère :
- Ça passera, l’avait-il assurée. Le chien est l’avenir de l’homme, regardez autour de vous, vous aussi vous y viendrez ! 
Il savait de quoi il parlait, lui aussi avait un chien qui trônait sur le fauteuil à côté de son bureau.
Elle regarda la vieille d’un air mauvais et tenta une dernière remarque, sans succès.  Lorsque le caniche recommença à donner de la voix pour un nouveau solo, elle ouvrit calmement son sac, en sortit un petit revolver argenté et abattit la bête qui s’écroula sur le sol. Elle constata avec satisfaction qu’un seul coup avait suffi. Elle rangea tranquillement son arme dans son sac et dit d’une voix assurée :
- Une bonne chose de faite.
Puis elle se leva  et sortit du café, comme si de rien n’était.

28 septembre 2010

La jupe rouge

D'habitude quand on me bouscule  je pars au quart de tour, mais pas cette fois-là. Ce type n’était pas comme les autres.  Il est revenu sur ses pas, s’est excusé et m’a glissée :
- Vous ressemblez au petit chaperon rouge avec votre jupe.
Et, sur l'air de " Une petite fille en pleurs ", il a improvisé des paroles à la contrebasse :

Il n'y a pas de bémol avec une jupe rouge
Et moi qui suis séduit
Et moi qui suis séduit au milieu de la nuit
Mais qu’est-ce qu’elle m’a fait
Une petite en rouge à qui j’joue la grande scène
de l’homme fou amoureux
A qui j’veux faire croire que je vais la sauver !
C’est de quel côté ton cœur ?

Le plus étrange c’est que je l’ai cru et que je le crois encore. C’était il  y a 2 ans, rue Mouffetard.
Je sens encore sa main pianoter sur ma colonne vertébrale dans la nudité de ma chambre blanche. Il m’aimait toujours  en majeur et se moquait de moi en mineur. Quand il s’esclaffait, son rire accompagnait les mouvements de son corps.
- Toi tu es trop sérieuse, se moquait-il souvent, on va changer ça, tu vas voir !
C’est pour moi qu’il a composé  « la jupe rouge », en souvenir de notre rencontre. Il avait insisté pour que je la joue à la guitare avec lui, moi qui ne connaissais que sept accords. 
- Quand tu auras appris à  jouer et à sourire je pourrai partir, disait-il parfois.
Je lui répondais la mine boudeuse que  je ne voulais ni jouer ni sourire. Il me fermait la bouche d’un baiser. Il arrivait toujours à me convaincre. Un an après notre rencontre,  j’ai retrouvé le sourire et il est parti.
Samedi, j’ai joué  dans un petit cabaret non loin du Chatelet. Quand j’ai chanté la « jupe rouge »,  un grand type s’est avancé vers moi en fredonnant la chanson : c’était lui. Il était accompagné d’une femme blonde qui m’a saluée d’un signe de tête. A la fin du morceau il m’a dit :
- Tu vois, tu n’es plus un petit chaperon rouge,  maintenant tu es grande. Tu m’emmènes ?
Je ne lui ai posé aucune question. Lui non plus. On a passé la nuit ensemble  mais au petit matin j’étais seule dans mon lit. Il avait juste griffonné un mot :

Je dois partir, ce serait trop long à t’expliquer. « La jupe rouge » te va à merveille, les autres chansons aussi. Un jour je t’écrirai d’autres jupes rouges … je t’aime.

PS : texte écrit dans le cadre des "ateliers des impromptus littéraires"

23 septembre 2010

Le Néandertalien

Tous les soirs c’était la même « farce », il lui déchirait les tympans avec ses solos de guitare électrique. Qu’il se prenne pour Jimmy Page, soit, mais pas à 20 heures quand il rentrait du travail harassé ! Il lui avait dit de baisser sa sono sur tous les tons, mais rien à faire. S’il avait parlé à un chimpanzé, les résultats se seraient certainement moins fait attendre.
Quand il frappait à la porte de la chambre, un grognement lui répondait, et quand il entrait, il voyait  la longue tignasse de son fils, agitée de spasmes, qui balayait le manche de sa guitare. Des cahiers, des partitions, des feuilles et des chaussettes sales jonchaient le sol, des chemises étaient jetées en boule dans un coin de la pièce et l’encens masquait difficilement une odeur de fauve. Il ne pouvait plus le supporter. Trop dur. Il était à bout. Et s’il le renvoyait  chez sa mère ? Bon débarras après tout. Il pourrait enfin inviter qui bon lui semblait à la maison sans se justifier.
Sa mère comprendrait enfin ce que c’est que d’élever un Néandertalien de 1 mètre 80, adepte de la monosyllabe, dont les yeux ne s’éclairent que pour vous laisser entendre que vous n’êtes qu’un « vieux con » !
C’était décidé, le soir même il lui enverrait un mail pour lui demander de le prendre chez elle, elle avait déjà eu deux ans de tranquillité, elle ! Et tant pis pour l’année scolaire qui venait de débuter ; après tout, il avait bien droit au bonheur lui aussi !

31 août 2010

Un conte à dormir debout

Quand Blanche neige rencontra le petit chaperon rouge, elle le détesta immédiatement et dit aux sept nains que c'était une poufiasse qui ne pensait qu'à séduire le loup avec ses airs de petite fille sage. Les nains n'en revinrent pas. Comment la jolie Blanche Neige pouvait-elle tenir pareil discours ?
Ils avertirent le petit chaperon rouge qui leur répondit que le loup  règlerait le compte de Blanche Neige aussitôt qu'il aurait réglé le compte de la grand-mère. Les nains n'en revinrent pas. Alors, le petit chaperon rouge était de mèche avec le loup ?
Ils décidèrent de  rendre visite au loup, au fond de la forêt profonde, pour en avoir le coeur net. Quand ils lui posèrent la question, le loup   se lécha les babines puis conclut :
- Alors la petite vous a tout dit ! Elle veut même que je règle le compte de sa mère après, mais moi j’hésite encore...
Les nains ne savaient plus à quel saint se vouer. Tout était donc faux dans le monde des contes ? Les gentils n'étaient donc pas aussi gentils qu'on pouvait le croire ? En désespoir de cause ils allèrent voir la Princesse au bois dormant qui, après les avoir copieusement insultés parce qu'ils l'avaient réveillée, leur dit la chose suivante :
- Pauvres crétins ! A l’âge que vous avez il serait peut-être temps d’ouvrir vos yeux ! Vous croyez vraiment que j’attends le Prince charmant pour le plaisir d’attendre le Prince Charmant ?
Les nains répondirent d’une seule voix :
- Alors pour quoi tu l’attends ?
- Pour son argent. Il faut que vous sachiez qu’il y a deux choses qui guident le monde, bande de naïfs : le sexe et l’argent !
Les nains, révulsés, quittèrent la princesse au plus vite. Ils n’en croyaient pas leurs oreilles, les contes racontaient des histoires que les personnages eux-mêmes démentaient ! En dernier ressort, ils se résignèrent à aller voir la jolie marraine de Cendrillon qui se tenait dans la cuisine, un gros couteau à la main, prête à éventrer une citrouille. Quand elle les vit arriver tous les sept à la queue leu leu  elle leur dit :
- Qu’est-ce que vous  voulez ? Si c’est pour que je couche avec vous, c’est non, vous êtes bien trop moches !
Ils se récrièrent aussitôt et elle s’amadoua :
- Alors pour quoi vous êtes là ? Pour que je vous transforme en princes charmants ? C’est pas possible !
- On voudrait juste savoir si les contes pour enfants sont des contes à dormir debout ? Demandèrent-ils à l’unisson. Elle éclata d’un rire démoniaque et répondit :
- Mais réveillez-vous les gars, vous n’avez plus 7 ans ! Bien sûr que tout ça c’est des fadaises... Et maintenant, laissez-moi me préparer, j’attends le père de Cendrillon qui m’a promis une petite soirée coquine !
Les nains s’éclipsèrent aussitôt.
On dit que c’est après cette révélation que la maison des nains brûla, certains disent même qu’ils se sont  suicidés ; mais ça, c’est une autre histoire...

PS : texte écrit dans le cadre des ateliers des « impromptus littéraires »

21 juillet 2010

Le secret

Le matin, il partait à 8 heures, sans faire de bruit, avant qu’elle ne finisse son petit déjeuner et il revenait le soir vers 18 heures comme si de rien n’était. Sa discrétion était telle qu’elle ne s’autorisait pas à lui faire de réflexion. Un jour, pourtant, elle le suivit ; non par jalousie, mais par curiosité. Et la vérité lui apparut, toute crue : pendant la journée il se faisait appeler Boris chez les voisins du bout de la rue et le soir, chez elle, c’était Etienne. Le goujat  avait une double vie !
Elle finit par l’accepter. Après tout, son amour paraissait intact. Il ronronnait avec autant de bonheur qu’avant et il se blottissait toujours aussi affectueusement au creux de son ventre quand elle s’endormait le soir. Maintenant elle pouvait même en  rire :
- Quand je pense que tu me trompes !
Et à chaque fois il lui répondait par un miaulement qui lui fendait l’âme.

PS : mes remerciements à Danalyia, pour m'avoir raconté de nombreuses  histoires de chats...

20 juillet 2010

Les minutes sont bleues (texte de caro-carito)*

pagenas36C’est l’absence qui m’a fait sursauter. L’absence du carillon, l’horloge silencieuse. Qui avait eu le réflexe de faire taire le temps alors que le corps de ma mère avait déjà déserté la maison. Mon frère aîné? Non. En bon mécréant, il avait bien gardé quelques traditions séculaires, mais pas celle-là. La mort ne l’intéressait pas, juste l’argent qui pouvait surgir inopinément et qui épongeait le train de son luxe tapageur qui lui tenait lieu de raison de vivre.

Tu n’es plus là, maman. Et soudain, dans cette cuisine inchangée depuis l’enfance, je repensais à toi. Tes mains blanchies par la farine pour prodiguer des tartes aux pommes fondantes. Tes obsessions radiophoniques, comme cette émission sur les découvertes scientifiques à laquelle tu ne comprenais goutte et pourtant à laquelle tu ne dérogeais jamais. Grâce à elles, tu émaillais ton discours journalier de théories plus farfelues les unes que les autres. Tu m’inculquas qu’il fallait sept heures de sommeil et même huit pour conserver une allure de jeunesse et combattre l’apparition des rides disgracieuses. J’appris aussi, tour à tour, que le vin était nocif ; puis non, tout compte fait, pas plus que l’eau du robinet et le lait des vaches. Tu nous offrais, tous les six mois, une collection de boîtes blanches, capables de fortifier un régiment de hussards. Et ton obsession de la forme à tout prix, mentale et physique, nous a traînés, fratrie originelle et rejetons desdits, pendant les ennuyeuses vacances et une année scolaire réglée comme papier musique, des bassins chlorés aux escapades en train et en voiture. Nous formions une troupe docile, nourrie de sandwichs épais, voguant vers la découverte d’une crypte glacée ou d’un élevage de yacks. Remarque, de cette manière, tu as su ainsi édifier, en mélangeant expérimentation pavlovienne et cartes génétiques, deux lignées bien distinctes : des fils nonchalants et quatre petits-enfants - j’y inclus ma fille - dotés de ce même caractère dominant. Et le reste, soit trois au total, résolument hyperactifs. Dont moi, ta fille.

J’ai essayé de remette en marche l’horloge, cette maison devient inquiétante sans sa berceuse mécanique. Je n’ai pas retrouvé la clef mais je tiens en main l’épais trousseau que tu égarais quotidiennement. J’aurais aimé trouver celle qui ouvrait la voix des contes dont tu étais friande et que tu nous faisais goûter chaque nuit après les huit coups métalliques. Le récit achevé, tu scellais notre dormir d’un baiser rapide et nous nous tenions tranquilles sous l’épais édredon. Sauf la nuit où j’ai regardé, accroupie derrière la porte entrebâillée, ce film dont les images me terrifient encore : le tigre du Bengale. Tu n’as pas été dupe de cette désobéissance mais les cauchemars qui suivirent te semblèrent sans nul doute un juste châtiment. Car, non contente d’être peu chaleureuse et de nous distiller des jugements définitifs, avançant qu’il te fallait nous protéger de nos natures faibles et d’un demain que tu craignais, tu noircissais à loisir les fables que tu nous contais. Ainsi la Belle au Bois dormant s’était vue dotée d’une marraine si maladroite qu’elle l’avait écrasée au berceau. Je passe les opérations de chirurgie esthétique que le prince avait dû lui offrir après son long sommeil (réparateur, mon œil !). Je me suis longtemps demandé le pourquoi de ses fantaisies parfois cruelles. Je m’en suis abstenue. Après tout, les rares fois où je me suis enquis du pourquoi de telle réflexion que je jugeais blessante, tu m’avais invariablement rétorqué : « Moi, j’aurais dit ça ? Jamais ! Tu rêves, tu es ma petite fille… » Et ton sourire faisait passer le souvenir. Pas l’amertume, enfin pas tout de suite, il fallait encore quelques tours de cadran et le baume ressassé de ces minutes bleues où tu nous témoignais un peu de tendresse.

C’est fait, j’ai senti le cliquetis léger et le mécanisme qui se met en branle. Il est temps pour moi de m’habiller. Vois-tu, j’ai accepté de m’occuper des formalités administratives, laissant le soin aux frangins de s’occuper qui, du cérémonial, qui, de l’homélie. Il y a toujours quelque chose de rassurant, quand un drame vous assaille, à se pencher sur des chiffres et des mots soigneusement rangés. De les ordonner, de s’accrocher au réel. De composer avec soin un numéro de téléphone inconnu. J’oublierai, une heure ou deux durant, qu’après-demain, je suivrai cette longue caisse, qu’il fera beau, que décidément je ne supporte pas le parfum coûteux des fleurs exotiques. Je mélangerai le nom d’une tante que je n’aime toujours pas avec celle de la quatrième femme de mon parrain. Au moment où je jetterai une rose blanche dans ce trou aveugle - oui Lucas a décrété que les roses, évidentes pour cet ultime adieu seraient blanches - je me maudirai de ne pas t’avoir posé cette question : me mentais-tu quand tu avais promis, ce jour où je souffrais, où je cherchais un souffle précaire, où la minute qui allait suivre semblait déjà entamée par une ombre de cendres, d’être toujours là ? Je sens encore ta main tremblante soutenir la mienne et ton regard, serein, plein d’affection qui balayait tout doute et me clouait à la vie. J’ai toujours cru depuis que tu ne partirais jamais.
Je me suis endormie, maman. La demi-heure de l’horloge m’a réveillé de son baiser léger. J’ai juste le temps de dérougir mes yeux pour n’avoir qu’un retard acceptable, au bout du fil, ce croque-mort avait la voix d’un comptable. Une touche de poudre de riz, une pointe de crème. Maman, tu n’es plus là, n’est-ce pas ? Pourtant c’est bien toi, ce visage, ce sourire, à mes côtés, dans le miroir ?

*Explication : A partir de ce collage de Patrick Cassagnes, Caro-carito du blog « les heures de coton » et moi-même avons décidé d’écrire un texte, juste pour voir ce qu’un même collage pourrait nous inspirer. Une consigne malgré tout :  le thème de la  douceur pour Caro-carito, et pour moi, celui de la violence.
Le texte de Caro-carito se trouve ci-dessus, le mien est sur
son blog.

1 juillet 2010

L’oiseau

pagenas1En regardant l’oiseau perché sur l’antenne il avait l’impression de se voir, lui. N’était-il pas lui aussi perché au-dessus de la foule sans jamais se sentir le droit – ou l’envie -  d’en faire partie ?
Mais pourquoi cet abruti d’oiseau ne bougeait-il pas ? Il n’allait pas rester toute sa vie perché sur l’antenne, non ? Il essaya de le faire partir, en vain. Il hurla des insanités du trottoir, l’oiseau restait impassible. Il envoya une pierre, deux pierres, mais l’oiseau était trop haut et il aurait pu blesser quelqu’un. Il n’en pouvait plus. La présence de l’oiseau lui était devenue intolérable. Il aurait pu partir et l’oublier, mais il n’en avait pas même l’idée.
Pris d’une inspiration soudaine, il rentra chez lui, revint avec son fusil et visa le volatile qui tomba au premier coup. Une bonne chose de faite, se dit-il. Satisfait, il contempla l’oiseau mort à ses pieds, mais quand il voulut partir,  il ressentit une violente douleur au cœur qui l’obligea à s’asseoir sur le trottoir. Des gens passèrent, la journée déroula son  flot ininterrompu de voitures et de piétons mais personne ne semblait le voir. La vie continuait, sans lui.

PS : texte écrit à partir de cette photo prêtée par Patrick Cassagnes.

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