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Presquevoix...
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1 février 2011

La sensualité de l’assassin

couverture6Il n’avait jamais voulu être assassin, on lui avait juste forcé la main. La première fois qu’il avait tué, sa chemise était à tordre, comme s’il  avait perdu toute l’eau de son corps. La fois suivante, sur les conseils de son père, il avait mis du coton  pour absorber la sueur.
Il présentait bien et avait toujours fait la fierté de sa mère mais, depuis qu’il avait commencé à perdre ses cheveux, jamais son chapeau ne le quittait et une seule question l’obsédait : un chauve peut-il être sensuel ?
Il avait une qualité peu commune pour un assassin : l’empathie. Il n’était pas rare qu’il se laissât aller à quelques attentions touchantes avec certaines victimes toujours choisies avec le plus grand soin. Les annonces passées dans Paris Normandie à la rubrique « emplois » précisaient que les candidates devaient avoir  entre 25 et 30 ans, être blondes ou châtains clairs, mesurer environ 1 m 65 - la même taille que sa mère -  se montrer enthousiastes, disponibles, et le tout pour une rémunération  largement supérieure au SMIC. Quant au travail demandé, l’annonce ne le stipulait pas.
La première femme qu’il avait tuée - et son père l’en avait presque supplié - c’était sa propre mère. Comment aurait-il pu le lui refuser ? Elle avait fait de son père une épave. Une fois le pied à l’étrier, il lui avait fallu monter en selle plus vite qu’il ne l’aurait sans doute voulu et il était très vite devenu un cavalier émérite.
Depuis un an, après chaque meurtre, un rituel s’était imposé peu à peu : il enfermait dans  du papier de soie les cheveux de ses victimes. Qui sait si ce simple geste n’était pas aussi un ultime geste de tendresse ?

PS : texte écrit à partir de cette couverture obtenue, encore et toujours, grâce à ce merveilleux site !

28 janvier 2011

L’indien

Il est apparu au café habillé en indien, le visage peinturluré et des plumes lui ceignaient la tête. Dans une main il avait  une lance, et à la taille, attachée à une ceinture, brillait une petite hache. Au comptoir personne n’a pipé à part Gérard, le patron, qui n’a jamais la  langue dans sa poche :
- Alors  « Œil de Faucon », ça va ?
L’indien l’a regardé d’un sale œil et lui a répondu la main sur la hache :
- Moi, pas « Oeil de faucon » mais « Serpent venimeux ». Si toi m’appeler « Oeil de faucon », « Serpent venimeux »  te scalpe.
- Ah, fit Gérard l’air soudain  moins brave.
- Et qu’est-ce qu’il veut  boire « Serpent venimeux » ?
- Une bière et il paiera pas.
Gérard n’avait pas pour habitude de faire crédit, mais il ne jugea pas utile de le lui dire car la hache de l’indien n’était pas en carton. Dans l’arrière-boutique, sa femme appelait déjà police secours. Elle était justement en ligne : « Ya un indien chez nous avec une hache et il dit qu’il s’appelle « Serpent venimeux » et…
Le policier lui raccrocha au nez après avoir  crié :
- Madame vous nous appellerez quand vous serez moins alcoolisée…

PS : texte inspiré d’un fait divers lu dans Paris Normandie.

11 janvier 2011

La patience du photographe

Il était détective, mais avant tout photographe amateur à ses heures perdues. Sa devise tenait en une seule phrase : «  la patience est la première arme des bons chasseurs ». Son appareil en poche, il arpentait la ville de long en large, profession oblige. Il  mettait un point d’honneur à ce que  cadrage et  lumière soient parfaits, même si ses clients - sa petite entreprise fonctionnait à coup de maris et de femmes trompés -  se fichaient éperdument de la qualité de ses clichés.

Ce samedi-là, à 7 heures, quand son chien découvrit le corps sur la plage - la tête avait disparu et il ne restait plus qu’un tronc et une partie des membres inférieurs - il ne put s’empêcher de sortir son appareil, sans doute pour conjurer la mort. Après avoir pris un nombre incalculable de photos, il avertit la police. Deux semaines plus tard, celle-ci cherchait toujours le nom de la victime.  Les meilleurs clichés du corps étêté, ils les avait conservés dans le premier tiroir de son bureau et ce, pour deux raisons simples :  il connaissait la victime - une amie d’enfance qui avait su un temps chasser l’angoisse de ses nuits sans sommeil - et il connaissait le meurtrier… seulement, serait-il  assez fou pour se dénoncer lui-même ?

PS : Merci à Pastelle pour le titre suggéré

8 janvier 2011

La chapelle des cerveaux

couverture3Elle était entrée par hasard, elle avait toujours aimé l’encens et les Christs dénudés à la chair sanguinolente, un souvenir de son enfance pieuse. L’église était plongée dans l’ombre et elle se glissa jusqu’à la chapelle derrière le chœur. C’est là qu’elle vit l’homme. Il était allongé sur la pierre, presque nu, les bras en croix et quand il parla sa voix résonna sous les voutes :
- Bienvenue à la chapelle des cerveaux, mademoiselle.
- Vous êtes cinglé ?
- Non,  curé. Je m’impose cet exercice chaque jour. Connaître ce qu’a connu le Christ.
- Et les clous ? Lui répondit-elle.
- Les clous je m’en passe très bien. Vous vouliez vous confesser ou me caresser ?
Elle lui répondit qu’elle ne faisait que passer et sortit au plus vite. Le surlendemain, elle lut dans le journal local le titre suivant :
« Le faux curé  a exigé que sa victime lui rende hommage de façon bien peu catholique dans  la chapelle des cerveaux ».

PS : Amusant de faire "comme si" avec une couverture et un titre choisis aléatoirement. Ce texte m’a été inspiré par le titre et  la couverture. Pour voir le site qui permet ce montage, c’est ici, site connu sur le blog de Coumarine. Allez essayer, c’est un vrai plaisir…

3 janvier 2011

Les vœux du président

Les six cartes étaient étalées devant lui, toutes aussi moches les unes que les autres, et son carnet d’adresses étaient ouvert. S’il n’y avait eu que lui, jamais il n’aurait écrit de cartes de vœux, mais il y avait les convenances. Six cartes, six enveloppes, toutes prêtes à être envoyées. Il ne restait plus qu’à écrire le même texte six fois de suite. Après une demi-heure de travail acharné, règle et stylo en main, il ferma les enveloppes et alla se chercher une récompense dans le frigo. Il revint dans la salle à manger avec un pack de bières. Six canettes de Kronenbourg qu’il plaça devant lui sur la table : une bière par carte, il le méritait bien ! Après la troisième canette, il alluma la télé : c’étaient les vœux du président. Dès qu’il vit le bouffon désarticulé il grogna, puis quand il entendit sa voix, il éructa :
- Va te faire foutre ! Travailler plus pour gagner plus, mon cul, t’es bien le seul à en avoir profité ! Allez, casse-toi !
Mais le président ne l’écoutait pas, il continuait à enfiler ses clichés comme des perles sur un rosaire alors que lui avalait ses bières. Il en était à sa cinquième bière quand il entendit le président annoncer solennellement :
- Je veux vous adresser mes voeux, mes voeux  de bonheur les plus sincères pour cette année 2011…
C’en était trop. Malgré son état d’ébriété avancée, il appuya sur off et quand l’écran fut noir il ânonna :
- T’es mort connard, t’es mort et compte pas sur moi pour te ressusciter !

24 décembre 2010

La dinde était froide

Au téléphone,  je n’ai pas voulu le croire, pourtant je suis immédiatement parti chez lui. Quand j’ai frappé à sa porte il a tout de suite répondu :
- C’est qui ?
- C’est moi, Jean Marc !  Je viens parce que tu m’as dit que « la dinde était froide » !
- Je t’ouvre.
Il était blanc comme un linge, J’ai même cru qu’il allait faire un malaise.
- Elle est où ? lui ai-je demandé immédiatement.
- Au congélateur !
- Quoi ?
- Ben oui, où tu voulais que je la mette ?
Quand il a ouvert le congélateur - le grand qu’il avait acheté le mois dernier pour soi-disant mettre ses provisions pour le mois - elle était là, toute recroquevillée. Heureusement qu’elle ne faisait qu’un mètre cinquante et qu’elle était menue sinon il n’aurait pas pu la faire rentrer.
- Mais pourquoi ? Lui ai-je demandé atterré.
- Pourquoi ? Mais parce que ! Qu’est-ce que tu veux que je te  dise ! Et puis ça lui apprendra !
Je me suis assis car je n’en croyais pas mes oreilles. Ça  lui apprendrait quoi ? Il était devenu fou ! J’aurais dû le sermonner, lui dire que je ne pouvais pas cautionner ça, mais comment aurais-je pu, vu sa détresse ?
- Bon, m’a-t-il dit, qu’est-ce qu’on fait ?
- Va me chercher deux grands sacs en plastique  et approche ta voiture de la porte d’entrée.
Il est parti sans demander son reste. Quand il est revenu, je lui ai demandé de m’aider à la sortir du congélateur. C’est à ce moment-là qu’il s’est effondré en sanglots :
- Je l’aimais moi, je l’aimais.
Je n’ai pu m’empêcher de lui dire en l’engueulant :
- Tu l’aimais, peut-être, mais ça  t’a pas empêché de lui donner un coup de marteau où tu sais ! Alors maintenant, tu la boucles et tu portes.
Il a cru bon de conclure en disant :
- T’as jamais eu de cœur ! Tu sais pas ce que c’est d’aimer !
J’ai failli vomir  mais je me suis retenu. Quand je pense que ce salaud essayait de se justifier ! En tout cas, la prochaine fois qu’il me présentera une copine,  je lui rappelerai qu'il m'a donné son congélateur et qu'il n'a plus d'endroit où mettre ses dindes…

PS : texte écrit dans le cadre des "impromptus littéraires"

16 décembre 2010

Duo

Caro-carito du blog « les heures de coton », m’a fait la suggestion suivante : que nous écrivions chacune un texte qui s’appuierait sur les trois éléments suivants : la photo de Tilu, du blog l’œil aux aguets, la citation de Lê Thánh Tôn - empereur vietnamien de la deuxième moitié du 15è siècle - " Quand le chagrin est là, une journée dure autant que trois automnes"- et la chanson « hors saison » de Francis Cabrel.
Voici nos textes, le premier est de Caro-carito, le deuxième  de gballand

val_tiluElle (caro-carito)

Quand le chagrin est là, une journée dure autant que trois automnes.*

Il s’est arrêté au milieu du large quai bétonné. À quelques mètres de là, il entrevoit une ombre glissante, son ombre, familière. Il hésite à s’asseoir sur le bois humide d’une dernière pluie. Il attendra, fixant les allées et venues d’une mer indécise. Une inconnue liquide dont le grain lui rappelle un reflet perdu, un regard, identique au sien. Des souvenirs d’après-midi cuisants envahissent la station balnéaire. Les étés où, face à face, vouloir à toutes forces s’emparer de l’univers de l’autre, sous la frange de cils noirs. Une lutte fratricide où s’affrontent deux horizons bleus de cendre qui virent au gris, les soirs de fatigue ou de colère. Elle et lui, du haut de leurs neuf et sept ans, se tiennent immobiles, fiers, tendus jusqu’à céder ensemble pour rejoindre le ruisseau voisin et plonger brusquement dans l’eau chantante.
C’est en fouillant son bureau qu’il a découvert une carte postale avec, au dos, quelques phrases au crayon gris et trois billets de seconde classe. Même destination, trois automnes, trois années. Il a alors pris le premier train. Un voyageur assis à l’autre bout du compartiment, l’arrivée dans une gare où l’unique guichet est fermé. Il s’est enfoncé sans se retourner dans les rues silencieuses. Les boutiques sont closes. Il est presque midi, la saison passée. Debout, tremblant, il a respiré dans un square la fin d’un automne qui s’accroche aux branches nues, des jours que le vent du Nord balaiera. Pour replonger, atteindre une ruelle, espérer un signe.
Il s’est soudain immobilisé devant un bed and breakfast aux volets d’un bleu passé. Il  pousse la porte, le son aigrelet d’une sonnette l’accueille. Une vieille dame apparait. Il n’a pas à extraire de sa poche le portrait d’Anne. À la brusque hésitation qui a secoué les frêles épaules quand il s’est penché pour signer le registre, il a su. C’est ici qu’elle s’était réfugiée, taisant sa retraite aux parents, aux proches. À lui, son frère.
La mer grignote lentement la plage. Une mouette boitille vers lui. Proches… L’enfance enfouie sous les demi-voltes de la jeunesse... Un jour, Anne est devenue Mme Rowlands. Lui a bivouaqué à droite, à gauche, au milieu d’insondables canopées, au fond de vallées désolées. Ils ne se voyaient plus qu’au repas de famille annuel, notant instinctivement les changements de l’autre: la peau tannée, la main baguée posée sur un poignet d’homme, les expressions que l’on ne reconnaît pas, les absences… Puis, au hasard d’une grève des contrôleurs du ciel, un café impromptu. A Orly. Il lui avoua s’être fiancé avec la solitude. Elle fit mine de le croire... lui qui n’aimait rien tant que la vie en groupe. Il esquiva l’éclat de souffrance dans ses yeux délavés. Elle divorça deux ans plus tard aussi discrètement qu’elle s’était mariée, quitta un travail puis un autre. Disparut pendant de longues semaines.
La mouette s’est envolée. Il devine l’écho de ses présences. La première année, lorsqu’elle a su qu’il lui restait si peu de temps à vivre. Jusqu’à la fin. L’hôpital avait prévenu des parents trop âgés, absents. Il a accouru par réflexe, fouillé tout l’appartement. Avec désarroi, il saisissait le fil cassé d’une vie jumelle, pris dans l’écheveau de ses propres errements.
Alors qu’il quittait l’hôtel, la vieille femme de l’hôtel lui a tendu un sac et les journaux qui précédent la mort de sa sœur. Elle avait dû les acheter selon un dit du père : en province, on ne peut respirer sans le quotidien local. La digue grise est déserte. Il devine qu’Anne s’est tenue, là, où l'horizon prend tout son sens. A-t-elle souffert, il ne saura jamais. Ses derniers jours se résument à quelques lignes, un fait divers : une femme, jeune encore, qui s’affale sur un banc près des flots tranquilles. Il a lu que ciel était limpide ce vendredi-là. Les rayons du soleil l’avaient peut-être réchauffée, bercée jusqu’au dernier instant.
Dans son étau immobile et terne de mer, de ciel et d’absence, la ville le ramène à elle. Quant aux regrets… ils accompagneraient ce regard bleu cendre qui ne le quittera plus jamais.

*Lê Thanh Tong Nostalgie des guerriers

val_tiluLe beau-père (gballand)

Le cerf-volant, un instant suspendu dans la lueur grise de l’après-midi lui disait que la fragilité pouvait aussi être force. Elle tendit son visage à la pluie pour laver le chagrin qui lui avait creusé les traits. Peut-être n’aurait-elle pas dû revenir ? Le banc où elle était assise suintait les peines et elle contemplait l’étendue verdâtre de la mer. Deux mouettes s’approchèrent d’elle mais elle les regarda avec indifférence. Elle repensait aux longues heures passées dans la chambre de son enfance, à la maison silencieuse aux volets clos, aux voisins disparus, à l’absence, aux rouleaux du temps qui la ballottaient au gré de saisons qu’elle ne voyait plus, puis elle ferma les yeux. Elle revit le jardin où les embruns accrochaient des fleurs de sel au lierre qui envahissait la façade, lui dans sa chaise longue, le visage pâle protégé par un chapeau de paille qui lui mangeait le front et près de lui la lettre qu’il ne lui aurait peut-être pas envoyée.

Elle l’avait lue : « J’ai cru pouvoir t’aimer mais comment aurais-je pu ? Tu ressemblais trop à ton père. Peut-on s’avouer qu’on déteste un enfant ? On ne peut forcer personne à aimer. »

Ses doigts lui brûlaient encore du papier déchiré. Maintenant elle devrait composer avec une partition inachevée.  Elle laissa l’esplanade battue par les vents et marcha vers le cimetière où il avait été enterré six mois plus tôt. De sa poche elle sortit un papier, relit une dernière fois les mots qui y étaient griffonnés - " Quand le chagrin est là, une journée dure autant que trois automnes" -  puis elle l’enterra dans le pot de fleurs placé sur le marbre noir.
Peut-être  lirait-il ces mots un jour ?

22 novembre 2010

Duo

Duo avec Caro-carito du blog « les heures de coton » :

il s’agissait d’écrire un texte en prenant comme point de départ, cette photo de « nuages de photo » et la chanson "Via com me" de Paolo Conte. Le premier texte est de Caro-carito, le deuxième de gballand.

Horoscope ascendant Verneau (caro-carito)

automneNormalement, c’est l’heure où je m’arrête pour prendre un café dans le village le plus proche. Après j’enclenche le rendez-vous suivant et je suis d’attaque jusqu’au déjeuner. Mais, cette semaine, je me retrouve dans le Morvan. Je ne suis pas sûr que le rade où j’ai échoué ait un nom. En tout cas, ce troquet s’est endormi bien avant la promulgation de la loi Evin, vu l’épaisseur de la fumée de clopes et de la couche de poussière qui stagne sur les étagères. J’y ai repéré une collection de bouteilles de guignolet, gnôles diverses et autres curiosités qui s’entassent gaiement entre les chiures de mouche et les dessous de bock graisseux. Je venais de fêter mes six semaines d’abstinence. Rayon fumeur. Aussitôt entré, je suis donc ressorti pour mettre, entre moi et ce lieu de tentation, quelques kilomètres salvateurs.
J’ai roulé une bonne demi-heure avant de bifurquer sur un petit chemin. Au bout de quelques kilomètres, je me suis arrêté devant un arbre à la frondaison dorée. La radio débitait mon horoscope, plutôt cœur que sexe, pas trop d’argent et une santé de quarantenaire sur le retour. J’ai ouvert la portière. Depuis trois mois, les astres me promettaient monts et merveilles, la chance au loto, le grand amour pour ce soir. Entre temps, Maryline m’avait quitté. Mon banquier aussi. Je tairais mes soucis de second ordre, clientèle ronchonneuse, voiture ponctuellement en panne, les dégâts des eaux de la mamie du dessus.
Je me suis éloigné de quelques pas. Quand je pense que pas plus tard qu’avant-hier, en désespoir de cause, je suis allé chez Lucia, qui déchiffre l’aventure, bonne ou mauvaise. Elle m’a pris deux cents euros pour me dire que j’étais ascendant Verseau. A une poignée de minutes près, il paraît que j’aurais viré ascendant cancer ou un truc plus adéquat… Mais non, c’est Verseau. « Et Verseau, m’a-t-elle dit, c’est pas pire ou meilleur. Faut pas croire. C’est juste que les astres sont muets ». Après, elle s’est envasée dans une explication à base d’étoiles et de configurations invisibles. Au bout d’un moment, elle s’est tu. Est-ce parce que je lui ai filé deux autres billets… mais en partant, elle m’a serré le bras, en me soufflant : « Faut croire en rien, c’est le meilleur chemin. »
Je m’adosse à ma bagnole. L’autoradio chantonne toujours, et je reconnais cette voix des premiers flirts, ceux qui ne s’arrêtaient pas en vous flanquant une baffe au moral. J’ai sorti de ma poche le paquet de clopes que j’avais piqué au comptoir. J’ai pensé à la peau de Maryline, tendre à ne plus savoir qu’en faire. Et là, aussi sûrement que le soleil clignotait à travers les branches rousses, aussi sûrement que l’on emballait à la pelle dès que le disc jockey envoyait un slow, j’ai su que ce temps-là ne reviendrait pas.
J’ai savouré jusqu’au bout cette p….. de Marlboro. Je me suis dit que je retournerai pour déjeuner dans ce bled oublié. Pour les murs jaunes et les moulures grenat. La blanquette inscrite à la craie comme plat du jour. Et parce que la serveuse, quand je suis entré, m’a regardé d’un air qui m’a fait baisser les yeux un cran plus bas. Et là, grisé par cette chanson ensoleillée, je me dis que, dans mes mains, ses seins seraient nacrés comme la chair juteuse des poires.
Et que j’aimerais bien y prendre un petit peu goût.

Viens ! (gballand)

automne- Allez, viens !
Mais il ne voulait pas. Il s’était allongé sur le sol jonché de feuilles mortes ; pas moyen de l’en faire partir à moins, peut-être, de le provoquer :
- Si on arrive en retard, tu vas te faire anéantir !
- Je m’en fous ! répondit-il énervé, je n’en ai plus rien à foutre.
Il finit par s'asseoir, enfouit ses mains dans les feuilles et il les fit voltiger autour de lui en riant :
- Regarde ! C’est beau, c’est l’automne qui pleure l’été.
Pourquoi ces simagrées, lui qui d’habitude n’était que raison et mesure. Il s’était à nouveau couché sur le lit de feuilles, mais cette fois sur le ventre et son corps oscillait doucement comme s'il s'unissait à la terre humide. Elle détourna les yeux. Etait-il possible que cet être raisonnable, son propre frère, prenne le chemin de la folie pure ? Elle essaya une dernière fois de le ramener à elle :
- Ca suffit maintenant. Tu me fais peur. Si tu as quelque chose à lui reprocher, dis-lui en face.
- Je parlerai jamais à ce con ! Tire-toi maintenant ! Je veux être seul.
Il se releva, les mains pleines des couleurs de l’automne, éclata d’un rire nerveux et courut vers l’arbre le plus proche dont il enlaça le tronc de ses bras frêles. Il l’embrassa  et déclara d’une voix grandiloquente :
- Maintenant, mon père, c’est toi, pas ce con  qui couche avec ma mère et qui se prend pour mon père !
Elle jeta un dernier regard à cette scène noyée de soleil d’automne, puis elle partit en courant. Elle ne pouvait plus rien pour lui, elle ne le comprenait plus, il était trop tard…

16 novembre 2010

les pintades

Ecrire sur des "pintades" au travail... Qu'est-ce qu'une pintade me direz-vous ? Eh bien une dinde ou  autre chose... Voici deux textes : le premier texte est de Caro-carito, que le séquoia ci-dessous a inspiré ; le deuxième est de gballand.

sequoiaDe la légèreté… ( caro-carito)

Éva tend la main, mais un rond de gazon et déjà des feuilles mortes les séparent. Plusieurs mois déjà qu’elle emprunte le sentier de ce parc de poche, trois bancs, une statue et des topiaires immobiles. S’engouffrer ensuite dans le ventre administratif et emprunté de la sous-préfecture. Elle rejoindra, Mme M, aux cartes grises et aux permis.
Pendant quelques semaines, son poste a tangué, entre un employé non remplacé, les désidératas du directeur, une dépression au deuxième étage. Au bout de six semaines à agrafer des documents et à ne pas savoir renseigner des étrangers au parler chaotique, sur les demandes de permis de travail et titre de séjour, elle avait été reléguée dans ce bureau encombré d’armoires de métal menaçantes et d’une pintade. Car s’en était une, blonde avec suffisamment de mèches rousses et de racines brunes pour incarner la bêtise universelle avec un soupçon de malveillance. Une volaille au brushing laqué, la jupe tubulaire dont les semblables traînent sur les marchés de province. Et le caquètement incorporé.
Au bout de quinze jours, elle n’avait pu endiguer son désespoir de devoir supporter l’insupportable mégère et cette bêtise crasse qui se déposait, à ses dépens, dans la pièce mal climatisée et en panne de lumière naturelle. Ses yeux bleus clignotaient et elle avait noté avec désespoir un RV chez l’opticien ; elle aurait perdu la vue quand le spécialiste aurait pu la recevoir, aux alentours des calendes grecques.
Aujourd’hui, elle étale son temps de pause sur sa jupe noire au genou. Elle profite des dernières ardeurs de l’été dans le clos des haies rougissantes. Déballer un sandwich, croquer une pomme. Elle repense à ces semaines troubles où elle sentait que son humeur oscillait, fragile, entre pics de colère et des montées lentes de découragement. La pintade la poursuivait, dans ses rêves, dans ses pensées. Étrange pouvoir que celui de la bêtise qui s’incruste dans chaque minute, nous surprenant au réveil, dans un rire et même au creux d’une innocente page de journal.
Elle se dit qu’elle aurait pu continuer longtemps, polluée par ce compagnonnage nuisible. Comme à chaque arrivée, la surprendre se fardant, lipstick rose et mascara épais. Si odieusement féminine et aguicheuse qu’Éva enfilait le matin, sans même y penser, en réflexe protecteur, un pantalon et un pull sans la moindre chaîne doré, sans même une bague. Oui, elle aurait continué longtemps ce jeu où, à mesure que l’autre se faisait menaçante et caquetante, elle serait devenue totalement invisible, même à ses propres yeux.
Transparente et insensible, aurait-elle dû ajouter. Comme une fleur fanée qui se referme, se craquèle, s’émiette. Jusqu’à ce jour où elle avait buté contre la réalité et l’avait, surpris, lui, Diego, avec Thomas, Tom, à peine un adolescent. Leur Tom. Écarquillant les yeux en surprenant un discours de vieux, condescendant, style, tu verras, mon petit gars. Comment ne s’en était-elle pas rendu compte ? Empêtrée dans ses failles et ses hésitations, tout simplement. Elle n’avait pas mis longtemps à se désengluer des soucis, ces scories qui étaient devenues montagnes. Elle se devait de respirer à nouveau. Reprendre pied, renouer avec l’essentiel. Elle n’était pas de celles qui sombrent aisément.
Elle tend la main, épouser les lignes épaisses qui sculptent la chair de l’arbre. Un séquoia à fleur de toucher, palper, épouser. Précautionneusement, elle laisse son repas entamé, son sac sur le banc et s’avance vers lui. Son regard grimpe haut, jusqu’à cette pointe de clarté qui modèle la tête du géant, jusque ce jour, gommé par les tours de bétons et les arcs boutant de la cathédrale. Elle le croisait et ne l’avait jamais connu. Elle ne pouvait pas, son pas, son regard étaient restés prisonniers du chemin de gravier, attachés aux mottes de terre qui maculaient un gazon sale. Sauf aujourd’hui. Tous les deux, elle et l’arbre, ont sans doute rendez-vous. Une rencontre qu’un automne naissant a sans doute préparée. On peut lire de la légèreté dans ses gestes déliés, son chemisier léger s’ouvre sous la brise. Lui, à peine un peu plus visible à travers la claire-voie d’une frondaison voisine dépouillée. Elle se tient devant lui, les épaules lâches, apaisée. Ses lèvres appellent un baiser, effleurer l’arbre et sa peau rugueuse. Caresser la ligne claire et suivre jusqu’au ciel ce chant ondulant aux odeurs de sève et d’équilibre. Frémir contre ce pouls imperceptible.
Elle s’approche, se colle à lui. Elle croit un instant sentir son corps immense battre contre sa joue, contre sa peau. Si seulement il pouvait lui répondre et déposer en elle ce temps diaphane qui efface les bruits de fond, les propos oiseux et le caquètement entêtant des bataillons de pintades et dindons, de corps lourds et empotés.
Le baiser d’un rayon de soleil s’attarde sur le dos de sa main. À regret, elle se dégage lentement et s’éloigne. Elle range son déjeuner entamé, attrape son sac. Quelques pas au bout desquels elle se retourne furtivement. Dans l’étroit carré de verdure, l’arbre se hisse vers la lumière. Si simplement elle pouvait, elle aussi, ressentir cet élan de légèreté et se laisser porter. Elle hésite, esquisse un geste de la main. Oui, se retrouver, peau contre peau. A fleur de silence.

Le service examens (Gballand)

Secrétaire  au rectorat, Martine est sous l'autorité de M. Delplan, chef du service examens. En 20 ans de "carrière" Martine s'est fait son trou, comme on dit. Elle a son bureau, son ordinateur, sa poubelle, sa chaise, son téléphone  et personne ne peut  y toucher. C'est tout au moins ce que rapporte Cindy, sa nouvelle collègue de travail, deux années de service au rectorat, mais juste deux semaines  dans le même bureau que  Martine.
Cindy est arrivée avec ses ongles multicolores, ses photos, son miroir, sa bonne humeur contagieuse et ses conversations vaines. C’est cela que lui reproche Martine : elle parle trop et sourit trop pour être honnête.
Cindy est incollable sur « Plus belle la vie » et les recettes basse calorie ; il faut dire que Cindy soigne son aspect extérieur, Martine non. Cindy est plutôt tenue moulante et couleurs chaudes. Martine, elle, n’a aucun style. Sa seule préoccupation en matière de style : dissimuler un fessier proéminent. Cindy a bien donné quelques leçons de « relooking » à Martine, mais Martine a cru qu’elle se moquait d’elle. Pourtant Cindy est incapable de se moquer de quiconque. Cindy est d’abord et avant tout « premier degré ». Dans sa famille on est « premier degré » de génération en génération.
Martine met tout son talent à étriller Cindy. Elle est même allée jusqu’à dire que Cindy était une pauvre imbécile prête à tout pour grimper dans la hiérarchie ; même à "monter" le pauvre Delplan qui, pourtant, selon Martine, a autant de sex appeal qu’un bouc !
Martine sait que si elle fait encore un petit effort,  cette sotte de Cindy tombera définitivement en arrêt maladie… c’est ce qui est arrivé à l’imbécile de Cynthia, celle qui a précédé Cindy.

5 novembre 2010

La page 99

Sur les conseils de Ford Madox Ford, évoqué sur le blog de  Wrath , je me suis amusée à parcourir la page 99 d’un certain nombre de livres.  J’ai choisi des livres faisant partie des « hits » de la FNAC.
Pour le plaisir,  j’ai relevé une phrase ou un bout de phrase de la page 99 de chacun de ces livres afin d’écrire un texte- patchwork avec quelques raccords personnels. Les citations des livres sont en italique. Le nom des auteurs est précisé sous le texte. Vous pouvez, si le cœur vous en dit, imaginer à qui appartient telle ou telle citation.

L’enquêteur regarda si sa blouse était correctement boutonnée. Il ressassait l’histoire de cette pauvre petite fille riche : a suivi une éducation bourgeoise, toute de raideur et de tradition, pouvait s’acheter des livres, mais elle continuait à fréquenter la bibliothèque…

Il voyait bien qu’il avait échoué, il n’avait pas même réussi à appréhender le sujet. Tout animal habite soit à l’intérieur soit à l’extérieur de son squelette, c’était sans doute la leçon de moral à tirer de cette histoire. Bien sûr il y avait ce papier où elle avait griffonné « J’y voyais tellement de complaisance, d’adolescence mal dégrossie. », bien sûr on disait qu’elle ne s’entendait pas avec sa mère - « Tu me fais chier maman, tu me fais chier avec ton discours bien-pensant » - étaient parait-il ses paroles fétiches, mais cela suffisait-il à faire de cette fille une suicidaire comme on voulait le lui laisser penser ?

Il se demandait d’où lui venait cette phrase qui lui tournait dans la tête depuis le matin : « Comment mes parents ont-ils réussi à se disputer dans une rue aussi tranquille » ? L’explication de ce cadavre était sans doute dans cette phrase-là. La vie peut basculer à une vitesse incroyable, mais qui s’en aperçoit ?

Le ciel était en flamme. Le soleil tombait en grand apparat mais lui, il se foutait du spectacle de l’astre solaire. Encore une affaire de meurtre qu’on lui avait collée sans lui demander son avis et qui prendrait des mois à être élucidée. Qu’on ne cesse de me demander des services me sidère   - grommelait-il – et moi, qui me rend service ?

Auteurs cités : Amélie Nothomb, une forme de vie ; Beigbeder, un roman français ; Michel Houellebecq, la carte et le territoire, Ingrid Betancourt, même le silence a une fin ; Jean d’Ormesson, c’est une chose étrange à la fin, le monde ; Tatiana de Rosnay, boomerang ; Katerin Pancol, les yeux jaunes des crocodiles, Paulo Coelho, onze minutes ; Marc Levy, le voleur d’ombres ; Olivier Adam, le cœur régulier ; Philippe Claudel, l’enquête.

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