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Presquevoix...
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13 avril 2012

Duo

Nouveau duo inspiré de cette photo de Patrick Cassagne.

Le texte que vous allez lire est de Caro-carito, du blog les heures de coton, quant à mon texte, il  est sur son blog.

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Main-fenêtreTerreur nocturne

Le rêve s’en était allé aussi brusquement qu’il était arrivé. Il passa la main sur le visage enfin apaisé d’Anne, sa bouche ronde à l’abandon. Il contempla encore un instant les traits paisibles de son épouse avant de se lever. Inutile d’espérer le sommeil, il valait mieux descendre dans la cuisine et guetter l’aube.


Ils s’étaient rencontrés à vingt ans et, était-ce leur jeunesse, ils avaient immédiatement cru qu’ils marcheraient longtemps côte à côte, peut-être même pour toujours. Et ils avaient reçu ce que l’on peut attendre de la vie : des rideaux clairs aux fenêtres, des repas d’amoureux où les bougies s’éteignent très vite puisque les nuits se font longues et douces. Un enfant… une fillette. Du travail et les cinq semaines de congés annuels pendant lesquels la voiture achetée d’occasion se traînait paresseusement sur les routes et les campings de France.


Il n’avait pas tout de suite remarqué les absences d’Anne. Ses silences qui envahissaient leurs soirs d’été et d’où elle revenait à chaque fois le regard flou. Une enfance et une jeunesse qu’il avait crues limpides et qui se révélaient mouvantes, envahies de non-dits et d’à-peu-près. Une vie passée qui se démultipliaient et qui n’en était aucune. Ces peurs aussi, qui interrompaient leur sommeil et que, infatigablement, il éloignait en lui chuchotant à l’oreille des mots d’enfants et des baisers légers.


Patiemment, il avait affronté les fantômes qui surgissaient de l’ombre, certain qu’à eux trois, une famille, ils sauraient vaincre la solitude apeurée des nuits, les tremblements qui la secouaient, les angoisses qui cherchaient à s’accrocher aux murs de papier de leur pavillon.


Et peu à peu les peurs avaient disparu. Anne souriait à leur enfant, leurs mains se mêlaient à nouveau pour une sortie du dimanche ou pour un bouquet ou un châle offert. Ils s’endormaient l’un contre l’autre et, en épiant son souffle léger et ses yeux paisiblement clos, il se disait que leur jeunesse avait sans doute eu raison.


Une nuit, il la sentit tremblante contre lui. Elle lui avoua alors les cauchemars qui l’avaient accompagnée depuis l'enfance et qui avaient presque tous fini par s’éclipser. Tous sauf un qui revenait inlassablement. Elle avait douze ans, marchait puis fuyait devant une menace inconnue et, arrivée à cette porte-fenêtre où une main…


Depuis, chaque nuit, le  doux corps d’Anne qui se pressait contre lui secoué de frayeurs le réveillait. Il contemplait cette peau familière, trempée de sueurs et de frissons glacés et remontait le drap jusqu’à l’arrondi de l’épaule. Il savait désormais. Le combat était perdu d’avance et son impuissance l’atterrait.


Le mois passé, Anne avait cessé de voir cette spécialiste, Mme M., qui n’avait pas su démêler les fils de ses terreurs. Il n’avait rien dit, s’était résigné. Ce qu’il avait cru être un amour éternel se révélait une illusion pareille à tant d’autres. Désormais, il veillait sur l’âme brisée d’Anne sans plus de convictions que celles que donnent l’habitude et le devoir.


Hier en faisant quelques courses, il avait rencontré Madame M. Présentation, rapide bonsoir. Elle était presque loin quand il l’avait rejointe précipitamment et lui avait confié cette angoisse qui depuis quelques semaines ne le lâchait plus : chaque nuit, il sentait une main, à la peau grise et froide, effleurer ses rêves…

 

Caro Mennesson - Le Pain Perdu, 12 avril 2012


30 mars 2012

Les mouches

Pourquoi, mais pourquoi il veut toujours que je fasse quelque chose. Moi je ne veux rien faire,  juste rester dans un rayon de lumière, juste voir la vie qui passe… Attendre… attendre que les choses se fassent en moi et  rien faire ! Je me souviens quand il me disait

-    Mais arrête donc de regarder les mouches voler, fainéante !

Pourtant c’est beau les mouches, même les mouches à merde… et Dieu sait qu’il y en avait des mouches qui venaient coller leurs ailes bleues sur le fil gluant qui se balançait au-dessus de la table de la cuisine !
Il m’emmerde, il m’emmerde, il m’emmerde, il m’emmerde, il m’emmerde, il m’emmerde ; et s’il m’appelle j’irai pas, je ferai semblant que je l’entends pas, je ferai semblant que j'existe pas, je ferai semblant qu’il y  a plus d’abonnée au numéro qu’il a demandé, je…

-    ARMELLE !!! ARMELLE !!!  ARMELLE !!! 

Ca y est, il recommence. (elle se bouche les oreilles et parle en se bouchant les oreilles). Il a pas le droit de m’appeler comme ça. Je  lui dois rien, je  lui dois rien du tout. (elle se débouche les oreilles) Pourquoi il m’appelle tout le temps, j’y suis allée il y a deux heures, ça suffit bien comme ça, non ?

-    ARMELLE !!! ARMELLE !!! ARMELLE !!! ARMELLE !!!

Je  veux pas y aller, il peut bien pisser au lit, je m’en fous ! Je lui changerai pas ses draps, il restera dans sa merde ! Est-ce qu’il se souciait de moi quand je pleurais parce qu’il me faisait mal ? Est-ce qu’il s’est jamais posé la question ? Et elle qui disait rien. Je me souviens du jour où j’étais allée avec elle à la messe et où je lui avais tout dit ! Elle m’avait répondu que j’avais qu’à me tenir tranquille et que je le faisais exprès…

-    ARMELLE !!! ARMELLE !!! ARMELLE !!! ARMELLE !!!

(Elle se bouche à nouveau les oreilles en chantant)
J’irai pas, j’irai pas, il peut bien crier, j’irai pas, j’irai pas, il peut bien mourir, j’irai pas, (elle se débouche les oreilles). Je  t’aime pas d’abord ! On peut pas se forcer à aimer les gens ! Je me souviens quand il voulait que j’écoute les saletés qu’il disait. J’attendais qu’il ait fini en me bouchant les oreilles de l’intérieur. On peut pas se forcer à aimer les gens, même ses parents !

-    ARMELLE !!! J’AI BESOIN DE TOI ! VIENS !

Il peut toujours appeler, qu’est-ce qu’il croit ? Que je vais arriver ventre à terre parce qu’il claque des doigts. Je suis pas sa femme moi ! Elle est morte… et maintenant, c’est moi qui décide ! Il peut bien appeler, j’irai si j’ai envie. Je me souviens quand il avait fermé la porte de ma chambre à clef… « Tu crois que tu vas me mener par le bout du nez, petite garce » qu’il avait dit « quand tu auras changé d’avis tu m’appelleras ! » Et j’étais restée enfermée toute l’après-midi ! C’est ma mère qui était venue me chercher pour le repas du soir. Elle avait fait aucun commentaire.

-    ARMELLE,  POURQUOI TU VIENS PAS ?

Il croit que je vais me sentir coupable ? Ça c’est ce qu’il voudrait mais ça risque pas. Je lui dois rien. Je lui ai déjà tout redonné au centuple ! Il va quand même pas me faire le coup qu’il s’est saigné au quatre veines pour moi ! Quand je pense que j’avais peur de lui ! Il essayait bien de m’attirer avec sa fausse voix de miel, mais ça marchait pas, je savais bien que tout ça c’était faux, faux, faux, faux, archi-faux ! Ça cachait quelque chose !

-    ARMELLE, ARMELLE, VIENS !

(Elle hurle) MERDE ! Je peux pas venir, je suis occupée ! Je regarde les mouches voler !

 

PS : Petite pause, le prochain texte sera pour le lundi 2 avril.

 

26 mars 2012

Duo

Nouveau duo à partir d’une citation :  « choisir l’ombre plutôt que la proie »

Le texte que vous allez lire est de Caro-carito, du blog les heures de coton, quant à mon texte, il  est sur son blog.

 

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Une bière entre hommes – Pierre-David

À 28 ans, Pierre-David avait rencontré par hasard Marion et Charlotte. Un verre dans un bar en compagnie de collègues après une journée difficile : depuis dix jours, des cours des matières premières en baisse continue, comme ses futures primes et son moral. Sur l’estrade exigüe, Marion jouait de la clarinette basse et Charlotte s’époumonait, la peau scintillante. Derrière elles, un gars au piano et peut-être bien un autre. Un peu plus tard dans la soirée, les cinq traders les avaient invitées à leur table et avaient commandé du champagne. On avait échangé des numéros et rendez-vous avait été pris.

Elle était seule, il était libre ; Pierre-David était sorti alors avec Marion. Marion en gris et ardoise, gris et une touche orangée, gris et bronze. Un chapeau de feutre informe sur la tête et une écharpe emberlificotée autour du cou. Au bout de dix jours, il s’en était lassé. Redevenu chasseur, il avait vite croqué une nouvelle proie consentante : la peu farouche Charlotte. Ses longs cils et ce rire de gorge quand elle disait qu’elle serait une star l’avaient ébloui. Il lui avait très vite offert un solitaire, une villa, des vacances en Corse. Très vite aussi, les enfants, le yacht, les soirées, les voyages, les week-ends à Megève. Et logiquement, le divorce, les insultes, les coups bas.

Dans cette descente aux enfers, Pierre-David avait retrouvé le chemin de sa bande de copains. Ils n’étaient plus traders - un métier qui use son homme - mais gagnaient toujours aussi bien leur vie. Sauf Jean-Luc. Jean-Luc avait passé la main, déménagé à Clamart, avait installé son cabinet d’ostéopathie et s’était marié avec Marion. Ils avaient trois enfants, un chat et un hamster. Ils étaient heureux.

Tous les deux s’étaient retrouvés devant une bière, les autres avaient décliné l’invitation à la dernière minute. Quand Pierre-David avait demandé des nouvelles des sa famille - par pure politesse puisqu’il ne parlait que de lui et de ses problèmes depuis deux heures - Jean-Luc avait tiré de son portefeuille une photo. Il avait reconnu Marion dans la femme ronde qui lui souriait. Oui, elle était toujours musicienne,  plus que jamais. Il revit alors la jeune fille en gris qu’il avait délaissée et reléguée dans l’ombre pour Charlotte. Charlotte qu’il avait épousée et qui le laissait maintenant sur la paille.

Tandis que Jean-Luc rangeait la photo, Pierre-David se dit qu’il n’avait été qu’un imbécile : il aurait dû choisir l’ombre plutôt que la proie. Quand il leva son quatrième verre, et qu’il trinqua à la santé de Jean-Luc, du bonheur etc…, l’alcool lui chuchota que ce salop qui se disait son pote lui avait effectivement piqué la femme de sa vie. Ouais, la vie c’était bien une putain de saloperie où l’on ne peut faire confiance à personne. Il leva la main et commanda un autre verre.

 

25 mars 2012

La filature

Je suivis ce mauvais garçon qui sifflotait mains dans les poches, je le suivis longtemps, assez  pour avoir mal aux jambes, toujours cette varice qui  me faisait souffrir. Contre toute attente, le type s’arrêta chez le libraire et je restais dehors, sous la pluie. Au bout de cinq minutes, trempée des pluies d’automne, je décidai d’entrer et  le trouvai au rayon poésie.   Un salaud lit-il de la poésie ? Mais j’étais payée pour le suivre, non pour lui trouver des circonstances atténuantes. Quand il partit vers la caisse,  je fis de même, prenant un livre au hasard. Sur le comptoir, il déposa doucement Apollinaire.  Un salopard lit-il Apollinaire ?

- Un paquet cadeau, demanda-t-il, c’est pour ma femme.

Sa femme ? Sa femme qu’il trompait et battait ? Fichu manipulateur, pensai-je. La caissière  emballa le livre et moi j’observais ses reflets blonds dans la lumière d’automne.

Quand il eut payé, il se retourna  et me dit d’une voix rauque.

- Tu me suis, c’est ça ?

L’étrange beauté de son visage me surprit et je lui répondis sans réfléchir.

- Un soir de demi-brume à Londres, un voyou qui ressemblait à mon amour vint à ma rencontre.

Il enchaîna aussitôt.

- Et le regard qu'il me jeta me fit baisser les yeux de honte. La Chanson du Mal aimé, sourit-il.

Je baissai les yeux. Sur la photo que sa femme m’avait tendue, une semaine plus tôt, il ne souriait pas.

Une heure plus tard il me lisait Apollinaire dans la chambre 29 de l’hôtel des Carmes...



PS : texte écrit dans le cadre des “impromptus littéraires”.

13 mars 2012

Lettre anonyme

Mon amour,

Oui, c’est à toi que cette lettre est destinée.
 
Personne ne te connait mieux que moi. Je suis le vent qui agite les voiles de lin aux fenêtres de ta chambre. Combien de fois mes yeux ont parcouru ton corps. Tu ne me crois pas ? Pourtant je n’ai pas inventé ce grain de beauté blotti  au creux  de ton nombril, ni cette cicatrice scintillante que ma bouche parfois dessine dans la douceur de la nuit.

Je sens que tu as peur. Peut-être même as-tu déjà fermé ta porte à double tour et tiré les rideaux. Mais rassure-toi, jamais je ne te ferai de mal. Je me contenterai de te regarder en silence, comme je le fais depuis si longtemps.

Maintenant, chaque nuit, dans la transparence de tes draps bleus, tu penseras à moi, à ces mots qui ont souvent caressé ton corps avant que je ne les couche sur ce papier glissé sous ta porte. Sans doute suis-je un fantôme qui glisse sur les êtres et les choses sans que ma trace ne s’inscrive nulle part. On dit souvent que les fantômes savent de l’amour des choses que les hommes ignorent. Il paraît même que sous le souffle de leur désir les forêts virginales ruissellent de jouissance. Je crois que je suis de ceux-là...

Surtout, ne cherche pas à savoir qui je suis ou le charme se romprait. J'attendrai dans le silence de l’ombre...

Le fantôme anonyme

PS : texte écrit dans le cadre des impromptus littéraires

1 mars 2012

Au mariage de ma cousine...

Une chose est sûre, au mariage de ma cousine, je ne reconnaissais personne ; cela faisait au moins 15 ans que je n’avais pas vu la famille de ce côté-là.

Si je l’ai reconnue, elle, c’est à cause de sa  robe blanche.  Quand je l’ai saluée, elle m’a dit “ Boujour madame “, tout simplement, et j’ai fait de même. La vie ne l’a pas épargnée. Je l’ai quittée à quinze ans, jolie et souriante ; je la retrouve à 30, transformée en saucisse de Morteau avec une choucroute sur la tête. Je ne parlerai  pas de son mari  et de son air de ruminant qui aurait dû faire fuir n’importe quelle femme normalement constitiuée.

Quant au reste de la famille,  j’ai eu beau les regarder un à un, je ne savais pas qui était qui. Le jeu a consisté à essayer de reconstituer les liens, un jeu d’une effrayante complexité qui nous a bien fait rire, mon frère et moi, pendant une heure au moins.

Nous nous sommes interrompus à cause d’un homme qui s’est approché de nous. Il m’a fixée de son regard bleu, presque transparent, et m’a dit en souriant.

- Caroline ?

J’ai sûrement rougi en répondant.

- Oui, à qui ai-je l’honneur ?

- Jean, a-t-il continué, le frère de la mariée.

J’ai failli m’étrangler. Jean ! C’était Jean ? Le Jean qui était “ monté ” à Paris et dont j’étais presque tombée amoureuse à l’adolescence.  Je ne sais pas pourquoi, mais son regard me mettait mal à l’aise. Au bout d’une minute qui m’a paru interminable, il m’a dit.

- Eh bien, je ne t’aurais pas reconnue.
- Ah bon, pourquoi ?

Je n’aurais jamais dû lui poser cette question. Il m’a répondu.

- La dernière fois que je t’ai vue, tu avais à peine quinze ans, je crois même que j’étais un peu amoureux de toi, tu étais si drôle et séduisante. Et maintenant il y a  ce pli amer au coin de tes lèvres, ce regard qui  jauge et soupèse. Il ne doit pas y avoir grand monde qui trouve grâce à tes yeux !

La mine faussement contrite, j’ai juste rétorqué.

- Si, toi peut-être.

Il n’a pas relevé. Il  nous a dit  “ Je dois rejoindre la mariée ! ” et il a tourné les talons. Ce départ soudain a sonné comme une gifle.

Mon frère a ri  en concluant.

- Raté, essaie encore !  Mais je crois qu’avec lui,  je n’essaierai plus.

 

PS : texte écrit dans les cadre des " impromptus littéraires "

27 février 2012

Duo

Pour ce nouveau Duo avec Caro, du blog « les heures de coton », voici les ingrédients : une citation de Eric Holder, lue sur le site de Patrick Cassagnes  - Comment expliquer... cette cassure entre vouloir et ne pas pouvoir ? -  puis ce fado, chanté par  Mariza, “ gente da minha terra ”.

Voici son texte, le mien est sur son blog.

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Un charme qui vient du nord… ou bien du sud ?

           " Comment expliquer... cette cassure entre vouloir et ne pas pouvoir ? "

 

caroElle lui avait dit qu’il pouvait l’appeler de jour comme de nuit, que cela ne la dérangeait pas. Il l’avait regardée, étonné. Vraiment ? Même à minuit ? Même au petit matin ? Même s’il la réveillait ?

Elle répondit. Non. Aucun souci. Mais est-ce qu’on croit vraiment ce que l’on dit ? Au fond, ne pense-t-on pas que l’autre va être flatté et puis qu’il oubliera ? Une sorte de bonne parole qui ne coûte pas cher.

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Il est trois heures six du mat, un dimanche, et la bonne parole se rappelle soudain à elle. Réveil en sursaut. Elle sourit pourtant. Elle a reconnu le jingle annonçant un texto de lui. Elle ne l’avouerait pour rien au monde, mais les SMS amoureux - et coquins - et même plus - l’enchantent.

Six mots l’attendent. Six mots, trois fautes d’orthographe et une baffe sentimentale. Elle ne sourit plus. Ce n’est pas la première fois qu’elle se fait plaquer. Mais par SMS en plein milieu de la nuit, c’est une première.

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Le lundi soir, elle atterrit dans un bar au look phosphorescent. Elle trinque avec Lulu qui a le même don d’aligner les aventures courtes et sentimentalement assassines. Deux heures à boire et à tournicoter autour de cette question existentielle : comment refuser un mec, comment ne pas recommencer les mêmes erreurs ? Vouloir et ne pas pouvoir, c’était un résumé lapidaire et réaliste de leurs vingt-sept années de vie, trois mois, quatre jours et des poussières de minutes.

Après avoir partagé un mètre de shooters, Lulu et elle s’étaient fait le serment de devenir des femmes fortes, de ne plus délirer sur le premier Scandinave venu. Parce que ça aussi c’était un problème. Pourquoi s’être focalisées toutes les deux sur les blonds types surfeurs avec un cul de rêve. Ça hypothéquait singulièrement leurs chances de réussite en amour. Un peu comme envoyer seulement quatre CV bien ciblés quand on habite une région sinistrée, avec 38 % de taux de chômage chez les moins de trente ans. En vidant leur dernier verre, elles avaient pris ensemble la décision symbolique de s’inscrire à des cours de flamenco. Le nouveau focus : une population masculine exclusivement brune.

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Dix jours après, elles poussent la porte du club lusophone de  Saint-Quentin. Une odeur inconnue et intrigante vient de la cuisine ; une vidéo passe en boucle. Lulu va directement vers un brun fortement décoloré. Bonjour la résolution ! Hésitante, elle finit par se planter devant la télé : une nana aux cheveux si ras, qu’elle aurait voulu être capable d’arborer la même coupe, y danse et gémit avec grâce. Elle sent les larmes rouler sur ses joues. C’est malin, pour son premier cours de fado, elle va être moche à souhait.

Et puis, cette main sur son bras. Un parfum de musc et de vanille. Elle en a la chair de poule. L’impression de s’être transformée en une statue de marbre. Quand elle entend la voix de Manuel Teixeira et qu’elle se retourne, elle retrouve ce réflexe d’enfance. Une prière muette : « Faites, mon Dieu, s’il vous plaît, que cet homme ne me brise pas le cœur comme les autres. J’ai tenu ma promesse, il est brun, pas blond comme le gars qui tient déjà Lulu par la taille. Père, je ne veux plus souffrir. » Elle ferme les yeux et les ouvre. Sa bouche s’arrondit en une cerise rouge à croquer et elle suit docilement l’homme qui la tient par la main et l’amène vers une porte au fond de la salle. Sur l’écran, les mains de la femme en noir se serrent tandis que la voix chante, pleure, sourit. Espère.

20 février 2012

Einstein habite chez moi !

Il y a quinze jours, mon mari a invité un ami d’enfance. J’avoue que quand je l’ai vu, ça m’a fait un choc : c’est le SDF qui fait la manche à la sortie de la boulangerie. Je lui ai dit bonjour, poliment, en interrogeant mon mari du regard. Il m’a dit.

- Bernard restera quelque temps chez nous. Il ne sait pas où aller et comme on a la chambre du bas... tu sais que Bernard et moi on était à l’école primaire ensemble ?

J’ai acquiescé avec une certaine répugnance. Grande était  mon envie d’expédier Bernard sous la douche, mais je me suis retenue. Il est descendu au rez-de-jardin avec son bardas noirci par la crasse et moi, j’ai attendu dans la cuisine que mon mari remonte.

Je passe sous silence  nos violents échanges, porte fermée. Mon mari a conclu sur ses mots.

- Tu verras, il te surprendra.

Lors du premier repas,  Bernard s’était lavé, mais il y avait toujours cette crasse qui n’avait pas pu partir sur ses mains. Il a pris part à la conversation, a glissé deux ou trois citations qui m’ont étonnée, puis il s’est endormi sur son assiette, vide heureusement.

C’est au troisième repas que les choses ont pris une autre tournure. Il avait mis une chemise bleue et ses main semblaient plus blanches, comme s’il les avait patiemment récurées. Il a commencé en disant : “L'homme évite habituellement d'accorder de l'intelligence à autrui, sauf quand par hasard il s'agit d'un ennemi.” J’ai levé les yeux de mon assiette, je me demandais s’il  parlait pour moi. Et il a continué : “ En apparence, la vie n'a aucun sens, et pourtant, il est impossible qu'il n'y en ait pas un ! ”
Mon mari lui a juste demandé.

- La rue ? C’est à cause de ça ?

Et il a fait oui de la tête. Puis il a voulu un bout de papier et s’est lancé dans une démonstration mathématiques qui a laissé mon mari abasourdi, lui qui pourtant se targue d’en connaître un rayon sur les maths. Je l’ai entendu annoner.

- Quoi ? Tu as démontré la conjecture de Syracuse ?

Pour moi, Syracuse c’était la Sicile et la chanson de Salvador, pas la conjecture. Les gribouillis s’accumulaient sur la feuille qui, d’ailleurs, s’avérait trop petite. Je m’ennuyais – j’ai toujours détesté les mathématiques – et je me suis retranchée dans la cuisine pour ranger un peu.

J’étais entrain d’essuyer les dernières assiettes quand j’ai entendu mon mari pousser un hurlement accompagné d’exclamations.

- Tu es un Dieu vivant Bernard ! Putain, mais comment tu as pu faire ça ?  Tout seul ! En vivant dans des conditions plus que précaires ! Putain Bernard, mais c’est dingue !

Ensuite, j’ai vu son ami se pencher à nouveau sur sa feuille et, fébrilement, la consteller de suites improbables...

Le lendemain j’ai croisé Bernard dans la cuisine, juste avant d’aller au travail et, en me regardant fixement, il a dit en détachant les syllabes.

-" Celui qui ne peut plus éprouver ni étonnement ni surprise, est pour ainsi dire mort : ses yeux sont éteints ".

Je lui ai dit bêtement  Merci Bernard. Et depuis, cette phrase me trotte dans ma tête...


PS : les citations entre guillemets sont supposées être d’Einstein

Texte écrit dans le cadre des impromptus littéraires.

13 février 2012

Le Rouen-Amiens

On voit de drôles de choses dans un train. De si drôles de choses que j’ai même été tenté de me rendre au commissariat. Comment oublier cette scène-là ?

C’était la semaine dernière,  j’étais monté dans le train qui fait Rouen-Amiens, un tortillard qui écume les gares comme certains écument les bars. Vous vous demanderez peut-être  pourquoi je parle de bars...  c’est à cause de ce type, assis en face de moi, qui a  sorti une flasque. Il m’a proposé du cognac, j’ai refusé.

- Jamais le matin,  un principe, ai-je souri.

Il m’a rétorqué que lui aussi avait des principes, avant, mais qu’ils étaient tous tombés les uns après les autres, comme des combattants sur le champ d’honneur. Ensuite, il a sorti une photo et me l’a tendue.

- C’était elle, il y a cinq jours. Maintenant elle est morte.

- Morte ? Ai-je répété.

Et il ajouté, le visage livide.

- Oui, je l’ai tuée.

- Tuée ! ai-je repris abasourdi.

- Oui, elle ne méritait plus de vivre après ce qu’elle m’avait fait.

Je vous avouerais qu’à ce moment-là j’ai voulu partir, mais il était trop tard. Je devais tout écouter, jusqu’à Amiens.

Son histoire était triste, sordide même. La fille avait un amant -  son meilleur ami -  dont elle lui vantait les prouesses sexuelles. L’histoire avait duré six mois, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus et qu’il décide de la tuer.

Pendant qu’ il racontait son histoire, je jetais un coup d’oeil à la photo de la fille. On lui aurait donné le bon dieu sans confession,  pourtant ce type disait que c’était une salope. Qui croire ? Enfin, s’il disait la vérité, elle avait bel et bien disparu, découpée en morceaux, et les morceaux étaient dans la forêt, au lieu dit de “L’étape”. Je me demandais vraiment pourquoi il me donnait toute ces précisions.

Une fois arrivés à Amiens, il m’a serré la main, ma remercié de mon écoute, et m’a tendu sa carte de visite.

- Au plaisir, a-t-il dit.

En prenant sa carte, j’ai constaté qu’il était commissaire de police, à Amiens. Il devait être fou.

Je ne sais pas ce qui m’a poussé à le suivre de loin. Sans doute voulais-je savoir s’il m’avait menti. Il est entré au commissariat. J’aurais pu entrer moi aussi, le dénoncer, mais non,  j’ai préféré attendre dans le café d’en face, comme un abruti. A midi sonnantes, je l’ai vu sortir du commissariat et il s’est dirigé vers le café où je m’étais attablé. Quant à moi, j’ai changé de place, de peur qu’il ne me voie.

Il est resté au comptoir, a commandé un demi et une fille est venue le rejoindre, la même que celle de la photo. Ça m’a fait un choc.

Quand ils sont partis, moi aussi je suis parti, du côté opposé. Deux jours plus tard, j’apprenais par le journal local qu’un commissaire de police avait tué sa femme : c’était lui. Il l’avait tuée à 14 heures, le jour même où je l’avais rencontré, mais il ne l’avait pas coupée en morceaux, juste étranglée, à son domicile.

Depuis, je n’arrive plus à dormir. Je n’arrête pas de me dire que si je ne l’avais pas écouté dans ce maudit train, peut-être que la fille serait encore en vie.

PS : texte écrit dans le cadre des "impromptus littéraires"

8 février 2012

La valse des blogs

Les blogs sont des trottoirs de solitude, ai-je lu un jour sur un blog portugais. Cette définition ne serait pas la mienne, mais la mélancolie qui s'en dégage est tellement séduisante… Aimant écrire, je blogue pour être lue, lire, mais aussi pour tisser des liens qui me donneront envie d’écrire plus et autrement, peut-être…


Je commencerai par Pagenas, de Sucrebleu ; notre rencontre est déjà ancienne mais le temps ne l'a pas encore égratignée. J’apprécie ses collages, ses photos, ses montages, et son humour grinçant. Et puis, il y a  Caro-carito, alias "les heures de coton", avec qui je pratique le « Duo » d’écriture, une façon de stimuler nos plumes respectives. Aujourd’hui, Caro  a mis en ligne un texte savoureux  inspiré par des pseudos étranges…  Je rends aussi visite à Dominique Hasselmann  qui vagabonde avec bonheur et humour sur les trottoirs de Paris, de la politique et de  la culture,  à Lautreje  qui associe développement personnel et pratiques artistiques, à Adrienne dont les billets, écrits de sa « lointaine » Belgique, trouvent un écho en moi. Je n’oublie pas non plus de faire un tour chez Gicerilla, dont la plume chatouille parfois l’érotisme, chez Phrasibuleuse, une amie qui pratique l’autofiction, la fiction et les collages  et chez Pastelle qui aime Lyon et la photo qu’elle explore sous toutes les coutures. L’anagramme des anges me  fait  voyager en poésie, quant à  Nuage de photos,  ses titres vont à merveille avec ses photos. Et il y a  tous les autres blogs dont je pousse la porte, mais peut-être moins souvent : Latil, Eclats de mots, corps et âmes, le Lorgnon mélancolique, Claire ou le pan de mur, Alainx, Coumarine, va pieds nus, Walrus, certains jours… j'en oublie certainement, j'espère qu'ils ne m'en voudront pas;.)


Voilà, c’était le p’tit bal, celui des blogs qui valsent, se perdent de vue et se retrouvent un jour ou bien jamais…


Philippe Découflé - Le p'tit bal perdu

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