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7 mai 2013

Cauchemar

P8190096Il passait ses nuits à pédaler ; l’enfer. Le matin, il se levait exténué, le  pyjama à tordre. Il finissait par avoir peur de s’endormir, sûr qu’il aurait encore un ou deux cols à franchir dans la nuit. Mais le pire, ce n’était pas les côtes, c’était  les descentes : il avait peur des sorties de route.

La nuit du 12 mars, il s’était réveillé juste au moment où il ratait un virage dans une descente vertigineuse. Il n’avait pu se rendormir qu’à 5 heures et son réveil avait sonné à 6 heures 30.

Quand il était arrivé au travail, ses collègues s’étaient étonnés de son visage défait. Mais le coup de grâce, c’est son chef de service qui le lui avait donné.

- Dites donc Michu, vous avez une bien mauvaise mine ce matin. Votre femme, par contre, elle a l’air radieuse, je ne sais pas ce que vous lui avez fait…

Michu répondit abattu.

- Je ne lui fais plus rien monsieur, elle m’a quitté. Elle est partie avec un coureur cycliste. A croire que les coureurs cyclistes lui réussissent mieux que les comptables.

Le chef de service, confus, répondit maladroitement.

- Désolé Michu, je savais pas que… désolé, vraiment… désolé.

Et il quitta Michu aussi vite qu’il le put.

PS : photo prise par C. V.

5 mai 2013

L'urne

Dans l’urne, il y avait les cendres de son père. L’incinération – qui avait eu lieu deux jours plus tôt -  l’avait fortement éprouvé : c’était sa première crémation. Il n’avait jamais été proche de son père, il passait d’ailleurs le plus clair de son temps à l’éviter. Ce n’était pas  par hasard qu’il avait choisi d’habiter  Nice alors que son père habitait  Lille. Quarante années d’exaspération silencieuse, de non-dits, quarante années de faux-semblants… et cette punition supplémentaire que son père lui infligeait : l’incinération. Sans parler de ce petit récipient qu’il avait eu la faiblesse -  la lâcheté ? - d’accepter, avec  ces cendres qui finissaient par lui donner le vertige...

C’est dans le taxi qui l’avait amené à l’aéroport de Roissy, que lui était venue l’idée d’abandonner son père. Pourquoi pas  les toilettes de l’aéroport ?  C’était le lieu le moins surveillé pour déposer un petit colis en ces temps de névrose sécuritaire. Ni vu, ni connu ! Il lui suffisait de laisser le récipient derrière les WC et de s’éclipser, personne ne se souviendrait de l’homme au complet noir. C’est donc ce qu’il fit une heure avant d’embarquer, l’esprit presque tranquille.

30 avril 2013

Duo

Aujourd’hui, avec caro-carito, nos textes se croisent en un  duo stimulant : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il  est sur son blog.

La consigne était la suivante : écrire  à partir de la photo ci-dessous, de Dominique Hasselmann.


Hé toi ! L’ancêtre !

D« Non, mais regarde sa tête… » Il suffirait que No s’approche d’un demi-millimètre pour que son visage s’écrase contre la vitre. « Tu ne trouves pas qu’il ressemble à ce connard d’orientateur, celui qui m’a presque traitée de gourde. » Chloé hoche la tête ; elle se souvient très bien du gars, chauve et barbu, avec un costume très laid. Elle s’était sentie transparente quand il avait lu sa fiche de renseignements avec ses vœux d’orientation. Et ça, jusqu’à ce que la mini-jupe de No et ses leggings fluo, ses lèvres brillantes de gloss entrent en scène. Il avait décortiqué de haut en bas l’adolescente, avec un arrêt sur chaque tatouage et chaque piercing. « Vous, je suppose que c’est CAP quelque chose dans le meilleur des cas. De toute manière, avec votre physique et votre look, vous ne pourrez pas espérer grand-chose de plus de la vie. » No avait continué à mâcher son chewing-gum sans broncher. La boxe ne lui avait pas simplement appris à foutre une branlée à qui elle voulait, le combat semblait lui avoir aussi enseigné une certaine retenue.

« Vise l’ancêtre, on dirait le vieux schnock ». Les yeux violines se fixent brusquement sur le dessin du barbu et s’obscurcissent : « La même tronche que… » Chloé voit battre à toute vitesse les cils épaissis par trois couches de mascara en même temps qu’ils s’approchent dangereusement de la vitre poussiéreuse. Elle est sur le point d’ajouter quelque chose, mais s’abstient, en voyant son amie s’engouffrer dans la boutique.

La vendeuse empaquette le fragile bibelot dans un papier parsemé de points d’interrogation colorés et, à l’aide d’une immense paire de ciseaux, fait naître une cascade de frisottis dorés. No s’empare du trophée scintillant avec un grand sourire et le fourre dans son sac. Chloé ne lui demande même pas si le cadeau plaira à son père. Un moule à gâteau où l’on peut lire asshole*… Tendue l’ambiance.

Les deux copines errent dans la ville et, au début de la nuit, se dirigent vers le House of Dreams**, ce QG miteux et sans lumière où l’on peut boire et fumer sans distinction. Quelques heures plus tard, quand le soleil poindra au zénith, la mob de Chloé déposera une No vaseuse devant l’hôtel particulier des Durand pour l’anniversaire du paternel. Une No qui ne fera pas d’esclandre insensé comme à son habitude. À quoi bon, sa famille envisage depuis sa naissance ou presque une longue descente aux enfers.

No offrira donc son cadeau à M. Père en provocation assumée. Ensuite, elle esquivera le repas officiel du soir. Au bout du compte, elle a compris. Sa seule arme, sa seule voie de sortie et d’une certaine manière sa seule vengeance possible se résument à partir et frayer avec les hauts et les bas de la vie. En omettant de se retourner.

Quant à Chloé, elle a flashé sur le portrait du vieillard. Un sacré mec nommé Freud d’après ce qu’en a dit la vendeuse, intarissable sur la vie dudit vieux. Alors l’année prochaine, psycho… ça peut le faire.

 

*    asshole : trou du cul

**  House of Dreams : la Maison des Rêves

28 mars 2013

Le découpage

Hier, quand elle est sortie de cours elle n’en pouvait plus : les mêmes élèves avaient été odieux, une fois de plus. Elle se demandait ce qu’elle leur avait fait et pourquoi elle ? Sans doute ne le saurait-elle jamais. Quant à ses collègues, ils avaient tous le même discours : avec eux tout marchait toujours bien, l’élève X ou Y ne posait jamais de problèmes. Il n’y avait qu’avec elle !

Quand elle est arrivée devant sa voiture, elle a eu la surprise de voir que le carton qu’elle avait posé sur son parebrise – il faisait un froid glacial – avait été découpé et formait un bien étrange motif. Oui, il s'agissait bien d'un pénis géant.

D’un geste rageur elle a enlevé le carton et s’est dirigée à grands pas vers le lycée. Cette fois-ci, ça ne se passerait pas comme ça, elle irait voir le proviseur et lui parlerait de ces élèves qui lui pourrissaient son cours. Elle était sûre que c’était eux, aucun doute possible.

Quand elle a  brandi à bout de bras le carton dans le bureau du proviseur, celui-ci lui a dit d’un ton calme.

- Madame Durand, bonjour, que puis-je pour vous ?

- Vous ne voyez pas ? a-t-elle crié d’une voix suraiguë.

- Je vois que vous êtes en colère, lui a-t-il répondu.

- Et vous ne comprenez pas pourquoi ? a-t-elle fait en désignant le découpage.

Il considéra le carton d’un air calme et répondit.

- C’est à cause de ce dessin ? Eh bien, ma foi, on dirait qu’ils ont la fibre créative.

Elle le regarda accablée et finit par dire.

-  Quand ils mettront un carton avec écrit « Enculé ! » sur le parebrise de votre voiture, je ne leur donnerai pas tort !

Et elle tourna les talons.

4 mars 2013

La troïka

Les hommes en noir étaient arrivés dans ce minuscule pays d'Europe pour étudier la façon dont le gouvernement mettait en place les potions amères de la Troïka*. Avant ce voyage, les hommes en noir n’ étaient jamais venus dans ce pays. Ils le jugeaient insignifiant. Son histoire, son économie, sa langue, tout leur était inconnu. Ces corbeaux avait pourtant un mot qu’ils coassaient à longueur de temps : je comprends !

Ils disaient tout comprendre : les difficultés du gouvernement, la colère du peuple et son sentiment d’injustice, la difficulté des entreprises, l’impuissance des hommes politiques… Ils comprenaient tout mais ne comprenaient rien. A la main, ils tenaient  la grande cuillère en bois avec laquelle ils faisaient avaler la seule potion qu'ils connaissaient : l’austérité.


*Troika = FMI, Commission Européenne et banque centrale européenne
**Si  vous souhaitez vous informer sur la situation du Portugal, vous pouvez lire cet article : « Le Portugal vend ses meubles », mais aussi écouter ces émissions de France culture.

28 février 2013

Duo

Aujourd’hui, avec caro-carito, nos textes se croisent pour ce duo où les histoires d'amour finissent mal, en général : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il  est sur son blog.

 

Papillons de nuit

Jusqu’au moment où la porte d’entrée s’est ouverte, je me demandais si c’était le pote d’une pote d’un pote – enfin le dernier pote est optionnel – de Armand ou de moi qui nous avais invité. Spots flashy. Les uniformes blancs lustrés des convives. Des copains d’Armand, aucun doute. Mes amis préfèrent les discussions animées à côté d’une fausse cheminée, une fausse peau de vache et une bouteille de vin bio.

Valérie s'ennuyait / Dans les bras de Nicolas / Mais Nicolas, celui-là / Ne le savait pas

Je fais un ou deux pas. Quelqu’un s’empare de mon blouson et le jette dans la chambre de gauche. Ces gens-là ont dû acheter leurs voisins vu les décibels envoyés par la chaîne high-tech qui se détache sur un mur blanc tâché de mauve et de rouge brique. Le béton ciré est passé de mode chez les bobos.

Isabelle a attendu, attendu / Mais Patrick n'est jamais reparu

Une fille sanglée dans une combi en cuir blanc me tend une coupe. Les touches fluo des éclairages m’étourdissent, je reste là à regarder la faune survoltée et bourdonnante. Soudain Armand est à mes côtés. Quelques papillons de nuit nous ont rejoints. Je manque m’étouffer quand je vois le regard de mon mec se poser sur le 95C qui se trémousse mollement devant nous.

Simone et Tom s'engueulaient / Dès que vingt et une heure sonnaient

Non ! Là, ils viennent d’échanger leurs numéros de téléphone, merci la technologie ! Il est temps que j’aille vérifier si les petits fours réussiront à déminer cette soirée foireuse.

Du buffet, je vois ses lèvres frôler les lobes des oreilles de Mlle Bimbo. En deux minutes, je suis dans l’entrée, attrape mes affaires et me retrouve sur le palier.

Dans la rue, je tremble. Marcher encore, me délester. La ritournelle des Rita tourne en boucle. Toutes ces chansons, ces hits qui se sont collées à mes amours, ratées ou parfois réussies. De Romain que je ne quittai pas, en passant par Thierry jusqu’à Javier à la peau douce. Je tape mon code. En ce moment, Armand doit entreprendre Bimbolola.

Les histoires d'amour finissent mal en général

Je suis chez nous, avant que cela ne redevienne chez moi très vite. Pas de message sur mon portable ; juste des photos, nos photos. Trois ans pour arriver à ce flop. Un flop qui repartira plus vite que je ne le crois maintenant, pauvre cloche larmoyante avec boîte de kleenex et vieilles romance ratée qui reviennent en boucle

Besoin de rien, Julien, envie de toi, Romain, I just called to say I love you, Dean, T’en va pas, Edouard.

Finalement l’amour n’est qu’une ritournelle en haut du top 50.

 

19 février 2013

Les baskets

Elle trouvait que Charline était nulle, sans savoir qu’elle l’enviait. N’était-ce pas pour cette raison  qu’elle s’en était pris à ses baskets ? La veille, dans la cour du lycée, elle avait pris la photo de ses pieds – Charline s’en était d’ailleurs étonnée - et elle l’avait mise sur son profil Facebook avec ce commentaire perfide : Vous connaissez l’expression bête comme ses pieds ?


Evidemment, la photo avec ses « j’aime » ou « j’aime pas » avait été fort commentée.


Elle s’en était mordue les doigts, surtout quand une semaine plus tard, sur le profil de Charline, elle avait reconnu une photo d’elle en short, coupée à la taille. La « pouffe » en avait profité pour mettre justement celle où ses jambes ressemblaient à deux gros boudins sur l’étal du boucher. Elle l’aurait étripée !

PS : texte écrit en participation à l’atelier d’écriture du blog de mil et une.

22 janvier 2013

La neige

Les trois quarts ne sont pas venus à cause de la neige sur les trottoirs. Les pauvres choux, c’est vrai, c’est dur de marcher une demi-heure sur des trottoirs mal dégagés, et tout ça  pour quoi ? Pour avoir un cours inintéressant qui les fait bâiller aux corneilles  alors qu’ils peuvent rester dans leur lit douillet, sous leur couette, et consulter leur portable en envoyant des SMS – T où ?  -  sans être embêté par un prof qui ose leur demander de travailler et d’éteindre leur portable. Les parents ont bien raison de bichonner leurs chéris et de les garder dans le cocon de la maison.

Le problème c’est que, quel que soit le temps, l’envie de travailler est rarement au rendez-vous chez un certain nombre de ces charmants adolescents. Le travail –  dont l’étymologie n’est plus à rappeler -  est un mot que l’on devrait proscrire à l’école. Pourquoi ne pas le remplacer par « activité » ou « exercice » ou « jeu », afin d’éviter que les élèves – ceux que l’on doit élever, donc, mais dont l’élévation demande parfois l’intervention d’un chariot élévateur vu le poids de leur inertie – ne voient plus le professeur comme un impitoyable toréador, prêt à fondre sur eux armé de son stylo-banderille, à chaque relâchement dans leurs apprentissages.  

Non, vraiment, l'école ce n’est pas une vie, c’est un système carcéral qui broie ces jeunes pousses et ne leur donne qu’une envie : sécher les cours à la première occasion !



18 janvier 2013

Les élèves

En cours, certains gardent leur manteau ou leur veste malgré le chauffage, parfois excessif, de la salle. Vous vous  demanderez peut-être pourquoi et, sans doute, vous souviendrez-vous avec émotion de ce manteau que vous-même ne quittiez pas dans certains cours…


Il y a ceux qui ont ont la paresse de l’enlever parce qu’après il faudra le remettre, ceux qui veulent montrer ostensiblement qu’ils ne sont pas là même s’ils sont là, ceux qui sont complexés, ceux qui ont besoin d’une seconde peau - ils ont peur de perdre leur intégrité physique et psychique s’ils se découvrent –, ceux qui ont tellement transpiré les cours précédents qu’ils préfèrent ne pas enlever leur manteau par peur des odeurs nauséabondes ou des auréoles qui se sont dessinées sous leurs bras et, pour finir, il y a ceux qui cachent leur portable dans leur poche afin de pouvoir le sortir plus facilement dès que le professeur aura le dos tourné.


Si vous voyez d’autres explications, n’hésitez pas à me les soumettre, cela pourra faire un article intéressant pour les cahiers pédagogiques


11 décembre 2012

Duo

Aujourd’hui textes croisés : le texte que vous allez lire est de Caro-carito, du blog les heures de coton, quant à mon texte, il  est sur son blog.
La consigne était la suivante, écrire un texte à partir de " Dream ", de John Cage et de l'expression " mode définitif "

 

Dix-sept chaises, quatre-vingt-neuf minutes, un silence.

 

Juan regarde les dix-sept visages qui l’entourent. Des traits jeunes, entre deux âges, des hommes, des femmes, peaux mates, peaux claires, avec ou sans lunettes, pauvres, peut-être riches. La salle, jaune citron, murs tranquilles, est située dans l’aile ouest de l’institut San Judas Tadeo, le patron des causes désespérées. Et c’est vrai, seuls ceux dont l’existence n’a plus d’issue arrivent jusqu’ici.

Juan lève les yeux vers l’horloge. 10 h. Lentement, les voix se succèdent. Un fil, un chuchotis, un ton bravache, une litanie. Juan sait que, contre toute attente, cette lente mélopée qui se fond dans le tremblement d’une épaule, dans le pli qui barre un front las, dans les mains qui tambourinent mécaniquement, ce long chant monocorde apaise. Une chaise crisse contre le carrelage brun sang, des pleurs, une phrase se brise. Chacun, chacune debout, tour à tour, comme un cercle qui se fait et se défait à chaque voix qui s’ouvre et qui se tait.

Il jette un coup d’œil à l’horloge. Ici on l’appelle le maître du temps, car il soupèse les quatre-vingt-neuf minutes de la séance de paroles avec justesse. Tous savent que, quand ses yeux se posent une deuxième fois sur le cadran argenté, quatre-vingt-neuf minutes se sont dissoutes entre les murs jaunes. Ils se lèvent, brisent le dernier silence. Se libèrent de la tension de cet être-ensemble, se retrouvent à nouveau seuls et renouent avec la peur.

Lucha ouvre la porte en premier, comme toujours. Lucha métisse plantureuse, faite pour un rire qui l’a désertée. Luis, Andréa, Lupe... Il ne reste plus que Thèlme, mince comme un fil. Jorge, si gentil, si prévenant, ouvre la porte en grand pour la laisser passer. La musique jaillit du couloir. Bordel, lâche Juan, il l’a fait ! Et il repense à ce connard de petit docteur étranger qui est arrivé le mois passé. Juan avait pourtant bien insisté. Pas de musique ici, pas plus une cumbia que du Vivaldi ou une chanson d’amour. Ces âmes ont désespérément besoin de silence. Il se souvient, il s’était levé, avait martelé : « Aucune musique, pas encore, pas maintenant. » Et surtout pas John Cage.

Juan se précipite vers la porte ; tout va si vite, trop vite. Thèlme s’écroule par terre, secouée de spasmes, tressautant et griffant le pauvre Jorge qui se penchait pour la secourir. Le délire collectif qui s’ensuit embrase méthodiquement chaque pièce, chaque étage de l’institut. Il faudra des heures pour que chacun retrouve son calme. Le soir, certains patients devront être admis à passer la nuit dans les chambres mises à disposition uniquement en cas d’urgence.

Vers minuit, Juan lâche la main d’une Thèlme qui dort enfin, assommée par les médicaments qu’il s’est résigné à lui prescrire. Il regagne le bureau qu’il aurait dû retrouver après la séance du matin, celle d’avant la catastrophe. Il prend quelques notes, rédige un rapport exhaustif des événements et s’enroule dans une couverture sur le divan.

Demain à 6 h, le médecin blond revenu d’un colloque à l’étranger assistera à la réunion d’urgence. Juan lui expliquera alors que la musique de ce pays se compose et se joue différemment ici qu’ailleurs. Les notes n’ont pas la même valeur, on n’y trouve ni mode majeur, ni mode mineur. Un simple mode définitif que la junte a déversé dès le berceau, dans chaque cour d’école, dans chaque maison, dans chaque âme. Un mode sans atermoiement qui a accompagné les humiliations et les tortures, comme celles dont on lit encore les traces sur le corps exsangue de Thèlme. Oui, Juan lui expliquera tout cela en lui montrant quelques clichés. Comme ces brûlures de cigarettes que les bourreaux infligeaient avec des gestes déliés sur un air de John Cage ou parfois de Schönberg. Pire aussi. Alors peut-être, le médecin étranger n’imposera plus de musique et, même, repartira très vite, dans son pays paisible où Cage, Bach ou Scarlatti habilleront de leur lumière originelle les murs d’une clinique récemment inaugurée.

Le silence pourra résonner à nouveau dans les pièces nues de l’institut San Judas Tadeo, patron des causes désespérées, jusqu’au creux des paroles qui tournent monocordes et en rond entre les chaises, entre leurs occupants aux gestes usés, tous les jours, quatre-vingt-neuf minutes.

 

PS : Et, ne manquez pas de regarder cette vidéo : Hitler's opinion on John Cage's 4'33''

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