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Presquevoix...
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12 novembre 2013

Duo

Pour notre  échange de textes Caro, qui dirige la collection " automne "  de notre nouveau duo, a certainement pensé qu'un peu de glamour ne pourrait pas nous faire de mal.

Notre texte devait revêtir une robe Fortuny et porter un parfum de notre choix dont nous devions inscrire le nom dans le texte.

Le texte de Caro est sur presquevoix. Quant au mien, il est sur son blog, lesheuresdecoton.

Pour en savoir plus sur Mariano Fortuny y Madrazo, c’est ici !

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duo

 La déesse de la fortune

 

C’est par hasard qu’elle avait déjeuné avec lui dans un restaurant chinois. Ou coréen. C’est par hasard que Franca avait ouvert le biscuit de fortune et avait lu le mince papier gris. « Un imprévu aujourd’hui. » Elle avait roulé en boule ce présage tiré à quelques milliers d’exemplaires et l’avait laissé avec le pourboire. Un grain de sable aujourd’hui ? Pourquoi pas, la plage était à mille lieues de Paris.

Alors, quand elle avait vu une robe Delphos dans la devanture d’une boutique de la rue Molière, elle n’avait pas hésité. Un carillon cristallin salua son entrée. La pièce exiguë était vide. Au bout d’une dizaine de minutes, Franca se décida à explorer les étagères, effleurant un éventail en ivoire, contemplant son reflet dans un miroir de Venise. Elle s’apprêtait à quitter les lieux quand une vieille surgit de nulle part.

La femme s’approcha en trottinant et lui demanda ce qu’elle désirait. Il ne lui fallut pas plus de cinq minutes pour qu’elle aille décrocher l’objet convoité de la vitrine et dénicher dans un coin un caftan d’un somptueux bleu nuit.

Dans la cabine d’essayage qui tenait plus du boudoir qu’autre chose, Franca hésita longuement. Elle finit par se déshabiller entièrement. Depuis toujours, elle avait rêvé de la cité des Doges, ses bals et ses palais dorés. De beauté. Comme cette robe que, nue, elle hésitait à revêtir. Un léger mouvement dans la boutique la fit se décider. Le contact du tissu glissant sur sa peau la fit fermer les yeux.

Soudain, une main jeune écarta la tenture. Franca reconnut dans ce tourbillon de senteurs inattendu, le citron et le musc, un soupçon de vanille. Et encore le poivre, l’ambre et d’autres fragrances impossibles à reconnaître.

Un jeune homme se tenait debout devant elle. Il lui tendit un bijou étrange, tout en volutes et en grenats. Sa peau blonde luisait, claire comme un matin en hiver. Franca le toucha, par mégarde ou par envie ; elle ne le savait même pas. « Tom of Finland », lui dit-il et ce furent ses seules paroles. Franca ne sut jamais s’il parlait du parfum ou de lui-même. Pas même quand elle sentit ce corps dur et impatient répondre à son désir, ce jour-là et d’autres. Jusqu’à ce qu’un nouveau biscuit de la fortune lui parle d’un voyage et d’un désert. Entre les lignes, Franca sut lire le désir, une peau cuivrée peut-être.

 

 

31 octobre 2013

La boîte

Quand il allait dans le cabanon au fond du jardin, c’était toujours avec le masque de plongée et le tuba, il faut dire qu’il y avait les odeurs … Aller « aux cabinets », comme sa grand-mère disait, c’était toute une expédition, surtout pour lui qui venait de la ville.

Ce matin-là, dans la cuisine, il avait astiqué le masque de plongée avec le produit à vitre afin de mieux voir les ailes des petites mouches bleues qui voletaient près des « cabinets ». Une fois le masque et le tuba installés, il était parti en courant. Juste avant d’arriver au cabanon, il avait remarqué un monticule de terre qui n’était pas là la veille. L’explorateur s’était baissé, avait fouillé le sol de ses doigts impatients et il avait découvert la boîte de bonbons : une petite boîte en fer avec des violettes dessus. Il l’avait ouverte et son visage était devenu d’une pâleur mortelle. Il lui avait fallu s’asseoir pour reprendre ses esprits. Autour de lui, le paysage semblait s’être figé. Le soleil avait disparu et les nuages couvraient le ciel d’un voile menaçant. La boîte, elle, était toujours sur l’herbe, ouverte, et il y avait encore dedans ce doigt, tout petit et si blanc.

Lentement il s’était levé, les yeux mi-clos, il avait fermé la boîte, l’avait glissée dans sa poche et avait placé son mouchoir dessus. Toute la journée, il avait eu l’étrange sensation que le petit doigt bougeait et cherchait dans l’intimité de sa poche des indices sur le petit garçon qu’il était ; sans doute voulait-il savoir s’il pouvait se confier à lui ?

Il partagea son intimité pendant une semaine. Parfois l’enfant sortait la boite du tiroir de la table de nuit – il avait décidé que ce serait sa « maison » - et la déposait sur son lit, mais jamais il ne l’ouvrait.

Puis un jour, des policiers arrivèrent. Ils étaient deux. L’un avait une moustache, l’autre non. On interrogea sa grand-mère, on l’interrogea. Un corps d’enfant avait été trouvé non loin de chez eux, près de la rivière et le petit doigt de sa main droite avait disparu. On leur montra une photo de la petite fille. Elle devait avoir le même âge que lui, 10 ans peut-être, et elle s’appelait Marine. Rien de ce que dirent les policiers n’étonna l’enfant, son petit doigt lui avait déjà tout raconté. Devait-il pour autant leur confier qu’il lui avait aussi révélé qui était l’assassin ?

3 octobre 2013

La non-rencontre

Je me demande comment j’ai pu coucher avec ce type, un moment d’égarement ; certainement un  un effet des pilules euphorisantes que je prends depuis 15 jours.

La première fois que je l’ai vu, il était en costume et il présentait plutôt bien : grand, brun, les yeux bleus, et cet air d’effleurer la vie sans vraiment y toucher. Une semaine plus tard, nous nous retrouvions dans une chambre d’hôtel. Quand je suis arrivée, la réceptionniste m’a dit que monsieur était déjà dans la chambre. J’ai frappé à la porte en chuchotant mon prénom et il a ouvert.

En le voyant déguisé en petit chaperon rouge,  j’ai failli tourner les talons. Je lui ai juste demandé s’il fallait venir costumée. Il m’a répondu que de toute façon, j’étais déjà déguisée.

Je vous épargne les détails de notre après-midi ; la fête  s’est  illico transformée en fiasco.

Une heure plus tard, il partait furieux en claquant la porte de la chambre, son costume de petit chaperon rouge sous le bras. Quant à moi, je suis restée allongée sur le lit, aussi inerte que la grand-mère du conte. Mais qu’est-ce qu’il aurait voulu, ce crétin ; que je me transforme en loup ?

 

27 septembre 2013

Duo

Aujourd’hui, avec caro-carito du blog les heures de coton, nos textes se croisent pour un nouveau duo : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il  est sur son blog.
La consigne était la suivante : écrire à partir de ce portrait de Quentin de La Tour et de ce titre : les mauvaises raisons

 

Les mauvaises raisons

Quand il m’a embrassée sur la nuque, j’ai compris que j’étais en train de tomber bêtement amoureuse de lui. Je relevai la tête, ce regard vert d’eau, je n’y échapperai pas. Quand mes doigts s’approchèrent de ses lèvres, je sus que j’étais amoureuse. Pour de mauvaises raisons, même si je n’en étais pas consciente.

Le tableau de Quentin de la Tour me revint en mémoire un peu plus tard, un jour où, assise sur un banc place Saint-Sulpice, j’apprenais déjà à l’attendre. Étalée devant moi, une revue que je ne regardais pas : l’Officiel des spectacles ou bien Télérama ou même Métro ou 20 minutes. J’avais rapidement parcouru un encart sur le Louvre et une exposition temporaire des dernières acquisitions du musée. L’article citait quelques œuvres dont un autoportrait au rieur de Quentin de la Tour. Mon père aurait aimé le contempler

J’étais là, en bord de rive gauche quand une part d’une enfance et d’une adolescence confinées me revint en pleine face. Tous ces après-midi étouffants où je suivais mon père dans les couloirs de Guimet, Marmottan, Cluny, tandis que ma mère plongeait dans les délices des Feux de l’amour, paresseusement allongée au milieu de coussins de soie. Ainsi, j’avais droit pendant tout l’été, aux vacances de Toussaint et à Pâques, à une overdose de maquettes de train, de fusils de chasse et d’escopettes, de vierges crucifiées sur le mur d’une chapelle humide et oubliée. Mon père parfois choisissait de visiter quelques châteaux ; il suffisait d’un trop plein de lumière pour que les jardins m’y apparaissent comme un paradis.

Le soir, nous rentrions à temps pour passer à table. Pendant que nous avalions un repas sans saveur, mon père et ma mère soliloquaient. L’un énumérait tous les témoins de l’histoire qui avaient jalonné nos visites L’autre étoffait l’intrigue inexistante de ses programmes préférés de détails froufroutants et de noms de starlettes dont je ne connaissais pas le visage. Mon père m’avait formellement interdit de me farcir la cervelle avec de telles inepties. Non seulement la teneur de ces programmes frisait l’imbécilité, énonçait-il, mais en plus les John et Pamela fleuraient trop le mauvais accent anglais. La télé avait été reléguée dans la chambre conjugale, domaine qui m’était interdit. Je devrais dire, plus réalistement, la chambre de ma mère, mon père dormant depuis longtemps sur un lit d’appoint dans son bureau.

Alors à défaut de héros aux larges sourires made in USA, je rêvais devant les Apollons en marbre, les gentilshommes galants de Fragonard, les regards ténébreux des portraits du Caravage. À 14 ans, bien évidemment, je tombais follement amoureuse d’un de ces Adonis. Le buveur d’eau de Quentin la Tour. Le soir, je laissais mes parents rabâcher leurs obsessions et me délectais de la mienne. Bien évidemment, avec toutes ces visites, je me montrai infidèle au jeune espagnol. Le premier ? Le tricheur de l’autre De la Tour. Je peux bien l’avouer, j’ai un faible pour les bruns peu recommandables.

Javier arriva alors que je venais de me faire accoster par un de ces hommes esseulés qui hantent les grandes villes. Les cloches de l’église sonnaient. None, aurait commenté mon père. Javier me prit par le bras, il nous fallait partir vite. Nous avions rendez-vous à l’autre bout de la capitale et nos amis attendaient, eux aussi.

La nuit était là. Des papillons voletaient autour des bougies claires. Nous riions à ces conversations légères que l’on oublie si facilement. Quand je le vis porter aux lèvres son verre, j’en eus le souffle coupé. J’avais cru voir le vivant portrait du jeune buveur d’eau. Je sortais mon Smartphone pour une photo volée. Préserver l’instant.

Prétextant un rendez-vous professionnel à Rouen le lendemain matin, Javier me déposa en bas de chez moi. Il effleura ma nuque avant de me laisser sortir de la voiture. Immobile au milieu du trottoir, je vis sa voiture disparaître au tournant de la rue Vaillant-Couturier. Je retrouvai alors le gout doux-amer de mes rêveries adolescentes. Et autant de mauvaises raisons.

25 septembre 2013

Le travesti

Il avait presque réussi à stabiliser sa dépression et à supprimer tous ses médicaments grâce à  un subtil stratagème : les jours où il ne se supportait plus, il s’habillait en grand-mère. Dès qu’il mettait sa jupe grise, son corsage blanc et qu’il ajustait sa perruque, il se sentait en paix avec lui-même. Si à 50 ans, après une série d’échecs aussi bien professionnels que sentimentaux,  il ne s’était pas encore passé la corde au cou, c’était sans doute grâce à ce petit subterfuge qui lui permettait de goûter à de menus plaisirs interdits. Aussitôt sa jupe enfilée, sa voix se transformait et il en était le premier étonné. La seule fois où sa voix dérailla, ce fut lorsqu’il tomba sur son fils. Il ne le voyait plus depuis un an. Pour quelle stupide raison décida-t-il de l’aborder ? Sans doute l’excitation du travestissement. Quand il lui dit « Pardon monsieur j’aurais besoin d’un renseignement », sa voix reprit instantanément ses intonations graves. Heureusement, son fils ne le reconnut pas ; l’avait-il d’ailleurs jamais reconnu ?

En deux ans, il était devenu une grand-mère presque crédible. La semaine passée, à la terrasse d’un café, les jambes sagement croisés, il avait abordé une jeune femme assise non loin de lui. Il rêva un instant qu’il passait sa main entre ses jambes brunes et lisses pour arriver jusqu’à…

 La jeune femme n’avait pas été insensible à son charme désuet – les femmes âgées attirent les confidences -  et  il lui avait proposé de venir prendre le thé chez lui le samedi suivant ; elle avait accepté sans hésitation. Mais lorsqu’elle serait chez lui, devant sa tasse de thé fumante, la bouche entrouverte prête à déguster une langue de chat sucrée, comment ferait-il pour ne pas devenir ce loup qui n’aurait qu’un seul désir : la croquer toute crue.

 

8 août 2013

L’arbre

On se promenait depuis une heure dans ce parc quand elle s’est arrêtée près d’un arbre qu’elle a entouré de ses bras en déclarant qu’il était à elle et qu’elle ne partirait pas. J’ai voulu la raisonner, je lui ai dit que bientôt la nuit tomberait et qu’on ne pouvait pas dormir dans ce parc. Elle n’a pas voulu  en démordre, non elle resterait là coûte que coûte, et elle a conclu de son air têtu.

- Si tu veux, tu peux partir !

Je dois avouer que je n’ai jamais compris les femmes.

- Tu ne vas quand même pas passer la nuit ici ? ai-je insisté.

- Tu ne comprends pas ou quoi ? Cet arbre c’est moi, le laisser là, tout seul, ça serait comme m’abandonner.

Elle était devenue folle. J’ai fait, malgré tout, une dernière tentative.

- Comment peux-tu imaginer un seul instant que cet arbre c’est toi ?

Elle me répondit par un lapidaire « Tais-toi, tu ne comprends rien ! » qui m’a fait perdre l’envie de lui poser une nouvelle question. Je suis parti sans me retourner.

La nuit que j’ai passée a été  abominable, entrecoupée de cauchemars où je la voyais aux prises avec  une meute de loups qui voulaient la dévorer…

Le lendemain, quand j’ai ouvert la porte de chez moi pour aller travailler, je l’ai trouvée assise sur le paillasson, la tête dans les mains. Quand elle m’a vu, elle s’est levée d’un bond et m’a dit le visage baigné de larmes.

- Quand je pense que tu m’as laissée là-bas, toute seule, alors que la nuit tombait, c’est vraiment dégueulasse !

Je l’ai  prise dans mes bras sans rien dire. Décidément, je ne comprends pas les femmes.

4 août 2013

Ecrire

On écrit tous les jours, on remplit des pages et des pages sur le disque dur, on fait de la navigation côtière - au fil de soi - les personnages s’emmêlent, on plonge au cœur de l’inconscient, on se lit, on se relit, on pose des questions au narrateur, il nous répond, on lui répond…   parfois des proches croient se reconnaître, on en sourit -  comme si notre imaginaire se limitait à eux ! -, on se plie à une mise en ligne quotidienne, on attend quelque chose – quoi exactement ? – mais ce qui  vient n’est jamais ce qu’on attendait -  bien que l’on n’ait jamais  vraiment su ce que l’on attendait -  et on continue à écrire, sept jours sur sept, en déroulant la ligne de crête de son imaginaire qui, on l’espère, ne s’éteindra pas avant que l’on ne s’éteigne soi-même...

 

20 juillet 2013

La statue

Le collage est de Patrick Cassagnes, le texte a été écrit à partir de son collage et posté sur notre blog " je double ", il y a bien longtemps...

                                                                        La statue

statue-1Très tôt, bien avant la scène fatale, le bruit avait  couru que M. de Kerandec était devenu fou. Pourquoi s’était-il perdu d’amour pour la statue près du bassin aux nymphéas ? Sa femme ne se l’était jamais expliquée.

 La statue était un héritage du père de Madame de Kerandec qui en avait lui-même hérité de son propre père. Le sculpteur, Giulio Marfaglio, était un homme qui avait mené une existence d’ermite après la noyade de la jeune femme qu’il aimait. Suicide ou accident ? Personne ne l’avait jamais su. Madame de Kerandec se souvenait du trouble de son mari lorsqu’elle lui avait raconté cet épisode de la vie du sculpteur il y a un an. Depuis, tous les après-midi, il rendait visite à la statue.

 Au début, elle n’avait rien trouvé à redire. Quoi de plus normal pour un amoureux des arts que d’admirer une statue ? La première chose qui l'alarma fut quand son mari revint la main en sang,  lui expliquant qu’un animal  s’était jeté sur lui et l’avait mordu. Elle appela Ernestine pour le soigner, mais elle ne put s’empêcher de noter une série de détails troublants dans sa tenue : son pantalon était maculé de terre, ses cheveux étaient en désordre et son regard avait changé.

 Le lendemain, Madame de Kerandec n’y pensa plus et vaqua à ses occupations habituelles : la distribution des tâches au personnel, la lecture du courrier et le tour de la roseraie. Lors de sa promenade, elle passa près de la statue et remarqua des traces de doigts sur son corps blanc. Elle jeta un regard vers le visage si pur et trouva les yeux de la femme en marbre étrangement vivants, était-ce une impression ?

 Le deuxième incident qui l’inquiéta, une semaine plus tard, ce fut ce filet de sang qui coulait de la bouche de son mari lorsqu’il revint de sa promenade dans le parc. Il n’expliqua rien et elle préféra oublier l’épisode.

 Les jours succédèrent aux jours sans que rien d’autre ne vînt troubler l’harmonie du château à part la distraction permanente de M. de Kerandec, sa distance marquée vis à vis de sa femme - voilà deux mois qu’il ne la touchait plus - et cette terre qu’il ramenait parfois de ses promenades dans le parc. Madame de Kerandec n’était pas particulièrement encline à ce qu’elle appelait pudiquement « la gymnastique des corps », mais elle  souffrait de sa disgrâce.

Elle parcourait souvent le parc, sécateur à la main, redressant une tige par-ci, coupant une fleur par-là. Elle n’était pas sans apercevoir son mari errant dans les allées mais, jusque-là, elle n’avait jamais eu l’idée de le suivre jusqu’à la statue. Ce mardi, pourtant, elle se cacha dans un bosquet  près du bassin. Elle observa la statue à travers les branchages, comme une voleuse, et attendit fébrilement que son mari apparût.  Elle  regretta amèrement sa curiosité.

 Quand M. de Kerandec arriva, elle l’entendit prononcer des phrases à voix haute, comme des incantations, puis il retira ses chaussures et s’agenouilla devant la statue, les mains jointes. Il était de dos et elle ne pouvait voir son visage par contre, elle remarqua que la statue n’était plus tout à fait la même, comme si à force d’être regardée, elle acquérait une humanité. Devenait-elle folle, elle aussi ? Son mari se leva, s’approcha de la femme en marbre et caressa son buste nu, non comme un artiste aurait pu le faire devant un buste qu’il aurait créé, mais comme un homme soucieux d’éveiller le désir chez la femme qu’il aime. Madame de kerandec dut baisser les yeux. Au bout de quelques minutes elle les releva  et constata que son mari était nu. Effarée, elle voulut partir, mais le froissement de sa robe et le  bruissement des feuilles attirèrent le regard de son mari. Il la vit. Elle se souviendrait toujours de son visage bouleversé et de ses mains qui semblaient l’implorer, mais elle s’enfuit précipitamment.

 Il ne rentra  pas au château ; la nuit tomba et il était toujours dehors. Le lendemain, le jardinier arriva très tôt  et demanda Madame ;  M. de Kerandec s’était pendu près du bassin aux nymphéas.

 

PS : ce texte sera le dernier de ce mois, puisque je fais une pause estivale. Retour le 2 aout, mais avec des publications plus espacées.

7 juillet 2013

Le gorille

Voici un texte illustré par Patrick Cassagnes. Ce texte est le fruit de notre collaboration sur « jedouble ».

Le gorille

 

gorilleC’est en voyant la photo dans l’encyclopédie animalière  feuilletée chaque soir avec son fils,  qu’elle se rendit à l’évidence : son patron était un gorille.

Elle avait déjà eu de sérieuses présomptions : quand elle l’entendait marmonner dans son bureau ou  quand elle le surprenait à la cantine en train d’éplucher une banane. Mais là, plus de doutes possibles, une mutation irréversible s’opérait chez lui et il était de son devoir d’ en avertir le personnel.


Ce lundi-là, lorsqu’ elle arriva au bureau avec une demi-heure d’avance pour éviter les embouteillages, elle espéra ne pas tomber sur  Josiane.  

Celle-ci arrivait toujours très tôt, à croire qu’elle espérait une promotion de la part du patron. Elle se demandait même si entre Josiane et lui... mais si Josiane avait envie d’atteindre le septième ciel avec le patron, ce n’était pas son problème. Elle était cependant étonnée qu’une fille aussi délicate que Josiane  supporte la proximité de ce gros corps velu, sans parler du reste… 


Dans le couloir, les lumières étaient éteintes et des grognements lointains lui parvinrent. Au fur et à mesure qu’elle avançait, les grognements redoublaient, à tel point qu’elle se crut dans la jungle. Tremblante, elle s’approcha à pas de loup du bureau du patron, regarda par le trou de la serrure, et étouffa un cri.

Son téléphone sonna à 8 h 30 précises, c’était le patron qui lui demandait de venir  avec le dossier Duranchon. Elle blêmit : le dossier Duranchon n’existait pas. En parcourant les 50 mètres qui  la séparaient de son bureau, un dossier vide sous le bras, elle essaya de réfléchir à la meilleure attitude à prendre.

Elle frappa et une voix rauque lui dit d’entrer. Dès qu’elle eut franchit le seuil de la porte, elle fut prise à la gorge par une  odeur forte, presque animale. Le patron lui tournait le dos et sa silhouette massive occupait tout l’encadrement de la fenêtre. Sans se retourner, il lui annonça.


- Je vais devoir me séparer de vous Madame Bouton. Votre contrat arrive à terme et vous êtes bien trop curieuse pour que je le renouvelle.


Elle ne répondit rien.  Soudain, il lui fit face et, tel un King Kong déchaîné, il se frappa le torse en s'avançant vers elle. Elle s’évanouit aussitôt.


A son réveil Josiane était à ses côtés, souriante,  un verre d’eau à la main, comme si de rien n'était. Avait-elle fait un cauchemar ? Ses doutes furent de courte durée car des grognements lointains se firent entendre. Quelle ne fut pas sa surprise de voir Josiane  pousser une inquiétante série de petits cris perçants en fronçant le nez !

Deux jours plus tard, elle  se réveilla dans une chambre de l'hôpital psychiatrique des Oeillets, sans que personne ne pût lui expliquer qui l'y avait conduite, pas même son mari. le vendredi suivant, celui-ci  lui apportait une lettre de son employeur expliquant que son contrat ne serait pas renouvellé. Elle remarqua, étonnée, que dans la poche de costume de son mari il y avait deux bananes...

 

 

2 juillet 2013

La marelle

Elle jouait toute seule à la marelle sur le trottoir, juste devant le numéro 13. Elle allait lancer sa pierre plate quand un homme en uniforme de policier s’approcha d’elle.

-          Tu ne sais pas que c’est interdit d’écrire à la craie sur les trottoirs ?

La petite fille regarda le policier engoncé dans son uniforme bleu sombre et ne répondit rien. Il insista.

-          Tu sais que je pourrais t’emmener au poste pour ça ?

La petite fille se taisait toujours mais son visage pâlit.

-          Elle est là ta mère ? demanda le policier d’un ton brusque.

-          Non, elle est partie faire des courses.

Il observa la marelle d’un air pensif, puis il demanda à la petite fille.

-          Donne-moi ta pierre.

Elle la lui donna et le policier lança la pierre directement sur le ciel.

-          C’est de la triche ! S’écria-t-elle.

 Il la considéra amusé.

-          Tu ne vas quand même pas donner des leçons à quelqu’un qui représente la loi ! A mon âge, j’ai bien le droit de brûler les étapes et d’aller au ciel, conclut-il.

Soudain, elle vit le policier  s’élancer à cloche-pied sur la marelle. Elle était contente parce qu'elle savait  qu'une fois arrivé au ciel, il disparaîtrait. Sa mère lui avait toujours dit que c’était ce qui arrivait aux gens qui trichaient. Bien fait pour lui !

 

 

 

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