Le sosie
Elle était femme de sosie depuis trente ans. Un travail quotidien ou presque, car c’est elle qui s’occupait de ses costumes de scène et de la partie contact avec le public. Quel poids de suivre un sosie ! Lui vivait ça calmement depuis sa naissance – disait-il - et, même Johnny mort, le sosie continuait vivant ! Elle finissait par croire que son mari se pensait éternel et avait oublié qu’il s’appelait Claude Dufour dans sa vraie vie.
Problème supplémentaire, epuis la mort de Johnny, la guerre des sosies envahissait le territoire français et elle devait aussi jouer le rôle de coach afin d’éviter que son mari ne termine en garde à vue ou en prison. Souvent elle lui disait.
- Arrête de te prendre pour Johnny. Ce n’est pas dieu possible ce putain de transfert que tu fais. Je te rappelle que tu t’appelles Claude Dufour et que je m’appelle Martine Dufour. Garde les pieds sur terre Claude. Tu n’es pas le seul sosie et tu ne le seras jamais. Les autres aussi ont le droit d’exister. Pas d’insultes aux autres sosies, garde ton calme et continue tes cours de chant au lieu de prendre des cours de tir !
Son mari répondait, agacé.
- Tu me fais chier Martine. Moi, je te dis que je suis la réincarnation de Johnny par la grâce de Dieu et que les autres sont nuls et doivent disparaître de mon territoire. Je suis le premier sosie, en âge et en qualités. Si j’ai envie d’insulter les faux-sosies, je le ferai. Et si j’ai envie de tirer, je le ferai aussi !
Elle ne répliquait pas mais un beau matin, épuisée, elle partit, sans arme et sans bagage. Lui reprit petit à petit sa vie de sosie jusqu’à mourir – un mois plus tard – d’une crise cardiaque en chantant « Retiens la nuit »*, dans son lit.
* pour écouter ce tube des années 60, c'est ici : https://www.dailymotion.com/video/x8bmte5
PS : prochain texte, dimanche.