Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
8 janvier 2015

Duo de janvier

Avant tout, un hommage aux journalistes et policiers assassinés avec ce dessin prémonitoire de Charb.

                                                                     __________________________________

 

Pour notre nouveau duo avec Caro, il s’agissait d’utiliser à notre gré « Nostalgico swing », une musique de Nino Rota, extraite du film Huit et demi de Fellini.

Après le texte de Caro, voici le mien :

 

 

Le dernier swing

 

Dès son arrivée, il avait pressenti quelque chose, sans doute à cause des lumières  qui clignotaient, hystériques. Après avoir sonné, un visage inconnu apparut dans l’encadrement de la porte. Un homme le salua et l’invita à entrer, mais lui oscilla, comme sur un plongeoir dont il aurait sous-estimé la hauteur. Une fois le pas de porte franchi, tous les invités, d’un même mouvement, se tournèrent vers lui et des sourires se dessinèrent sur leurs visages grimés. Un homme cria : « Frederico ! ».  Oui, c’était bien lui qu’on annonçait, et la même voix continua «  Tu dois danser, Frederico, Tout ceux qui entrent ici doivent danser ! ».

Désespéré, il dit : « Mais je ne sais pas danser ! »

On lui mit dans les bras une femme qui l’entraîna sur la piste improvisée. « Danse Frederico, danse! » crièrent les invités, et Frederico s’exécuta à la façon d’un clown triste.

Quand la musique s’arrêta, on l’applaudit. Ces bravos claquèrent à ses oreilles comme des coups de fouets. Comment avait-on pu le faire tourner comme un animal de foire ? Sa partenaire était déjà partie vers le buffet. Elle dégustait tranquillement un toast quand il lui dit.

-          Je crois que vous m’avez sauvé la mise, sans vous...

Elle répondit d’une voix neutre.

-          Oh, c’est mon rôle, je suis la danseuse de service, celle qui vous emmène à la porte de l’enfer. Le prochain qui sonnera, on me le collera dans les bras, comme on me l’a fait avec vous. Vous verrez !

Et ce qu’elle avait prédit se réalisa. A chaque invité, elle était de corvée. A quoi cela rimait-il ? L’enfer avait-elle dit ?

Il voulut s’esquiver mais un inconnu l’en empêcha.

-          Impossible ! Quand on entre ici, on reste jusqu’au bout.

Il s’assit sur un pouf, l’air accablé. Quand une main se posa sur son épaule, il sursauta.

-          Alors, c’est la perspective de l’enfer qui vous met dans cet état ?

C’était la danseuse. La peinture de son masque blanc s’était presque effacée et laissait apparaître une peau luisante.

-          J’en peux plus. Je veux partir, gémit-il.

-          Je crois que vous n’avez pas encore compris que vous étiez sur la liste.

-          Quelle liste ?

-          La liste de ceux qui vont en enfer.

En enfer ? Lui ?  Lui qui n’avait jamais traîné les bars ? Lui qui avait supporté le même chef de bureau lunatique pendant vingt ans sans rien dire ? Lui qui n’avait pas divorcé pour ne pas faire de peine à sa famille ? Lui qui avait accepté de garder sa mère jusqu’à sa mort sans rechigner ?

La danseuse le ramena à la réalité.

-          Vous faites la liste de vos bonnes actions ?

-          Comment vous le savez ?

-          Ils la font tous. Vous vous demandez sans doute pourquoi on vous a choisi ? Eh bien parce que vous n’avez jamais été VOUS, justement ! Trop occupé des convenances, trop occupé de ce que les autres pensaient de VOUS, c’est bien ce qu’on vous reproche. Allez, venez, on vous attend ! Levez-vous !

Il s’exécuta, atterré, et la suivit sagement jusqu’à la porte peinte en rouge…

 

 

6 janvier 2015

Duo de janvier

Pour notre nouveau duo avec Caro, il s’agissait d’utiliser à notre gré « Nostalgico swing », une musique de Nino Rota, extraite du film Huit et demi de Fellini.

 

Place au texte de Caro, quant au mien, il paraîtra jeudi prochain.  

 

Otto e mezzo – una storia di Natale

‘ Milan – 28 novembre 2004

Train en retard, départ prévu à 20 h. Si tout va bien.

Ai gardé trois-quatre euros au cas où, fini le pain qui me restait avec un peu de fromage et  ce qui restait d’eau dans ma bouteille.

J’ai marché dans la ville un peu au hasard. J’ai hésité : pousser la porte, m’asseoir et prendre un café. Finalement, me suis faufilée en douce dans une salle de ciné. J’ai d’abord entendu cette musique. Les dialogues. Me concentrer pour ne pas laisser filer l’histoire. J’ai senti une présence à mes côtés. Sa respiration. En sortant, nous sommes allés prendre un verre.

“Giulio, je m’appelle Giulio, n’oublie pas Carlotta”, m’a-t-il dit en me laissant grimper dans mon train pour Paris. Ou était-ce “Ne m’oublie pas Carlotta” ? ‘

Charlotte repose son ancien carnet de voyage. L’écriture d’avant, les mots d’une autre, éloignée et étrangement familière. De Giulio et elle, il reste quelques photos, des babioles qu’ils se sont échangées lorsqu’ils se sont revus,  des baisers collés à des heures douces. Ce vinyle qu’elle écoute parfois sur la platine laissée par ses parents. Un jour, il, elle, ont voulu laisser un peu de temps à leurs absences, de trop longues études pour l’étudiant milanais, elle, amarrée à Paris, à ce travail qu’il avait été difficile de décrocher. Une séparation sans aucun adjectif, ni temporaire ni définitive, pour avoir peut-être un peu moins mal.

Ensuite ? Elle a connu son mari alors que lui se laissait prendre au jeu d’une fille de là-bas. Ou est-ce elle qui s’est prise au jeu de Nicolas qu’elle voyait tous les jours ?

L’année passée à Noël, elle avait reçu une carte de Giulio. Elle a retrouvé les lettres amples, le goût délicat de la langue de Dante, cette légèreté qu’elle n’a connue qu’avec lui. Cette lettre était un éclat de rire. Elle l’a rangée avec le cahier. Elle a envoyé un courriel, accompagnée d’un lien vers leur musique. Ils se sont parlé une fois au téléphone. Le 28 novembre.

Elle s’était soudainement décidée. Elle ne passerait pas un Noël à nouveau seule dans son deux-pièces, les jumeaux partis avec l’ex et sa compagne toute neuve vers une destination de carte postale, cocotiers et sable fin inclus. Giulo, prossimo martedi 19 h 33 Milano Centrale. Elle a réservé une chambre pour son arrivée, en face du duomo. A retrouvé sa vieille méthode assimil.

Le train a passé Côme. Charlotte se penche et aperçoit à travers la vitre l’ombre des montagnes. L’attendrait-il ? L’aura-t-il oubliée ? Elle n’en sait rien. Elle est sûre d’une seule chose : quoiqu’il arrive, elle passera Noël en Italie. Elle entrera seule dans un cinéma, prendra un café, accoudée au comptoir, poussera jusqu’à Venise et peut-être Vérone.

Charlotte vient de descendre sa valise du porte-bagages, elle ajuste son manteau parme. Elle remonte le quai en écoutant une fois encore cette musique que les années n’ont pas abîmée. Et sourit en descendant sur le quai

 La mélodie ne leur a jamais menti.

4 décembre 2014

Duo de décembre

Nous poursuivons, avec Caro, nos duos d'écriture.

Pour le mois de décembre, place à l'aventure avec Don quichotte. La photo qui nous inspire a été vue sur facebook.

Le texte de ce jour est de Caro, le mien paraîtra samedi, sur presquevoix.

 

 

 

quijoteToute ressemblance avec la situation actuelle d’une ville de province moyenne relativement endormie n’est pas fortuite.

Une guignolade.

Il régla ses jumelles. Parfait. La fière silhouette semblait être à deux pas ; rien encore ne dérangeait l’après-midi paisible.

Louis vérifia si sa besace était bien amarrée à son vélo. Il attrapa la bouteille de bière, encore fraîche d’avoir séjourné dans le ruisseau. La première gorgée était la plus amère. Il s’installa à couvert. Il n’y avait plus qu’à attendre l’arrivée des flics.

Car ils viendraient.

Quinze ans qu’il militait, Louis. Il avait commencé l’année du bac français. D’abord contre ce maire, tyranneau de campagne avec maîtresse officielle, abus de pouvoir et mépris de la valetaille. On avait planté yourtes de protestation et manifesté. Baptisé des arbres pour les sauver. À l’époque, chaque profession avait encore son pardon trimestriel : jours de paralysie, jours de lisier, jour sans courrier. Le ton s’était peu à peu durci. Jusqu'à ce jour des morts.

Des années de lutte où battait à plein la propagande des politiques. Où une presse locale, parfois nationale, maniait une plume servile et appliquée. De grands noms secourant « leurs amis » menacés, des intimidations et des procès. Les leçons de communication des années populistes n’avaient pas été vaines pour tous.

Louis rangea la bouteille vide dans son sac. Une vraie tête brûlée, c’est ce que rapportaient encore les camarades. El Quijote ! Un surnom tiré de ses racines espagnoles qu’il apposait en tags rageurs au bas des coups de poing, des coups de gueule, des coups de sang.

La situation du pays avait fini par virer à l’aigre. Les organisations de lutte avaient pris le mauvais pli de leurs adversaires. Négociations où l’on retournait sa veste, instauration d’une ligne de conduite à laquelle il ne fallait pas déroger. La dissension n’était pas autorisée, la liberté devenait amère. L’esprit humain a des dérives qu’aucune famille politique, aucun idéal n’effacent : veulerie, flagornerie, cupidité, orgueil. Une palette insatiable.

El Quijote avait enfourché son vélo et s’était perdu sur les routes de France, Loire ou canal de Berry, plus loin encore. Une carte postale écrite à deux pas du viaduc de Millau avait annoncé qu’il se désolidarisait du mouvement. Là sa jeunesse de croisé s’était envolée et il avait pédalé. Longtemps. De toutes ses forces.

Louis savait : bloc contre bloc, de terre, de fer ou de granit, l’affrontement ne menait à rien. Il fallait investir les fêlures, les failles, les fractures et laissait pousser un peu d’humour, de tendresse, de poésie. Garder le rêve. Se déprendre des illusions du collectif.

Hier, en début de soirée, il avait planté ce panneau qu’il avait confectionné en douce, grâce à une responsable à l’âme et au corps de satin. Louis reprit ses jumelles, scruta un mouvement en contrebas : la presse et ses dents longues, prête à mettre dans la boîte à images du 20 h un scoop, était sur les lieux.

Une ombre bleu marine approchait sur la D 49, une deuxième suivait. Il était temps de plier bagage. Ce soir, un Guignol à l’accent espagnol moquerait encore le gendarme. L’uniforme ne supportait plus le moindre accroc à l’ordre. Susceptible, tatillon, apoplectique, les spectateurs aimaient le voir battu. Et le public s’esclafferait, confortablement installé dans son salon. Quand il s’en extirpera, il se rappellera qu’il aime l’ordre. Louis, lui, gardait l’héritage des zannis, parsemant ses coups d’éclat de drôlerie et de poésie.

Le moulin était loin. Louis pédalait plus tranquillement et observait la frange rousse des champs où une alouette riait sous cape. Là-bas les marionnettes devaient démonter le décor ; le spectacle était dans la boîte pour le prochain JT. On applaudirait. Louis chantonnait en longeant la coque vide d’une usine qui s’était envolée en Chine. Sur les murs brisés, des arbres s’élançaient. Oui. Il fallait envahir les fêlures, les failles, les fractures et déposer un peu d’humour, de tendresse, de poésie. Caresser le rêve. Élever des châteaux en Espagne. Garder l’âme du Quijote.

 

El Quijote : surnom de Don Quichotte en espagnol.

Zannis : (altération de Giovanni en dialecte vénitien) Personnage de serviteur bouffon dans la commedia dell'arte

17 octobre 2014

Duo d' octobre

Nous poursuivons, avec Caro, nos duos d'écriture, mais ils se feront désormais uniquement sur ce blog.

Pour le mois d'octobre, place à l'amour avec cette inoubliable chanson de Tom Jones - " Love is in the air " - qui a certainement marqué la jeunesse de certains.

Le texte de ce jour est de Caro, le mien paraîtra dimanche.

 

Les chaises musicales

 

— Alors le départ de Luc, ça va ? Tu t'en sors avec la nouvelle ? On ne te voit plus.

Je ne savais pas quoi dire. D’ailleurs, y avait-il quelque chose à commenter ? Je laissai la conversation se déliter, quelques remarques sur son physique, sur son étrangeté ; «  Une vraie rousse tu crois ? ». Et puis Laure la serveuse arriva avec son décolleté fatigué, ses 3 plats du jour et la tête de veau de Gérard.

— Elle s'appelle comment au fait la nouvelle ?

Un grand fracas à deux pas, bruits d'assiettes cassées et vociférations ; la discussion digressa à nouveau. Le prénom de ma nouvelle collègue, avec qui je partage mon bureau de manière intermittente, est Chloé.

Il paraît que je suis un gars plutôt cool. Je ne parle pas des autres, en bien et encore moins en mal. Je distille quelques anecdotes insignifiantes de ma vie pour noyer l'essentiel. « Tiens, je suis passé chez Ikéa la semaine passée, il y a des promos sur les bureaux. » Parfois, je prends un verre avec les collègues et je ne boude pas la soirée « Cochon à la broche » annuelle du CE. Pourtant Chloé, au début, je ne pouvais pas la supporter. Personne ne l'a su, même pas ma petite amie. En fait, rétrospectivement, surtout pas elle.

C’est que Chloé chante tout le temps. Elle arrive et elle a un truc en tête. Souvent quelque chose de moderne que je ne connais pas. Elle est très rock. Enfin, c'est ce qu'elle m'a annoncé, le jour où j'ai découvert Greenday. Et puis, je me suis mis à fredonner avec elle, je rentrais le soir et je m'engueulais avec ma copine qui ne supporte pas ma voix. C’est vrai, je ne suis pas Patriiiick Bruel, chant et physique et le poker. Le matin suivant, j’ai dit à Chloé d'arrêter. Elle s'est d'abord cabrée, a chanté de plus belle, je l'ai détestée. J'ai fui le boulot, les collègues parce que je sentais que je risquais de vraiment pourrir cette fille. Or je ne parle pas des autres, ni en bien, ni en mal.

Quand elle a vu que les engueulades de ma copine envahissaient ma journée à coup de sonneries ininterrompues, Chloé a fait un effort. Elle était là, tassée sur sa chaise, les lèvres serrées. Et je l'entendais. Je la voyais à peine, mais je sentais la musique caresser le silence et finalement le soir, je chantonnais un truc sans queue ni tête, un brouhaha de sons méconnaissable. Ça râlait toujours.

Un jour, je suis arrivé dans l'après-midi. Chloé était là, debout sur sa chaise, cherchant dans le haut de l'armoire un vieux dossier. Elle chantait et, le titre est idiot, pourtant j'ai souri et j'ai éclaté de rire. Le soir, on a dîné ensemble chez elle. « Love is in the air » c'est un peu con comme titre, non.

Après ça je ne suis plus parti en life avec ma copine puisqu'on s'est quitté. Je sors avec Chloé et on croirait que l'on joue aux chaises musicales dans notre bureau. Je ne parle jamais d'elle, ni en bien, ni en mal. Quand un collègue cherche à me tirer les vers du nez, je laisse la conversation mourir. C'est ce qui est bien dans la vie, et mal d’ailleurs, c'est que finalement, peu de gens s'intéressent aux autres. D'ailleurs moi à part Chloé en ce moment... Vous me direz quand on tombe amoureux...

13 octobre 2014

Le danseur de flamenco

A force de marteler le sol de ses bottines nerveuses, il était devenu fou. C’était comme si la tête de ses talons résonnait dans son cerveau, jour et nuit, ne lui laissant aucun repos.

Il avait consulté divers spécialistes, aucun n’avait pu atténuer son mal. Un seul lui conseilla d’arrêter le flamenco, en ajoutant.

- Consacrez-vous à la natation, votre équilibre personnel y gagnera.

Il répondit à ce médecin ignare  qu’il ne savait pas nager, que le flamenco était toute sa vie, que son père, son grand-père et son arrière-grand-pères étaient danseurs de flamenco et qu’il n’avait pas vocation à jouer au crapaud.

C’est le mardi qui suivit cette visite qu’il décida d’en finir. On était le 7 octobre -   le jour de l’anniversaire de la mort de son père. A 23 h 30, revêtu de son costume noir, il monta sur le pont Flaubert, avança en martelant le macadam de son « zapateado » inquiet jusqu’à l’endroit choisi, enjamba la balustrade et se jeta dans la Seine.

Personne ne retrouva son corps, mais par moments, quand on s’approche tout près du fleuve gris, on entend des martèlements qui montent des flots.

 

 Daniel Navarro (Italia, Agosto 2012)

21 septembre 2014

Virage

Quand je lui ai dit « J’ai viré de bord ! », Christophe a cru que je votais à droite ! L’imbécile ! Comme il me connaît mal ! Rien que ça, ça m’a découragé d’aller plus loin. Ma confidence, je la ferais à quelqu’un d’autre.
L’après midi, j’ai téléphoné à Juliette, peut-être qu’avec elle, ce serait plus facile. J’ai commencé de la même façon « J’ai viré de bord ! ». Elle s’est exclamée, d’un ton désinvolte.
- Oh, ça arrive à tout le monde !
Comment ça, ça arrive à tout le monde ! Ça m’étonnerait bien que ça arrive à tout le monde ! J’ai préféré ne pas insister et je suis passé à autre chose.
Le soir même, j’ai téléphoné à Jean, un copain que j’ai connu dans une agence d’intérim. Quand je lui ai dit « J’ai viré de bord », il m’a demandé, atterré.
- T’es devenu pédé ?
- Tout juste, lui ai-je répondu, content d’être compris.
Et il m’a raccroché au nez.

16 juillet 2014

Une histoire de classes

Quand il vit son employé qui l’attendait près du chantier, crotté des pieds à la tête, le patron fit la grimace. Pour l’occasion il avait pris sa voiture personnelle qui venait d’être astiquée et il n’était pas question de la salir. Il sortit de la voiture, salua Rachid sans lui tendre la main et attaqua.

-  Je peux pas te faire entrer Rachid, j’ai nettoyé la voiture.

Rachid resta silencieux.

-  Il y aurait bien une solution : le coffre !

Rachid ne disait toujours rien.

-  Seulement on le fermera pas !

Rachid  hocha la tête.

-  Tu montes dans le coffre, je le laisse ouvert et tu te cales comme tu peux. De toute façon, on n’a que trois kilomètres à faire.

Rachid se glissa dans le coffre. Il n’était pas grand, mais ses jambes pendaient misérablement à l’extérieur. Le patron sourit d’un air satisfait, puis il monta dans la voiture et démarra en sifflotant.

 

Un parfum de scandale

14 juillet 2014

Duo

Pour notre  duo de Juillet, avec Caro, une peinture de Henri Lebasque, exposée à  Roubaix, au musée d'art et d'industrie André-Diligent.

 

lebasque

Vous pouvez lire, ci-dessous, le texte de Caro ; quant au mien, il est sur son blog : les heuresdecoton.

 


 

Jicky

Je me suis réfugiée dans le jardin d’hiver. J’allume une cigarette.

Trois jours avec les Marceau-Carmel et la bande et je me sens aussi molle que si j’étais à Juan, en train de bronzer sur la place privée de cousin Edmund. Longue bouffée, j’aurais dû faucher une coupe de champ. Je n’ai même pas le désir d’ôter ce stupide chapeau. Ni la robe.

Rébecca a eu cette idée, pour amuser notre long séjour à la campagne, un repas costumé. Ce matin, après quelques échanges sur l’un des deux courts de tennis, toutes les femmes, bien que l’élément masculin ne soit pas en reste, ont investi le grenier et plongé dans les malles. Quand je suis arrivée, en short en jean et débardeur, je n’ai eu qu’à me pencher pour cueillir cette robe et une paire de bottines à ma taille. Je me suis faufilée derrière un paravent et m’apprêtai à descendre dans ma chambre pour rajouter une touche de rouge sur mes lèvres quand je me suis retrouvée devant le tableau. Coincé entre un mannequin et une vielle armoire art déco qui dévorait l’espace.

C’était moi, comme une photo, mieux qu’une photo. Le portrait distillait une nonchalance soignée, l’ennui évidemment et ce que les hommes me murmuraient parfois au creux de la nuit, un soupçon de grâce.

Je suis restée sans bouger et j’aurai pu oublier le déjeuner façon années folles. Jusqu’à ce qu’il me tende un coffret et un sac. Il a tiré de sa poche un étui à cigarettes. Il m’en a offert une. J’ai jeté un coup d’œil vers l’inconnu, il était beau.

« Épatant non cette ressemblance ! » Il n’était déjà plus là.

Je retrouvai ma chambre légèrement étourdie par cette rencontre. Alors que j’ajoutais un peu de mascara pour souligner mon regard, j’ai ouvert le coffret, j’ai pris le collier, la montre, le bracelet. Et aussi ces trois mots : « Je vous attendais. » Un nom : Jicky.

Je suis allongée dans le jardin anglais, je viens d’écraser ma cigarette, un chapeau traîne au milieu du parfum trop fort des roses anciennes. Un week-end à la campagne, l’abandon, la langueur de l’été, un vieux tableau. Des pas se rapprochent.

Un soupir et je me relève, lisse ma robe, rajuste mes perles. Il se tient devant moi et me tend mon chapeau. Sa main s’approche de mon visage, raccroche une mèche folle. Je me penche vers ce parfum qui rappelle un temps passé, me rapproche des lèvres renflées. Je n’ai jamais aimé attendre.

 

8 juillet 2014

Maman

Aujourd’hui maman est morte* et je suis soulagée. Maman s’est suicidée en se jetant du troisième étage. Bizarre, parce que maman était presque parfaite. Papa, lui, dit que maman est tombée en faisant les carreaux. Papa a toujours vu la vie comme ça l’arrangeait. Comment peut-il croire que maman faisait les carreaux ? Elle  détestait les faire ! Inutile de discuter avec papa, papa vit dans le déni ; il m’écœure.

J’ai toujours cru que maman avait droit de vie ou de mort sur moi, mais ce n’est pas moi qui suis morte, c’est elle. Quand j’étais petite, les bras de maman me faisaient peur. Quand ils m’entouraient, je croyais qu’ils allaient m’étouffer. Tout le monde disait que nous nous entendions tellement bien ! Moi aussi je l’ai longtemps cru. Pourtant je peux dire aujourd’hui que maman était mon bourreau.

Depuis un an, maman commençait à avoir des doutes. Ils sont arrivés sur la pointe des pieds et, avec les mois, ils ont tissé leur cocon de deuil. Il y a une semaine, maman m’a dit avec force : « Tu dois vivre ta vie ! ». Je l’ai regardée à deux fois, mais elle ne m’a rien dit d’autre, et moi, je suis restée silencieuse, comme d’habitude.

Aujourd’hui je descends les escaliers, ma valise à la main, je passe le seuil de la porte et je ne regarde pas derrière moi. Papa doit m’observer derrière le rideau de la fenêtre de sa chambre, peut-être qu’il pleure, mais je ne me retournerai pas pour lui dire adieu…

Aujourd’hui maman est morte, c’est mon anniversaire : j’ai vingt ans.

 

* Cette consigne avait été proposée – il y a longtemps - par les « impromptus littéraires », à partir de la première phrase de l’Etranger de Camus.

 

30 juin 2014

La robe de mariée

PT212069

Il y a deux ans, elle avait exhumé sa robe de mariée d’une des malles du grenier. Elle avait longuement hésité : devait-elle se risquer à passer une robe d’un autre âge ?

Depuis son mariage, vingt ans s’étaient écoulés et sa silhouette s’était alourdie. Une fois en slip et soutien-gorge, elle saisit la robe et commença l’essayage en l’enfilant par la tête. La robe se coinça irrémédiablement au niveau des hanches. Impossible de la faire descendre. Elle essaya  par les pieds. Problème ; la robe se bloquait en haut des cuisses et son obstination fit craquer le tissu sous tension. La robe était à l’image de son couple.

Elle s’allongea sur le lit. Une demi-heure de réflexion  lui apporta une solution. La place de cette robe était  au musée. Quoi de mieux qu’un mannequin pour la figer dans l’histoire de sa vie ?

Elle en choisit un sans tête, relégué à la cave, témoignage d’un temps où la couture faisait partie de ses loisirs.

En un clin d’œil la robe fut enfilée sur le mannequin, lui-même placé au bas du grand escalier. Chaque jour elle passait devant  lui et lui adressait un petit signe de tête qui semblait dire : «  On ne peut pas être et avoir  été. »

 

PS : photo de C.V. prise au Portugal en 2010

Presquevoix...
Newsletter
8 abonnés