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17 juin 2016

Duo de Juin

Pour ce nouveau Duo, avec Caro, il s'agissait d'écrire un texte lié de près ou de loin à  la chanson de Alain Souchon :  Foule sentimentale.

Après le texte de Caro, voici le mien :

 

Les paroles

 

Sa hantise d’être un jour atteinte de la maladie d’Alzeimer avait conduit Maud à placer dans la conversation des paroles de chansons afin de mettre sa mémoire à l’épreuve. Elle suivait la courbe de température de ses humeurs et de ses goûts qui allaient de Alain Souchon à Léo Ferré , en passant par Patricia Kaas  et Jeanne Cherhal

Ce matin-là, en ouvrant les volets –  et bien qu’il plût des cordes – elle chantonna « Oh la la la vie en rose ». Jean, encore ensommeillé, préféra ne rien dire ; il détestait parler le matin.

A 8 heures, alors que son mari terminait  de lire son  journal devant son café noir, Maud déclara tout à trac : « Du ciel dévale, un désir qui nous emballe ».

Il lui signifia que ce qui dévalait du ciel, ce n’était pas du désir mais des trombes d’eau,  que la journée commençait mal, d’autant plus qu’il y avait une grève des bus, qu’il devait se rendre au travail à pied et que son cartable était terriblement lourd avec ses deux paquets de copies toutes aussi mauvaises les unes que les autres.

Au fait, ajouta-t-il, puisque tu ne bosses pas aujourd’hui, n’oublie pas d’acheter « On connaît la chanson » à la FNAC.

En verve, elle enchaîna.

-          « On nous fait croire, que le bonheur c’est d’avoir, de l’avoir plein nos armoires ».

-          S’il te plaît, les leçons de morale ce sera pour plus tard, d'accord ? En tout cas, moi, il faut que j’aille au boulot. Je ne suis pas à mi-temps, comme d'autres...

A ce moment-là - et elle aurait mieux fait de se taire – elle inséra deux nouveaux vers de « foule sentimentale » : « On nous prend faut pas déconner dès qu'on est né pour des cons »

Le mot « cons » agit sur lui comme un  détonateur. Il jeta son cartable avec une telle violence que toutes ses copies, patiemment corrigées  de sa petite écriture ronde, jonchèrent le sol. Il se lança dans une tirade qui aurait pu être celle d’une pièce de théâtre de boulevard si le théâtre de boulevard s’était un jour intéressé aux professeurs.

-          Des "cons", oui, c’est certain ! Jusqu’à quand cette putain de vie « dérisoire » ? On est devenu « des gens lavés, hors d'usage », passés à la machine de l’Education Nationale. Une vie qui se résume à traquer des erreurs au stylo rouge, pour les retrouver, une semaine plus tard, sur la même copie du même crétin qui n’en a rien à foutre de tes corrections. Et il faut voir « comme on nous parle ». Tu as vu « comme on nous parle » ? Comme  à des chiens ! Plus aucune crédibilité !  Ils fichent le système en l’air et  ils voudraient, en plus, qu’on travaille 42 ans et demi ! Je n’ai pas envie de circuler en déambulateur dans ma salle de classe ; et puis d’abord, il n’y a pas de place entre les rangées.

A la fin de sa tirade, il tomba comme  foudroyé sur le tapis du salon.

Maud paniqua. Que faire ? Qui appeler ? Que dire ? Elle finit par penser au 18...

L’histoire ne dit pas si les pompiers sont arrivés à temps, mais on peut imaginer que oui, car nos vies sont-elles aussi dérisoires que certains voudraient  le laisser croire ?

 

 

 

15 juin 2016

Duo de Juin

Pour ce nouveau Duo, avec Caro, Il s'agissait d'écrire un texte lié de près ou de loin à  la chanson de Alain Souchon :  Foule sentimentale.

Aujourd'hui vous pouvez lire le texte de Caro. Le mien sera publié jeudi.

 

 

Nulle part ailleurs

 

Jocelyne le connaît bien. Elle prend un pot en grès, choisit un large pinceau. Un peu de poudre sur une peau jeune et dorée. Florian se laisse faire et regarde au bout de la vaste salle les paravents et les rideaux sombres derrière lesquels se dissimulent les caméras et les projecteurs. Jocelyne estompe une invisible ride. Florian observe la maquilleuse. Depuis combien de temps se croisent-ils dans les box fragiles des studios de AZAR Productions ? Plusieurs saisons. Il est arrivé ici en même temps que Loïs, une jolie blonde, toute en discrétion pour assister aux enregistrements. Tous deux sont les seuls à être restés, fidèles. Les autres viennent et vont, visages jeunes et interchangeables. Une foule indistincte d’étudiants, de provinciaux, d’hommes et de femmes de tous les âges, seuls, en bande, en famille. Il ne les connaît pas.

Un dernier regard dans le miroir qu’on lui tend, Florian se lève, sourit, remercie. Dans ce décor mouvant, le jeune homme circule avec grâce. La caméra l’attire et il se doute qu’elle aussi le couve d’un regard appréciateur. Déjà, les shootings auxquels il ne croyait pas au début, se bousculent dans son agenda. Avec ces cachets inespérés, il a échangé sa studette nichée au 6ème contre un futur espace tout en volumes, espace vitré et mezzanine qu’il retape avec bonheur. Il sent bien la fatigue : les séances de pose, le gros œuvre le dimanche pour ses 54,7 m2 de liberté dans le XIème, son job aux horaires en phase avec ceux de l’autre hémisphère. Nuits courtes, jours longs. Et ces émissions auxquelles il aime assister perdu au sein d’un public anonyme.

Plus que quelques minutes et lui, Loïs, les autres vont s’asseoir dans les gradins blancs du public. Un homme au fond dont personne ne sait rien agitera des cartons, applaudir, rire, marquer son mécontentement, huer. Ici rien ne dure, assistants, présentateurs vedettes, pin-up météorologistes. Tous s’envolent pour la gloire cathodique ou s’écrasent et meurent. Les décors se métamorphosent à la première baisse d’audience ; une nouvelle formule s’invite et renaît pour mieux faire briller les feux de l’audimat.

Loïs lui sourit. Florian se risque à un rapide clin d’œil. Ils se sont retrouvés lors du shooting de mercredi, par hasard. Ils ont discuté. Curieusement, lorsque pour les besoins du clip publicitaire, il a penché sa tête vers la jeune femme, effleuré ce casque blond et lisse, il s’est senti assailli par un sentiment étrange. Et là, alors que trois habitants de la Trinité-sur-mer les séparent, Florian ressent à nouveau cet attrait inusité. Pourquoi elle ? Pourquoi pas une autre ? Lui qui sort n’importe quelle nana sans même se poser de questions.

Soudain l’orchestre lance quelques notes, un riff, un autre plus appuyé ; les rythmes claquent sur le métal des cymbales et sur les futs aux peaux impeccablement tendues. La star sort peu à peu de l’ombre. « Il est laid », telle est la première pensée de Florian. Puis doucement, il se laisse bercer par les mots, ferme les paupières à demi. Il ne rêve être nulle part ailleurs. C’est ici, dans ce clinquant, cet univers de pacotille, qu’il se sent bien. Il a oublié Loïs. Il n’a pas besoin de lire le panneau que le jeune assistant agite pour chantonner déjà : « Foule sentimentale / On a soif d'idéal /Attirée par les étoiles, les voiles / Que des choses pas commerciales / Foule sentimentale ».

Il ne remarque pas non plus le chanteur qui s’approche à faible distance du public et qui observe la masse moutonnante. Pas plus que le regard mi- amusé, mi- interrogateur qu’il leur jette avant d’entonner une dernière fois son refrain.

13 juin 2016

Le cutter

Ils se disputaient sans arrêt, l’alcool n’arrangeait pas leurs affaires. S’il y avait une chose qu’elle adorait, c’était le défier. Ce jour-là, après son premier verre de vin, elle lui dit.

-          Tiens, la bague à deux balles que tu m’as offerte pour mon anniversaire, tu vois ce que j’en fais ? Je la mets à la poubelle.

Et elle joignit le geste à la parole.

Il n’en croyait pas ses yeux. Elle jetait la bague fantaisie qu’il avait choisie avec soin sans éprouver le moindre remords.

-          Tu te fous de moi ? rugit-il.

-          Oui, bien sûr, lui assura-t-elle.

-          Ah bon, c’est comme ça !

Il alla chercher un cutter dans le tiroir et le brandit sous ses yeux.

-          Tu sais ce que je vais faire avec ça ?

Elle ne répondit rien, habituée à ses rodomontades.

-          Eh bien je vais m’arracher ce putain de tatouage sur le bras que tu m’as payé pour mon anniversaire.

Et il commença à se lacérer la peau avec son cutter. Elle lui ordonna d’arrêter, mais lui continua son carnage en éprouvant une jouissance que rien n’aurait pu remplacer…

 

PS : texte écrit à partir d’un fait divers lu dans le journal régional

25 mai 2016

Duo de mai

Nouveau Duo, sur une idée de Caro : utiliser un extrait de ce poème comme incipit et/ou s'inspirer du poème entier.

Aujourd'hui, vous pouvez lire le texte de Caro, le mien sera mis en ligne vendredi 27 mai.

 

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Duo mai 2016 — 2  

                                     

L’invitation au voyage

 

Nos avenirs sont écrits sur les graphiques du CAC 40 et du Dow Jones, notre nouvel ordre a un aspect propret et économique, efficace. Une seule variable et nos vies s’émiettent. Ainsi une lettre est arrivée chez moi. Elle avait l’apparence d’une invitation au voyage. Sous l’encre noire et le papier innocent,  les mots énonçaient un ordre.

Les bureaux de HMI2B ont fermé il y a six mois. J’ai déménagé sur Paris, laissant le pavillon, ma famille, une existence, des amis, des loisirs. Toute ma vie, j’avoue, je me suis senti béquillant. Désormais j’étouffe. L’oppression des tours qui ceignent mon studio de poche et celles où se cache l’open space où je vais travailler. L’exil et ma famille, les lambeaux qui en restent, qui s’effacent. Les jumelles, mes filles parties, ma femme, cette absente qui ne demande même plus de nouvelles sauf quand la fin du mois arrive. Au mieux, je dois tenir quatre ans avant ma retraite, coincé dans un boulot qui me permet un minimum de décence. L’espoir est devenu un quignon de pain moisi et je n’en savoure que l’amertume.

« Le coude à coude entre les affiches/Dans la station de métro. /dans une lumière morte au regard égaré.

Le train arriva pour emmener/les visages et les porte-documents.[…] »

Mais tout ça, ce n’est rien.

« […] On vendait les nouvelles de la nuit/aux arrêts situés sous le niveau de la mer. /Les gens étaient en mouvement, chagrins et/taciturnes sous le cadran des horloges.

Le train transportait/les pardessus et les âmes. […]

Je pourrais me draper de solitude. Ici je peine à accrocher, un mot, un sourire. La voix qui m’accompagne est celle de ma radio, un poste acheté en arrivant ici dans un bazar. Je m’y étais réfugié, épuisé par les bruits et la foule. Les néons, les emballages jaunes et rouge, vert, les peaux, les corps proches, vivants, semblant venir des quatre coins du monde, me donnaient l’impression d’être seul mais de ne pas être déraciné. Dans cette échoppe en désordre, il y avait quelque chose de l’odeur des fleurs et des champs au soir lorsque l’humidité tombe, un parfum tiède et suave

“[…] Dans tous les sens, des regards/lors du voyage dans la montagne. /Et nul changement en vue.

Près de la surface pourtant, les bourdons/de la liberté s’étaient mis à vrombir. /Nous sortîmes de terre.”

Non, tout ça, ce n’est rien. J’étouffe du ciel au-dessus de la mer qui n’est plus là, des nuages qui avalent la terre, des orages noirs ombrant le bocage. La tête me tourne, le battement de mes tempes me blesse. Là, le square où je déjeune. J’aperçois sur un banc, un rectangle clair. Un livre tel un signe du ciel. Baltiques de Tomas Tranströmer. Fermer les yeux à la ville, lire. Je respire, je vis.

“[…] Une seule fois, le pays battit/des ailes avant de s’immobiliser/à nos pieds, vaste et verdoyant.

Les épis de blé arrivaient en vol/au-dessus des quais. /Terminus ! J’étais allé/bien au-delà.

Combien étions-nous encore ? Quatre,/cinq, à peine plus.

Et les maisons, les routes, les nuages,/les criques bleues et les montagnes/ouvrirent leurs fenêtres.”

Je peux lever les yeux, je m’appuie sur ce kilo de papier, je me lève, j’avance, je tiendrai.

19 mai 2016

L’arrêt cardiaque

Pour leur anniversaire de mariage, il avait choisi un séjour dans un agréable petit hôtel deux étoiles de la côte Normande. Son plan était précis : il la tuerait juste après leur dîner. Bien sûr il aurait été  plus simple de se séparer ou de divorcer, mais elle ne voulait rien entendre.

Une fois remontés dans leur chambre, sa femme s’allongea sur le lit, un peu étourdie par la bouteille de Gevrey-Chambertin qu’ils avaient bue. C’est à ce moment-là qu’il décida de l’étrangler avec sa cravate. Il pensait que ce serait court, mais non, la diablesse se débâtit ; elle tenait à la vie.

Accablé par ses efforts répétés, il fit un arrêt cardiaque et mourut sur le champ. Marie survécut. Elle put ainsi faire disparaître l’une des nombreuses listes de souvenirs qu’elle classait consciencieusement : celle de ses déboires conjugaux…

 

 

7 avril 2016

Duo d'avril 2016

Deuxième partie du Duo avec Caro du blog " les heures de coton". Aujourd'hui, voici mon texte, avec toujours la même photo comme point de départ.

 

defiLe « boy friend »

 

A son retour d’Angleterre, Juliette avait parlé de son nouveau petit copain comme d’un « trophée ». Elle l’appelait  « The boy friend » et vantait ses qualités ex-tra-or-di-naires.

Il est vrai que son séjour outre-manche l’avait  transformée : non seulement elle fumait – chose qu’elle détestait avant de partir à Londres – et parlait merveilleusement anglais,  mais elle avait changé de style.

Fatiguée d’entendre parler du « boy friend » sans jamais le voir, Léa lui a dit.

-          Alors, tu nous la présentes quand ta chimère ?

Juliette a piqué un fard et lui a répliqué que certaines aimeraient bien avoir des chimères comme la sienne !

Les semaines ont passé et la bonne humeur de Juliette a sensiblement fané. Certaines amies  bien intentionnées  disaient déjà que son «  boy friend »  ressemblait fort à un  paravent que l’on exhibe pour cacher la misère !

Et puis la nouvelle que tout le monde pressentait est arrivée trois mois plus tard : Juliette a annoncé qu’entre son « boy friend » et elle, ce n’était plus ça. Elle exhibait  une  tête de six pieds partout où elle allait, se plaignant des hommes et de leur égoïsme.

Lors d’une fête entre copines, après avoir avalé quelques Margarita bien corsées, elle a crié  : « The END ! Don’t ask me any more question about this fucking asshole*. »

Marie lui  a demandé.

-          Mais dis-moi, il existe ou non ce mec ?

Juliette a fouillé dans son sac et en a ressorti une photo chiffonnée qu’elle a lissée avec le plat de sa main.

-          C’était lui.

-          OK, c’était lui, mais tu as eu une relation avec lui, oui ou non ? a repris Marie

-          En partie, a-t-elle concédé.

-          Comment ça en partie ? Tu veux dire que ce type, c’est du virtuel ?

-          Qu’est-ce que ça peut faire ! De toute façon, ce salop s’est foutu de moi et maintenant  je compense en bouffant parce que j’ai arrêté la clope. Il me reste plus qu’à boire. Quel enfoiré, quand je pense à tout ce que j’ai fait pour lui…

Décidant de couper court à ses jérémiades, Marie a conclu.

-          Ecoute Juliette,  à ta place j’essaierais de rencontrer un type en chair et en os. Je me demande si c’est pas ça qui te manque. Il te faut du concret, tu comprends, du concret. Un type qui ressemble à autre chose qu’à un rêve à la con.

Juliette n’a rien répondu. Elle était déjà sur son cheval blanc,  traversant des steppes noyées de nuages de Margarita, et elle galopait vers un paradis qui n’existait pas…

 

*Ne me posez plus de questions sur cet enculé. Il m’a laissée tomber

 

 

5 avril 2016

Duo avril 2016

Nouveau Duo avec Caro du blog " les heures de coton". Cette fois, une photo comme point de départ. Aujourd'hui place au texte de Caro, le mien sera publié jeudi prochain.

 

Duo avril 2016

 

defi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On n’imagine pas qu’un retard peut dévier le cours d’une vie déjà peu tranquille.

On n’imagine pas qu’un SMS puisse vous faire bifurquer là où vous ne pensiez pas aller.

Et, comme dans les mauvais films, ne pas sous-estimer le rôle d’une clope

Bref, la ligne du destin zigzague sans remords au lieu de n’être qu’un hypothétique fil droit tendu par les Parques. Où, maladroite que je suis, je me suis pris les pieds dedans.

 

J’étais en retard, ce qui a fait que j’ai oublié d’appuyer sur le bouton, me suis retrouvée au 18ème et ai foncé dans Paul en sortant. Le temps que l’ascenseur descende et remonte, je savais que je pouvais remiser mon sac de sport jusqu’à la prochaine séance. C’est comme cela que mon collègue qui venait de recevoir un SMS pour une rooftop party secrète m’a attrapé par le bras direction M° Richelieu- Drouot. Un passage express dans un bar à beauté, deux ou trois sautoirs et bracelets bling-bling achetés dans le métro, Paul avait joliment ajouté un œillet rouge à sa boutonnière, nous étions beaux, nous étions prêts.

 

La soirée était irréprochable. Je suis allée admirer la vue sur les lumières de la ville, tu étais là, tu m’as offert une clope et tu m’as fait le coup du French Kiss assumé. À ce jeu-là, tu n’étais pas vraiment mauvais.

 

Un été humide et collant, au point que, à force de t’attendre à une terrasse intenable, je voyais se dessiner la fin de cette intermède amoureux. J’ai posé ma clope en voyant mon portable s’allumer. Tu partais quinze jours vers le sud, besoin de respirer. Je décidais d’arrêter de fumer et de passer à la case amitié tout en écrasant le dernier mégot dans le cendrier. Il y a un jour dans la vie où il faut suivre les résolutions que l’on a décidé de prendre. Surtout passé 40 ans.

 

28 septembre. On s’est donné RV près de Beaubourg. Tu es arrivé à l’heure, tranquille, tu as même posé un paquet avec un nœud ridicule sur la table. Ces dernières semaines, à part se croiser à deux vernissages et à un concert sur une péniche, on a échangé plus de mots via nos portables qu’en face à face. Je t’ai envoyé cette photo, je crois que ce sera mieux qu’une parlotte entre nous. Je plonge dans le forum, mon sac de sport sur l’épaule, séance de fitness et ensuite prendre un verre, avec Paul justement.

3 avril 2016

Le fauteuil roulant

cvTous les jours, à 14 h, Paulo garait son fauteuil devant le bar St Gervais, on l’éjectait à l’intérieur et il éclusait ses bières jusqu’à 18 h, heure à laquelle on le remettait dans son fauteuil, direction son appartement à la saleté repoussante où il coulait des jours cotonneux.

Personne ne savait vraiment qui il était, ni quelle avait été sa vie. On lui avait bien posé des questions, mais son état comateux ne favorisait pas les dialogues avec les piliers du bar.

Pourtant,  un jour  ils surent.

C’était une après-midi de début de printemps, l’une de ces après-midi où le ciel a des velléités d’été et où les cœurs s’ouvrent après un long hiver qui les a maintenus enserrés dans les mailles de leur camisole d’émotions. A 15 h 30, la porte s’est ouverte et une jolie jeune fille brune revêtue d’un jean assorti d’un pull bleu a passé le seuil en adressant un sourire aux habitués. Ils se sont immobilisés, le verre à la main. L’arrivée de la vierge n’aurait pas produit un effet différent.

D’un pas sûr, elle s’est dirigée vers la table où on avait installé Paulo, déjà dans un piteux état. Ils l’ont entendue prononcer « Papa ? », et tous se sont interrogés. Comment cette loque de Paulo avait-elle fait pour produire une si jolie pervenche ?

Mais Paulo ne répondait pas, déjà dans les vapeurs de la bière blonde qui l’anesthésiait chaque après-midi.

Les gars se sont mis de la partie et ont entonné : « Paulo, c’est ta fille ! ». Paulo a redressé péniblement sa tête, l’air hagard et la jeune fille a dit à nouveau : « C’est moi papa. »

-          Toi ? a-t-il dit en essayant de la fixer derrière le brouillard de ses yeux. Toi qui ?

-          Linda, papa.

-          Linda, a-t-il ânonné, et il lui a souri.  Sa tête est retombée sur la table avant qu’il n’ai pu rajouter quoi que ce soit.

La jeune fille est revenue vers le comptoir et a donné au patron une enveloppe blanche.

-          C’est pour mon père. Vous savez où il habite ?

L’un des habitués a fait un geste vague et la jeune fille  a hoché la tête.

Après son départ, ils se sont consultés du regard, ont observé la tête inerte de Paulo, et ils ont ouvert l’enveloppe d’un commun accord. Le mot était simple et les lettres arrondies ressemblaient à cette adolescente  à peine sortie de l’enfance.

« Cher papa,

Je suis venue prendre de tes nouvelles. Maman ne sait rien. J’ai su que tu étais au café par un copain de maman qui t’a déjà vu là. Il dit que tu y vas tous les après-midi pour te démolir la tête. Maman me dit que tu es un ivrogne. Moi je voudrais te rencontrer. Je reviendrai te voir au café samedi après-midi. Je pense à toi. Linda. »

Le patron a hoché la tête, remis la lettre dans l’enveloppe et il est allé secouer Paulo. La lettre de Linda a été glissée dans son sac, on l’a replacé dans son fauteuil et on l’a poussé jusque chez lui.

Le lendemain, Paulo n’est pas venu, on s’est s’inquiété et on a sonné à sa porte. Rien. Le surlendemain, le fauteuil roulant n’a pas pilé devant le bar. Les copains ont refait le trajet vers son appartement. Personne. Lassés, ils ont laissé tomber l’affaire.

Mais le samedi,  à  14 heures,  ils ont eu la surprise de voir le fauteuil roulant s’arrêter et dedans, leur Paulo, méconnaissable.

-          Eh ben mon gars, lui a dit le patron en s’avançant sur le seuil. C’est plus toi !

Les autres ont renchéri, ils lui ont même dit qu’il avait fière allure, et ils l’ont assis à sa table habituelle.

-          Alors, un demi ? a demandé le patron.

-          Non, une San Pellegrino.

Le chœur a lancé un « Putain » de surprise.

-          J’attends ma fille, ça fait 10 ans que je l’ai pas vue.

-          Dix ans ! a dit le chœur.

-          Ouais, depuis l’accident.

-          L’accident ?

Paulo ne semblait pas vouloir parler, mais il a fini par dire d’une voix monocorde.

-          J’ai voulu tuer ma femme. Mais c’est elle qui m’a fichu deux balles dans le corps, et bien placées. Elle était flic, avant…

Au comptoir personne n’a pipé. Et il a continué.

-          Voilà, c’est tout, continuez à boire les gars. Moi, j’attends ma fille…

 

PS : photo prise par C. V. à Rouen

 

22 mars 2016

Le magicien Ose

LA DANSEQuand le magicien lui était apparu en rêve, il lui avait murmuré.

-          Fais un souhait et je l’exaucerai.

Prise au dépourvu, Marie lui demanda d’attendre son prochain rêve afin qu’elle puisse y réfléchir. L’homme s’évanouit aussi rapidement qu’un désir assouvi. Quand il lui apparut pour la deuxième fois, elle ne put s’empêcher d’observer son corps dessiné parfaitement par un  justaucorps bleu saupoudré d’étoiles.

-          Alors quel est ton souhait ?

-          Faire l’amour avec toi.

Le visage du magicien s’empourpra. Il répondit sans détour.

-          Je suis vierge.

-          Ose ! s’entendit-elle lui répondre.

-          Et si je te déçois ?

-          La magie et le sexe font  bonne alliance.

Quand elle se réveilla, juste après un orgasme stellaire, le magicien avait disparu.

Maintenant, elle passait le plus clair de son temps à dormir, espérant revoir le magicien Ose. Après plus de 300 heures de sommeil, il surgit au détour d’un rêve et il lui reposa la même question.

-          Fais un souhait et je l’exaucerai.

Elle pensa lui demander la même chose, mais à son regard, elle sentit qu’elle ne pouvait se le permettre. Elle lui dit.

-          Je voudrais rencontrer un homme qui ferait l’amour comme toi.

Le magicien réfléchit un instant.

-          J’en connais bien un, mais je ne sais pas si vous pourriez vous entendre.

-          Pourquoi ?

-          Il est sourd.

Marie réfléchit un instant et lui dit.

-          Ce n’est pas grave.

-          Il est muet.

-          Et alors ?

-          Parfait, je vois que tu es décidée. Le voici !

Lorsque Marie se réveilla, elle avait à ses côtés un homme qui  ressemblait à s’y méprendre au magicien Ose. Il était nu et dormait tranquillement. Elle n’osa pas le réveiller. Quand il ouvrit les yeux, elle lui sourit. Quand il la déshabilla, elle le laissa faire. Quand il lui fit signe de s’allonger sur lui, elle acquiesça, et quand son sexe entra en elle, elle s’évanouit.

Elle ne revint à elle que bien longtemps après. Mais où était-elle ? Elle ne le sut qu'en voyant son nom sur la liste des étoiles filantes. Si on le lui avait dit avant, jamais elle n’aurait répondu aux  questions du Magicien Ose…

 

PS : photo empruntée à Patricia. Un petit signe d’amitié pour abolir la distance entre nos deux mondes.

 

 

2 mars 2016

Duo

Lundi et mardi, vous avez pu lire le texte de Caro, du blog les heures de coton.  Je vous rappelle la consigne : il  s'agissait d'utiliser une citation de Tourgueniev  - « Comment savoir ce qu’on ne sait pas ? » - en l'insérant dans une histoire qui devait ressembler à un conte. Aujourd'hui, voici mon texte.

 

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La fée

 

La fée lui apparaissait tous les premiers samedis du mois, à 23 heures, et à chaque fois, elle lui posait une nouvelle question. La réponse était à donner avant le premier samedi du mois suivant.

Marie avait réussi à répondre aux onze questions précédentes, mais la dernière lui donnait du fil à retordre. Il  ne lui restait plus que 24 heures pour trouver une réponse  à cette question : « Comment savoir ce qu’on ne sait pas ? ». Le visage de la jeune femme s'assombrissait au fur et à mesure que les heures égrenaient leur glas au clocher de l’église. Que se passerait-il si elle était mise en échec ?

A 23 heures, quand la fée arriva, tenant à la main sa baguette magique argentée, elle crut défaillir. La question fatidique lui fut posée et, à son grand étonnement, elle s'entendit répondre qu'elle ne savait pas.

La fée lui reposa calmement la même question et Marie énonça calmement la même réponse. La fée dit alors.

- Tu vois, ce n’était pas si compliqué de reconnaître que tu ne pouvais pas tout savoir sur tout. Tiens, prends cette baguette magique. Maintenant, tu seras celle qui posera les questions !

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