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9 janvier 2019

Dépaysement

La citation qui va suivre est extraite du livre de Anne Dufourmantelle  « En cas d’amour – psychopathologie de la vie amoureuse »

Psychanalyste et philosophe, A. D. dessine dans cet essai, et ce de main de maître, la carte du cœur blessé.

"Dépaysements

(…) Et s’il fallait être très loin pour se risquer au plus près de soi ? Nous sommes des êtres fragmentés, un feuilletage qu’une unité fragile et toujours renouvelée voudrait résumer en disant « je ». Mais ce « je », comment saura-t-il qui le compose, ce qu’il aime, ce qu’il désire, s’il ne se risque pas hors de lui-même pour, enfin, après revenir à soi ? Le dépaysement est l’image de ce trajet peut-être essentiel qui voudrait qu’on se perde pour se trouver.(…)"

22 décembre 2018

Le tiroir des imbéciles

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Ce tiroir, je  ne l’avais jamais encore ouvert. Sans doute par peur.

Mais une fois, pour échapper à l’ennui hivernal,  je lui ai rendu visite et ce que j’ai découvert m’a profondément troublée. Au détour de quelques photos, j'ai vu la mienne : j’étais jeune et triste. Je savais que j’avais été jeune, mais triste ?

Sous cette photo, il y en avait d’autres, mais pas de moi. Des photos de mes parents, de tantes et oncles, de cousins et de cousines. Je les ai toutes alignées avec la mienne. Hélas, j’étais vraiment la plus triste, et sans doute la plus laide.

J’ai continué mon voyage d’hiver  le ventre noué.

Sous les photos, j’ai découvert des lettres, mais adressées à qui ? Les adresses n’étaient pas données, et les noms avaient été effacés ; pourquoi ? Etaient-ce des lettres qui m’avaient été envoyées ? Ou des lettres que moi-même je n’avais pas souhaité envoyer ? Il me fallait les lire, peut-être pas toutes, mais certaines. Sans doute reconnaîtrais-je mon écriture, mais elle avait tellement changé depuis ma jeunesse.

La première lettre que je choisis était brève :

« Je me languis de toi. Le problème c’est que je ne t’aime que quand tu n’es pas là. Pourquoi continuer ? »

 La deuxième un peu plus longue – celle d’une femme -  disait :

« Il n’y a pas d’amour heureux, hélas, nul ne me l’avait dit. Naïve, je suis née naïve et je le suis restée. Tu as été le troisième, le plus obtus je pense. Oublions-nous ou recommençons ou tuons-nous. Mieux vaut agir, et vite. »

Qui était ce mystérieux troisième ? Mon cerveau transi ne me donnait aucune réponse.

La troisième lettre, elle, avait été écrite par un homme, et c’est lors de sa lecture que je me suis arrêtée, atterrée. Son contenu était si douloureux que des rivières de larmes ont coulé sur mon visage.

« Tu juges, tu juges,  mais te regardes-tu ? Je ne suis ni artiste, ni musicien, ni écrivain, je suis moi et ce moi me brûle quand tu me regardes avec autant de dureté. Qui es-tu toi qui observes les autres les yeux fermés ? Dans quel palais as-tu existé pour être si lointaine ? Moi ma maison est simple, mais depuis que je te connais, je ne peux plus y vivre. »

 J’ai aussitôt retiré les lettres du tiroir. Ne devrais-je pas les mettre à la poubelle ?

Sous les lettres - et ce fut ma dernière découverte avant ma décision finale - j’ai vu une drôle de bague. On aurait dû une alliance. J’ai regardé si je pouvais la mettre à mon doigt. Oui, elle se glissait facilement le long de mon annulaire. Elle était aussi triste que je l’étais sur la photo. Une fois que sa place a été trouvée, une voix d’homme a entamé un voyage musical*, d’une voix si triste et grave que j’ai failli mourir. De quoi étais-je donc coupable ? Que me reprochait- on ?

C’est à ce moment-là que la fenêtre s’est ouverte. Aussitôt toutes les photos et les lettres se sont envolées pour leur voyage d’hiver. Seule m’est restée cette bague qui maintenant repose à la cave, dans un minuscule cercueil que je lui ai construit. Sans doute ai-je voulu oublier qu’un jour – mais je ne sais pas quand – j’ai moi aussi fait un voyage que j’aurais préféré ne pas faire…

 

*Franz Schubert, voyage d’hiver

PS : Titre de livre créé aux éditions irrégulières

 

12 décembre 2018

La remise à nouveau

Voici  un texte créé par Mado et gballand.

Notre démarche : se lire, écrire, se relire, puis travailler à deux pour aboutir au texte final.

Il me reste à ajouter  que Sénèque nous a influencées à travers la citation suivante : « Quand je repense à tout ce que j'ai dit, j'envie les muets." 

 

La remise à nouveau

Je l’avoue, je me suis  sentie libérée  en claquant la porte. En prenant  les autres à témoin au début, toute tremblante, j’ai bien lu la surprise et la consternation autour de moi : « Quoi,  la transparente, celle  qu’on  n’entend jamais ! Elle a pété les plombs ? ».  Alors, je me suis enfermée dans ma bulle  et ça s’est acharné crescendo contre lui, comme dans une transe joyeuse, au son soudain fier de ma voix. Ça s’est déversé en déluge de… Je ne sais pas d’où m’est venu ce répertoire ! La plupart des mots, je ne les avais jamais  prononcés ;  ils ont fusé, comme entraînés depuis longtemps, fin prêts à l’assaut. Et c’est vrai,  ils se sont déchaînés sans pitié… Mais c’est pas ma faute !

 Avant  je me disais toujours que c’était ma faute. C’est bizarre de se voir changer de rythme. Il faut dire que j’ai longtemps vécu à l’intérieur de moi… et jamais je n’aurais voulu que les autres sachent comme se passait la vie à l’intérieur de moi. Lui non plus n’a jamais su. D’où l’erreur. Il n’a rien compris à mon nouvel opéra en un acte et maintenant, il me fuit, comme les autres. On n’aime pas les gens qui changent d’opéra, ça perturbe, ça contamine… enfin, c’est ce qu’ils doivent penser.  Mais, comme le disait ma grand-mère, une femme de tête : « Ma fille, il vaut mieux être seule que mal accompagnée. ». Et, de fait, je l’ai toujours connue seule ma grand-mère.

Je dois dire qu’elle n’avait  pas la langue dans sa poche. Ma mère non plus. C’est peut-être ce qui a fait décamper leurs hommes… Et  si c’était génétique, ce qui m’arrive ?  Il aurait dû réfléchir plutôt que de réagir aussi  bêtement ; mais quand même… quand je pense à tout ce que j’ai dit, j’envie les muets. Moi, je ne veux pas finir comme elles. Cent ans de solitude, c’est  trop lourd à penser. Et je ne me sens  pas l’âme à sublimer dans la méditation,  le lindy hop, ou le katajjaq ! Voilà pourquoi je suis là. Je voudrais me soigner.  Des mots qui écorchent et souillent le palais en infusant un relent fétide. On pourrait conclure un pacte…

J’espère que ce que je vous dis, ça ne vous fait pas peur. Vous, dans votre métier, vous avez l’habitude des pactes. Moi non, parce j’ai un métier où je ne vois que du bois : je suis ébéniste. J’assemble, je ponce, je vernis, plus facile  à faire avec le bois qu’avec les gens. Ma mère aussi était ébéniste, c’est peut-être pour ça que mon père est parti. Elle ne voyait plus que le bois… et mon père ne pouvait plus la voir en peinture. Moi, je ne vis pas le bois comme ma mère, ce que j’aime dans le bois, c’est l’essence… d’ailleurs l’essence du bois me fait plus d’effet que les sens de mon ami. Je sais que je vous dis des horreurs, mais j’en profite, je ne vous connais pas.

Vous, qui osez prétendre me connaître, vous devez savoir qu'il y a pire bougresse. Mais enfin,  regardez ce que vous avez fait de moi !  Une adaptée, une intégrée, une pensée presque  dominée  dont la seule respiration est la violence des mots  qui se cognent au silence ; et  étouffant sous  l’uniforme, une inadaptée  au  peu de sens ambiant, dont corps et âme ne trouvent repos qu'au contact des arbres.
Alors, maintenant, on ne joue plus,  écoutez-moi  bien : je suis revenue pour exiger mon dû, avec obligation de résultat cette fois. Faîtes-moi renaître! Qu'on oublie tout, moi, mon engeance, lui ;  jusqu’à vous-même, définitivement. Et arrêtez de bouger ! Vous ne serez pas libre avant de m’avoir reprise à zéro. Ce que je veux, c'est mon  intégrité, ma dignité. Pour enfin m'éclater en tous sens  avec mon prochain. Vous le savez qu’au fond, j’aime les  gens. Signez ! En échange, devinez- quoi ? Vous aurez l’honneur d’être mon cobaye !

4 décembre 2018

Duo de décembre

Pour ce duo de décembre avec Caro, du blog " les heures de coton ", nous utiliserons comme nous le souhaitons cette citation de Annie Ernaux - « Ce récit serait donc celui d’une traversée périlleuse… » extraite de « Mémoire de fille ».

Aujourd'hui, voici mon texte :

 

Le récit

Ce récit serait donc celui d’une traversée périlleuse.  Non en bateau – je déteste les bateaux même si, parfois, je les invente – mais à pied, en France. Je n’aurais qu’un sac à dos léger, dans lequel je mettrais un livre – celui  de « l’intranquillité »   - et un carnet où je noterais des phrases, longues ou courtes.

Dans ce récit, le péril reposerait non sur les mots mais sur l’interprétation que je pourrais en faire.

Lors de ma traversée, une même question serait posée chaque jour à un homme. Pourquoi un homme me direz-vous ? Sans doute parce que je préfère imaginer qu’ils sont ce que je ne suis pas.

La question posée serait la suivante : Vivre pour vous, c’est quoi ?

Avec ces réponses, je pourrais voguer sur l’océan de leur âme où d’étranges oiseaux poursuivraient leur voyage.

Puis un jour, sur mon chemin,  je rencontrerais celui dont la traversée s’est faite sans sac, sans peur, sans ombres. Je lui poserais la même question qu’aux autres et il m’inviterait à m’asseoir dans un grand jardin où nous finirions par nous connaître…

 

 

 

 

22 novembre 2018

Manon et Louise

Ça faisait quatre mois que Manon allait mal. Elle n’arrêtait pas de me dire qu’elle avait envie de mourir. Avec elle mes nuits étaient plus belles que mes jours ; au moins elle dormait. Au comble de l’exaspération, j’ai fini par prendre une décision : si tu veux, pour ton anniversaire, je te paie une psychothérapie de soutien ; avec 10 séances tu devrais aller mieux.


Elle n’a pas dit non. Manon ne dit jamais non, elle n’est pas contrariante ; enfin, jusqu’à ce jour où elle est arrivée la bouche en cœur. Elle revenait de sa dixième séance.


- On dirait que ça va mieux, lui ai-je fait en souriant, tu vois, qu’est-ce que je t’avais dit !


Elle m’a répondu l’air embarrassée : Oui mais… enfin… j’ai quelque chose d’important à te dire.

J’étais un peu étonné de tant de mystères, surtout qu’entre elle et moi il n’y a jamais eu de secrets. Et puis soudain elle s’est jetée à l’eau.


- Il faut que je te quitte. Toi et moi ça ne peut plus marcher. On est trop différent.


Je n’ai pas su quoi répondre. D’ailleurs je n’en ai pas eu le temps, elle est immédiatement partie sa valise à la main.


Depuis deux semaines je suis seul avec la chatte - oui, elle m’a quand même laissé Louise – et je dois dire que Louise me rend heureux.


 

18 novembre 2018

Avec ou sans démons ?

Elle détestait le métro à 9 heures : ses mines grises, ses extraterrestres aux oreilles connectées, ses odeurs, les regards qui n’en étaient pas, le bruit des roues. Alors, pour oublier, elle lisait.

Ce matin-là, elle essayait de se concentrer sur un article du Monde intitulé « Apprivoiser ses démons pour vivre sereinement », mais elle eut la sensation désagréable que le type derrière elle lisait par-dessus son épaule. Il commençait à l’agacer. Elle tenta de relire une phrase : « Le thérapeute conseille entre autre de repérer ses ruminations récurrentes… », mais c’en était trop, il n’avait vraiment aucune éducation, il lui volait le plaisir de sa lecture. Elle ferma son journal.

Aussitôt, derrière elle, on cria énervé.

-          Non, attends !

Elle se retourna prête à assassiner le malotru mais il prévint l’attaque.

-          Heu excuse-moi !  C’est juste qu’en ce moment j’ai besoin d’apprivoiser mes démons.

Elle le regarda stupidement puis répondit d’une voix brusque.

-          Je vous le donne cet article si vous voulez.

-          Merci, c’est gentil. Mais si vous n’avez pas fini…

Elle se radoucit un peu pour ajouter.

-          Je n’ai plus de démons,  alors si vous  avez besoin de soigner les vôtres gardez-le !

Il répondit juste.

-          Si vous croyez que ça me sera plus utile à moi qu’à vous.

Elle lui fourra le journal dans les mains et descendit à Réaumur Sébastopol. Ce qu’elle ne vit pas, c’est que lui aussi descendit. Il la suivit à bonne distance. Il avait le temps, rien à faire de particulier ce jour-là, à part son passage obligé à Pôle Emploi. Arrivé à la surface, il respira profondément, le métro l’avait toujours oppressé. Il la vit qui marchait déjà d’un bon pas sur le boulevard. Elle tourna à droite, à gauche, puis encore à droite et s’arrêta devant un sex shop. Elle entra. Il resta à la porte.

Vingt bonnes minutes se passèrent mais elle ne ressortait toujours pas. Sans doute travaillait-elle là, pourtant elle n’en avait pas le style. Il poussa la porte et fut un peu surpris par les gadgets, même si la vitrine était éloquente. Une voix l’accueillit.

-          Besoin d’apprivoiser ses démons ?

Il se tourna vers elle et répondit sans se démonter.

-          J’ai fini votre journal devant le sex shop, merci, je tenais à vous le rapporter en main propre.

Elle se sentit bêtement obligée de justifier sa présence dans la boutique.

-          Le sex shop ce n’est pas vraiment une vocation. J’ai un master en lettres modernes ; si je travaille ici c’est parce que je n’ai pas trouvé autre chose.

-          Il vaut mieux un emploi que pas d’emploi du tout, fit-il simplement en jetant un regard sur les godemichés qu’il jugea démesurés.

Elle l’observa un instant : grand, hirsute, les cheveux mi- longs, il avait la tête d’un vieil étudiant.

-          Vous voulez un café ?

Il ne se fit pas prier. Une fois assis dans l’arrière-boutique il lui demanda.

-          Vous avez reçu une formation spéciale pour travailler ici ?

-          Bien sûr, dit-elle en plaisantant, vous voulez que je vous montre mon savoir-faire ?

Il ne sut que répondre et rougit légèrement. Il repartit en fin d’après-midi alors que les ombres menaçaient d’engloutir Paris. Trop tard pour  Pôle emploi. Le bonheur est devenu une valeur essentielle de notre société, disait l’article du Monde…

 

 

12 novembre 2018

Le Vieux Campeur

Il était étendu sur le lit et tournait les pages du catalogue du Vieux Campeur pendant qu’elle regardait son feuilleton quotidien à la télévision ; elle n’en ratait jamais aucun épisode.

Soudain elle cria.

-          Arrête de tourner les pages, tu m’énerves.

Il continua comme si de rien n’était, trop occupé par son prochain achat : une tente igloo qui supporterait des températures de moins 20 degrés pour sa randonnée du mois de juin.

-          Arrête avec ces pages je te dis !

Il leva les yeux de son catalogue et la regarda un instant. Elle était assise sur son fauteuil, la tête légèrement penchée, buvant les paroles de «  héros » sclérosés, interprétés par des acteurs au jeu navrant.  Il ne put s’empêcher de lui dire.

-          Je me demande comment tu  fais pour supporter cette daube tous les soirs ! Moi, ça me fait gerber, et pourtant, je n’ai pas fait d’études littéraires ! Toi, la randonnée, le camping, les grands espaces, la toundra, l’aventure avec un grand A… ça te passe au-dessus de la tête, tu préfères t’abrutir avec ce feuilleton à la con ! Parfois, je me demande pourquoi on vit ensemble !

Elle resta silencieuse. Elle n’allait pas gâcher la fin de son feuilleton pour lui dire son fait. Ses sarcasmes, elle allait les lui faire avaler un à un au moment de la publicité. Tiens, pour commencer, elle lui parlerait de la visite impromptue de sa « chère » mère cette après-midi. Quand il saurait  qu’elle avait l’intention d’arriver avec arme et bagages dès la semaine prochaine pour rester dans leur chambre d’ami, et ce, pour une période indéterminée, ça lui ferait un choc ! Sa toundra et sa steppe, il n’était pas prêt d’y mettre les pieds.

Par contre elle, elle ne se disait pas non à un petit voyage en solitaire, pourquoi pas en Italie ?

 

 

30 octobre 2018

La folle

Ecoutez, moi quand je vous ai embauchée, je ne m’attendais pas à ça ! Il va falloir revoir votre copie ! Vous avez bien caché votre jeu : un tailleur sympa, une coiffure sage, le vocabulaire branché juste ce qu’il faut, l’attitude positive façon US, le CV en béton, et tout ça pour ça. J’hallucine !  On est dans un truc complètement surréaliste, ça c’est clair.

Et qu’est-ce que je fais maintenant ? Vous avez pensé à moi ? C’est juste au moment où vous avez votre CDI que vous trouvez moyen de péter les plombs, non mais j’hallucine ! Vous trouvez que c’est normal de vous engueuler avec tout le monde et d’arriver avec un pot de fleurs sur la tête parce que c’est le premier jour du printemps ! Vous trouvez que c’est raisonnable de dire au chef de service que c’est un « connard de macho » - je cite vos mots. Vous trouvez que c’est banal de dire au patron que vous n’en avez « rien à battre » - je vous cite encore – des objectifs du directeur de l’innovation ? C’est clair que vous n’en avez rien à foutre – vous voyez vous me faites sortir de mes gonds – mais à cause de vous, je vais gicler et ça, c’est très clair aussi !

Vous me dites que vous êtes une « arracheuse de temps » et que vous voulez prendre du bon temps avec moi avant de tirer un trait sur l’entreprise ? C’est quoi encore que ces salades ? Je n’ai pas du tout envie de prendre du bon temps avec vous ! Je suis marié, père de famille, j’aime ma femme et vous ne me plaisez absolument pas. Ce que je veux c’est mon salaire à la fin du mois, atteindre les objectifs de l’entreprise et qu’on ne me fasse pas chier, c’est tout ! Bon, résumons, soit vous revoyez votre copie soit, si vous avez besoin de vous reposer un peu, vous vous faites interner. Quoi ? Vous avez déjà été internée à Sainte Anne ? Merde alors ! Pour pas grand-chose ? Ça c’est vous qui le dites ! Eh ben retournez-y à Sainte Anne, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. Vous n’aimez pas le service où vous étiez hospitalisée ?

 Ecoutez, je suis un type plutôt patient et accommodant, mais j’ai aussi mes limites et…. mais pourquoi vous… pourquoi vous m’attachez ? Bon si vous pensez que comme ça vous serez internée plus vite, allez-y après tout ! Mais pas de bâillon, hein, pas le bâillon sinon je deviens dingue, je vous en prie. Mais pourquoi vous m’arrachez mon pantalon ! Quoi ? Vous voulez me… Putain, vous êtes vraiment cinglée vous… mais bon, si vous y tenez, allez-y, après tout, qu’on en finisse !

 

PS : retour mardi 6 novembre.

25 octobre 2018

Duo d'octobre

Caro voulait bousculer nos habitudes lors de nos duos. Voici donc, ci-dessous,  la photo qu'elle propose. Après son texte, voici le mien.


Corinne

 

Les gobelets

 

Cette idée de soirée était d’une nullité crasse. Pourquoi se bourrer la gueule pour parler ou s’envoyer en l’air ? Elle a fini par lui dire le fond de sa pensée et il s’est emporté.

-          N’importe quoi !

-          N’importe quoi ?

-          Oui. T’es une petite bourge.

-          Moi, une bourge ?

-          Bien sûr. Une  cérébrale qui ne sait pas sortir de ses rails.

-          Mais tu te rends compte que cette fête c’est du vide ?

-          Toi qui sais tout, au lieu de tout foutre en l’air en permanence,  milite, change de vie, fonde un parti !

-          C’est ça. En tout cas, une chose est sûre, je ne resterai pas.

-          Parfait, aurevoir.

Elle a  placé les gobelets sur la table : rose et vert de droite et de gauche, bleu foncé et bleu clair au centre.

Risible. « Il devrait y avoir ça à toutes les soirées » disait l’affiche ; ça quoi ? a-t-elle crié.

Une fois le rangement accompli, elle  s’est habillée, elle lui a jeté un dernier regard - celui de l’exilée - puis elle est partie.

Dehors il faisait froid. Le vent soufflait et la pluie avait fait son apparition. Des parapluies s’ouvraient dans la nuit, et le bonheur traçait son chemin de vie, la vraie vie, la sienne, une vie où elle ne boirait plus dans de détestables gobelets en plastique !

 

PS : prochain texte le 31 octobre.

23 octobre 2018

Duo d'octobre

Caro voulait bousculer nos habitudes lors de nos duos. Voici donc, ci-dessous,  la photo qu'elle propose. Aujourd'hui vous lirez son texte. Le mien sera publié deux jours plus tard. Bonne lecture.


Corinne

C’est la fête.

 

 « Tu vois Clémence a organisé une fête. Oui une fête. Pour nous changer un peu des meetings politiques et des actions coup de poing. Alors ? »

Vick’ éteint son portable. Pas la peine d’attendre la réponse, on verra bien. C’est vrai que la bande n’a pas trop l’occasion de s’amuser. L’époque est à la lutte et à l’insoumission, à l’urgence à la veille de voir le monde connu se désagréger de plus en plus vite. L’amour, la reproduction de l’espèce, les lendemains heureux et chantants sonnent comme des idées pernicieuses, du temps gaspillé. Alors pourquoi Clémence, leur fer de lance, a-t-elle décidé de faire une fête… Vick’ lui a bien posé la question ; pas de non-dits entre eux telle est la règle. « Un pari, Vick’, un stupide pari avec Gérald mais si on gagne, on a de quoi financer les actions jusqu'à l’a fin de l’année. Tu sais que les scrupules et les atermoiements, je pense que c’est pour les faibles. » Elle lui avait confié cela en passant négligemment une main dans ses cheveux, en s’y attardant peut-être un peu trop. Gérald, bien sûr, ne pouvait qu’être le point de départ de cette idée aberrante, Gérald le frère de Clémence et pur produit d’une civilisation en cours de désintégration, argenté, séduisant, noceur, surfant à toute vitesse sur les jet-lags et les übers et collectionneur compulsif de cyber-aventures.

Vick’ consulte une dernière fois ses mails sur l’unique ordinateur de la colocation. Il faut encore ranger les tracts, relire le manifeste, vérifier que rien n’a été hacké. Ici même si la technologie est antédiluvienne, elle n’a pas pu être éradiquée totalement. Un ordi pour tous, une connexion, des téléphones basiques, pas de réseaux sociaux ni de petites annonces. La bande a investi cette barraque de banlieue parisienne il y a trois ans déjà. Spartiate et communautaire, la colocation est un peu rêche mais demeure un chez-soi.

Depuis 6 h ce matin, Clémence a barricadé la salle communautaire et la cuisine. Elle s’y est enfermée avec deux des membres de la bande pour d’étranges va-et-vient, des bruits de chaises et des fous rires. Et dans trois-quarts heure maintenant, les portes s’ouvriront pour les invités.

Vick’ regarde des orangés et des dorés, un bleu presque turquoise et des lumières de ville se diluer et s’étaler sur la fenêtre ; cette nuit la vitre froide du vélux rappellera que c’est l’hiver, tandis qu’ils danseront et boiront, baiseront peut-être. Ça fait combien de temps ? La lutte laisse peu de place à la tendresse. Vick’ range les tracts, il faut se saper, une douche froide et rapide mais une douche, trouver des fringues potables dans le placard, jeter le dernier regard dans le miroir. Un peu de luxe sur leurs peaux, une once de beauté déposé sur leurs existences.

Les planchers et les murs vibrent soudain, la sono martèlent un vieux Dead Purple. Les invités arrivent, Gérald est le premier. Clémence joue à l’hôtesse dans une petite robe noire qu’elle a dégotée, on peut se demander où. Vick’ s’approche derrière un groupe inconnu qui jettent leurs blousons sur le sofa du corridor. Déjà certains se sont jetés sur la piste de danse improvisée. Une boule à facettes brille de tous ses feux.

Vick’ aperçoit sur une table, parmi une floppée de bouteilles et de jarres de cocktails, les quatre couleurs des verres en plastique recyclable soigneusement alignés. Mettre un peu plus de gobelets c’est compliqué est une bonne idée. Une voix dans son dos l’interpelle : « Tu n’as pas soif ? De toute façon, on a toute la nuit et ici on peut changer plus facilement d’option que sur un site de rencontre. » Vick’ se retourne, Clémence éclate de rire tandis que Gérald se penche sur elle pour lui glisser un mot. Sur le visage de sa sœur, un sourire carnassier se dessine. Le beau gosse se redresse et sourit à la cantonade en s’emparant d’un verre mauve. Il avance vers les danseurs, la démarche assurée. Au fond de la salle, la porte s’ouvre sur de nouvelles têtes.

Vick’ s’avance au milieu de tous ces étrangers, un verre à la main. Dans son verre le premier Negroni, la nuit s’annonce longue tandis que les murs blancs se colorent de rose, de mauve, de turquoise et de vert.

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