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Presquevoix...
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27 juin 2016

Le départ

TEMPETEDes goélands affolés tournoyaient dans ses rêves diurnes et rien ne la consolait, pas même le sifflement de merles qui conversaient sur la branche de cerisier que, de son lit, elle pouvait entrevoir.

Elle se cognait à l’Impossible. La porte de l’avenir lui était fermée ; elle avait beau frapper chaque jour, personne,   jamais, ne répondait. Elle s’en retournait alors dans le couloir désert,  puis elle se  recouchait dans son lit de solitude.

Des voix persécutrices lui avaient laissé entendre qu’elle aurait dû  frapper à l’autre porte, la noire, celle qui indiquait « Inventaires », en lettres rouges.  Mais cette porte la terrifiait, elle préférait  s’abriter au cœur du déni.

Résignés, les goélands continuaient de tournoyer dans le ciel de son cerveau cotonneux,  emportant dans la folie de leurs mouvements circulaires une farandole de  souvenirs heureux. Un jour, quand la fatigue les gagnerait,  ils mourraient sur la grève, drapés du  linceul de leur vol absurde. 

 

PS : oeuvre de  Patricia 

 

 

23 juin 2016

La corde

20160523_114300Le nœud coulant avait certainement été placé sur son chemin par un Dieu bienveillant. Il lui suffisait de peu de choses, grimper sur ce qui pourrait faire office de support, placer sa tête au bon endroit et donner un coup de pied énergique pour envoyer balader ce sur quoi il était monté. 

S’il faisait le bilan de sa courte vie, la colonne « passif » débordait, alors que la colonne « actif » restait désespérément vide. Il y a deux jours, il aurait pu noter le nom de Béatrice dans la colonne « actif », mais elle était partie.

« Marre de toi, ne cherche surtout pas à me revoir. » avait-elle écrit sur une petite feuille rose qu’elle avait mis en évidence sur la table de la salle à manger.

Le simple fait de penser à Béatrice le fit sangloter. Tout à sa douleur, il n’avait pas vu une petite fille d’une huitaine d'années qui le regardait attentivement. En le voyant pleurer, elle s’approcha.

-          Ça va pas ?

Il la considéra avec stupeur. Il n’allait tout de même pas lui dire qu’il en avait marre au point de se suicider. Que répondre à une enfant ? Il n’avait pas l’habitude des enfants ; d’ailleurs, en général, il les fuyait.

Il décida de jouer la franchise.

-          Eh bien, comment te dire, j’ai du chagrin et je me demande bien comment je vais me sortir de tout ça.

-          Ton amoureuse t’a quitté ?

-          Tu as deviné. C’est ça, et ça fait mal.

La petite fille se risqua à ajouter une phrase d’encouragement.

-          Ben t’en trouveras une autre.

-          Tu crois ?

-          Forcément, tu as l’air gentil.

-          Merci de m’avoir consolé. Tu vois, ça va mieux.

-          Bon, alors à bientôt, conclut-elle en faisant un petit signe de la main.

-          A bientôt, dit-il en lui rendant son salut.

Cette petite fille n’imaginait certainement pas que ce « à bientôt » lui avait évité le pire…

 

PS : photo prise par moi-même dans le parc du lycée.

19 juin 2016

La gifle

20151213_101026La dernière fois que j’ai vu mon père, c’était le jour de mes dix ans, le jour où il a giflé ma mère parce qu’elle lui a dit que c’était  un enculé qui ne pensait qu’à bouffer son fric pour ses tiercés de merde.
Quand j’ai demandé à ma mère s’il reviendrait un jour, elle m’a juste répliqué.
- T’occupe pas de lui, on n’a pas besoin de ce salaud ! Et d’abord, c’est même pas ton père !
Seulement, hier, la sœur de ma mère m’a appris que ce « salaud », c’était bien mon père.  Quand j’en ai parlé à ma mère, elle a hurlé que j’étais un connard qui n’avait même pas la reconnaissance du ventre.
Moi aussi je l’ai giflée, j’étais à bout. J’ai pris mes clics et mes clacs et je suis parti. Elle a hurlé : « bon débarras ! »

Maintenant, je suis devant cette porte bleue, c’est là qu’il habite. Il suffit juste que je sonne et qu’il ouvre la porte…

PS : photo prise par GB

 

11 juin 2016

Le paradis

20160515_100240La rouille de la culpabilité rongeait chaque grain de sa peau et elle devait en finir. Qui était-elle finalement ?

Ce jour-là, elle avait mis sa robe mauve, à peine égayée par quelques touches de vert et un décolleté effronté.

Arrivée sur la place, elle s’est fondue dans la foule, sans peur, contrairement aux jours précédents. Dans son sac, la bombe, celle qu’elle devait déposer dans une poubelle, juste à l’entrée de la station de métro.

Cette fois-ci, sa main serait ferme car maintenant, elle était sûre que cet acte purificatoire lui ouvrirait les portes du paradis…

 

PS : photo prise par GB

7 juin 2016

L’erreur

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Il l’avait invitée au « train bleu » et elle avait accepté. Elle le connaissait à peine – Il s'étaient rencontrés la semaine passée dans le TGV  – et cette invitation lui semblait un peu prématurée.

Lorsqu’elle arriva, la décoration du restaurant  lui parut un peu chargée mais elle fut séduite par les lustres dont les dorures lui rappelaient des histoires de princesses. 

Rendez-vous avait été fixé à 20 heures, mais à 20 heures 15 elle l’attendait encore et, à force de lire le menu, elle le connaissait par coeur.

Il arriva à 20 h 20, sans s’excuser, mais avec une rose à la main. Maintenant qu’il était assis en face d’elle et qu'elle srutait son visage, elle le trouvait un peu vieux.

Les plats furent commandés,  le serveur apporta le champagne et la conversation s’engagea sur un terrain politique – il avait été bloqué par des grévistes qui manifestaient contre la loi travail.  Son discours était si droitier qu’il l’effraya.  Comment ne s’en était-elle pas aperçue durant son voyage en train ? Allait-elle digérer  son suprême de volaille de Gascogne rôti s’il votait FN ?

Par provocation, elle lui demanda s’il avait vu le documentaire « Comme des lions »

-          Comme des lions ? répéta-t-il incrédule.

-          Oui, un documentaire sur la bataille des ouvriers de Peugeot-Citroën contre la fermeture de leur usine d'Aulnay-sous-bois.

-          C’est vraiment le dernier film que j’irais voir.

-          Vous avez tort, il est toujours intéressant de voir l’autre versant des choses.

Il ne répondit rien et enchaîna sur les difficultés de son métier ; il était DRH chez Loréal. Elle l’écoutait tout en mâchant délicatement. La viande était exquise mais tiendrait-elle jusqu’au dessert ? Et que lui dirait-elle à la fin du repas ? Qu’il était inutile qu’ils se revoient car leurs idées étaient aussi différentes que le rouge et le noir ?

Au dessert – elle avait choisi un Duo de mousses de chocolat noir et noisette à la fleur de sel – elle décida de prendre les devants.

-          Vous savez, je crois que vous et moi… nous sommes bien loin.

-          Vous vous référez à nos âges ou à nos idées ? lui dit-il en souriant.

-          A nos idées, bien sûr. Il est donc vraisemblable que nous ne puissions pas, enfin, que…

-          Que nous ne soyons pas « compatibles », c’est ça ?

-          Exactement.

-          Vous croyez que vous allez quand même accepter que je vous offre votre repas ?

-          A vrai dire, il vaudrait mieux, je suis à sec et d’ailleurs, je vous rappelle que vous m’aviez invitée.

-          C’est vrai. J’aurais sans doute d’abord dû vous dire pour qui je votais, peut-être.

-          Alors ? Pour qui ?

-          Je vous laisse deviner.

Elle eut un moment d’hésitation et dit : « Marine Le Pen »

Il éclata d’un rire tonitruant.

-          C’est comme ça que vous me voyez ?

-          Oui, répondit-elle un peu gênée.

Il se leva de table et alla régler l’addition. Quand il revint, il lui dit simplement : « Vous êtes enfin libre ! »

Ils se séparèrent de façon courtoise. Lui prit le taxi, elle le métro, et l’un comme l’autre pensèrent à ce qui aurait pu être…

 

PS : photo prise dans le restaurant le "Train bleu" vendredi dernier.

2 juin 2016

Vivre...

20160523_102457Quand elle est passée devant les grilles du parc de son ancien  lycée, elle a cru voir un éléphant rose. Etait-ce les effets de l’alcool ? 

Elle avait commencé à boire cinq ans plus tôt, pour des raisons toutes aussi louables les unes que les autres : supporter son mari, ses enfants adolescents et une profession qui la minait. Aujourd’hui, toutes ces bonnes raisons avaient disparu - elle n’avait plus ni travail, ni mari, ni enfants – mais elle ne pouvait se décider à abandonner  ce breuvage auquel elle s’accrochait comme à un ami d’enfance. Pourtant, ne devait-elle pas convenir que la situation devenait préoccupante ? Si elle  buvait au point de voir un éléphant rose dans un parc, que verrait-elle ensuite ?

 

 PS : photo prise à l’extérieur du parc du lycée.

Le prochain texte paraîtra le dimanche 5 juin.

21 mai 2016

L’éventail

 

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« D’où il vient cet éventail, maman ? », lui demandait souvent son fils, intrigué par la présence de l’objet sur le buffet. Elle répondait toujours de façon évasive, mais il faudrait bien  lui dire un jour.

Pourquoi n’avait-elle pas jeté ce témoin de sa vie passée ? Elle aurait tout aussi bien pu le cacher au fond d’un coffre, au grenier, mais il était si délicat avec ses broderies noires que la lumière matinale caressait. Un ouvrage parfait. Il y a 15 ans, son partenaire de danse et amant lui avait dit : « C’était l’éventail de ma mère. Je te l’offre, comme on offre sa vie à la femme qu’on aime. »

Elle revoyait encore son visage anguleux et ses yeux noirs qui oscillaient parfois entre douceur et fureur. Le soir où elle était apparue sur scène avec sa robe noire ornée de deux fleurs de camélias qui donnaient à ses cheveux un éclat particulier, il avait tout de suite su qu’elle ne danserait pas pour lui, mais pour l’enfant, ce fils qu’il ne voulait pas mais qu’elle avait décidé de garder malgré lui.

« Aucune femme ne peut forcer un homme à être père ! », lui avait-il dit avant de claquer la porte de leur loge à la fin de leur dernier spectacle à Séville.

Jamais elle ne l’avait revu.

 

PS : éventail mis en scène par mes bons soins.

13 mai 2016

Le miroir brisé

 

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A la fin de repas bien arrosés, elle faisait un petit numéro que tout le monde connaissait par coeur : « Je suis un miroir brisé et chaque éclat manquant est une facette de moi que je cherche de par le monde. »

Ceux qui la voyaient pour la première fois la prenaient pour une folle, les autres attendaient avec impatience car ils savaient que les étapes suivantes seraient beaucoup plus exaltantes : elle se levait, montait sur la table, prenait des poses de nuages excentriques et racontaient de supposés épisodes de sa vie.

Elle faisait  preuve d’une imagination foisonnante et ses récits étaient dignes des contes les plus fous : elle pouvait être une princesse d’un harem  que son sultan de mari avait répudié ; une femme de guérillero livrée à la dictature par un compagnon jaloux ; un personnage de roman qu’un écrivain avait tenu à épouser mais qui voulait la renvoyer dans ses livres car elle l’avait trompé … que sais-je encore ? L’alcool débridait sa créativité et le public réclamait toujours d’autres histoires.

Jusqu’au soir où elle dépassa les limites autorisées par la bienséance. Après un repas trop arrosé, comme à son habitude, elle monta sur la table mais, brandissant deux énormes éclats de verre, elle annonça : « Aujourd’hui c’est fini, je sais que je ne recollerai plus jamais les morceaux. Alors je vais me tuer devant vous, sur cette scène. »

Elle joignit le geste à la parole et le sang coula  sur la nappe blanche. Elle ne dut son salut qu’à un interne en médecine, présent parmi les convives. Alors qu’il lui prodiguait les soins essentiels, il sut trouver les mots qui la ramenèrent à la vie : «  Je suis le prince chargé de réveiller la princesse endormie. Respirez calmement et le vent des désirs soufflera dans vos artères. »

 

PS : photo prise à Rouen en avril 2016

11 mai 2016

Le masque

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Il y a des jours où elle n’a qu’une envie, mettre son masque de mauvaise humeur, mais elle hésite,  toujours ce fond de « bonne éducation » qui l’empêche de montrer ses états d’âme.

Il n’y a eu qu’un jour, un seul, où elle s’est laissée aller, mais elle s’en mord encore les doigts, du fond de sa cellule 9B  de la prison de Fleury-Mérogis

3 mai 2016

Duo de mai

Duo de mai avec Caro du blog "les heures de coton". Comme point de départ, cette photo gentiment prêtée par Espiguette

Aujourd’hui je vous propose le texte de Caro.

 

 

                                         

39,8°                                                                                

espiguette

L‘épidémie de grippe est particulièrement virulente cette année. Alors, cloîtrée avec mes 39,8° de fièvre, je me suis mise à trier les vieilles photos. Des vieux polaroïds, des diapos laissées en héritage, des souvenirs entassés dans des cartons.

Je tombe sur cette photo, coincée dans les pages d’un album que je n’ai pas fini. À cet instant, je ressens la petite baisse de régime qui jalonne mes journées de malade depuis samedi dernier. Je me lève et pars m’allonger dans le sofa. Un peu de musique en fond. Je tiens la photo dans ma main.

Je l’ai prise en déménageant de Fontenay. Je m’en souviens parce qu’elle est en noir et blanc. Pour mes 32 ans, j’avais reçu un nouvel appareil-photo et j’avais décidé par pure fantaisie de ne plus utiliser la couleur pendant un temps indéfini. J’avais envie d’une autre atmosphère. Oui c’est bien ce jour-là. Loïc rageait parce qu’il pleuvait à verse. Finalement c’était mieux, j’ai été si heureuse dans cette maison que la quitter par beau temps m’aurait crevé le cœur.

Je ne sais pas pourquoi, je ne pense jamais à ces années-là, si souriantes. Un coup d’œil au passé et je me souviens distinctement de la maison, une bâtisse récemment construite que nous avions achetée à un couple en instance de divorce, d’un jardin encore jeune aux arbres déliés, d’une vigne légère reposant contre l’appentis. Je renoue sans peine avec un lieu biscornu, cerné par trois voisins, un bois, des champs et le mur d’un manoir en vieilles pierres blanches et mangé de lierre. Un îlot discrètement en retrait du village.

Je revois tout cela, et aussi cet indéfinissable sentiment d’insouciance et de légèreté. Une émotion qui n’était pas liée à une quelconque jeunesse ; jeune, je ne l’étais plus tout à fait, au sens on le proclame partout. Non, il s’agissait de ce frisson qui s’attache parfois à certaines années choisies, à la douceur qui les accompagne, l’amitié avec Mado, la jeunesse des enfants, un travail agréable. Et puis toi bien sûr, toi et cette folie qui nous avait embrasés.

Cette route que j’avais photographiée au moment de partir, cette lubie moquée par Loïc, je l’empruntais pour te retrouver. Et, entre tous ces moments partagés et remisés dans une mémoire muette, je me souviens l’avoir parcourue dans ma vieille bagnole, avec cette intensité que l’on ne connaît que quand on aime. Je vivais chaque instant avec une acuité si forte que je savais déjà qu’il ne me serait donné que peu de fois de ressentir cela à nouveau. Peut-être jamais.

Je me sens soudain moins fiévreuse, je me lève. Je glisse la photo dans un de mes livres de chevet, posé sur la table basse. Je n’ai pas eu de chagrin de partir, d’autres moments plus âpres allaient venir que j’ignorais alors. Je n’ai eu aucun regret de nous, notre histoire était finie presque depuis  un an déjà. Simplement, y repenser, effleurer à nouveau ces instants, par réflexe, par précaution, je m’y suis toujours refusée. Tu sais sans doute aussi que le présent envahit tout. Sauf cette photo, n’est-ce, qui me rappelle à voix basse, Ne pas oublier, ne pas me souvenir.

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