Pour ce Duo de février, Caro a choisi cette vidéo comme source d'inspiration. Aujourd' hui vous pouvez lire son texte. Le mien paraîtra samedi.
La loi des séries
Je clique sur le lien. « Le Charme Impénétrable Des Artistes Torturés », joli titre. C’est ma cousine Liane - sympa - qui me l’envoie. Tiens un autre message, de ma nièce Adèle. Oh ! Et mon oncle, un troisième copié-collé. C’est un complot, ma parole. Manquera bientôt plus que ma mère…
Une heure après, il ne manque plus ni ma mère, ni aucun autre membre de la famille. Voilà, il suffit que j’amène Nathanaël, chanteur en quête de gloire et vrai dépressif aux noces d’argent de ma grand-mère et c’est la révolution dans la famille. J’efface tous les messages. D’ailleurs, depuis, j’ai quitté Nathanaël pour le ténébreux Enzo qui hésite encore entre graffeur, rappeur et collectionneur d’idées noires. Avec un talent indéniable pour cette dernière occupation.
C’est vrai que je suis longtemps venue aux fêtes de famille aux côtés d’un spécimen bien sous tous rapports. Ça rassurait tout le monde, moi y compris, sur mes amours si brèves.
Je suis issue d’un arbre généalogique aux branches pourvus de mariages harmonieux, de rejetons plein de vie et de promesse d’achat de F3 bien agencé ou du tout neuf pavillon du lotissement des châtaigniers. Pendant longtemps, je n’ai pas voulu briser leurs cœurs de midinette. Cela aurait été pourtant facile de débiner le mythe du mariage et des vies sans histoire. II suffit d’un peu de vécu pour dézinguer tout cela : à coup de chaussettes qui traînent, de comptes bancaires aux découverts abyssaux, de flemme qui déborde des dimanches matin sur le reste de la semaine, d’aventure facebookienne, twitterienne avec des brunes inconnues à l’autre bout de l’Europe ou un tendre amour d’enfance qui réapparait, ou une inconnue, une collègue, la femme d’un copain. Dénoncer le syndrome d’une adolescence tardive et autocentrée, la face cachée du gendre idéal et ôter toutes leurs belles illusions, non, ce n’était pas moi. Par contre, ne plus en avoir, d’illusions, pour le coup c’était moi.
J’avais donc changé d’optique. Fini le défilé des BCBG, à moi les mecs névrosés. Là, c’est une autre affaire ; ils ne pensent essentiellement qu’à leur mal-être. Je n’étais pas emballée au départ mais je voulais me frotter à des âmes plus rugueuses, effleurer leurs vertiges et aller voir ce que l’interdit pouvait bien dissimuler.
Etonnamment j’apprécie. Parfois, je me blesse à un ego acéré. Mais je n’y fais pas attention ; mes nuits sont plus longues, l’ennui est devenu un luxe amusant. Leur besoin d’être aimé, de plaire les rend touchants, entreprenants, attentifs. J’ai parfois l’impression d’être le prolongement de leur personne dans l’attention qu’ils apportent à mes désirs. J’apprécie sans m’y attacher.
Tiens, encore un mail, ma parole, ils se sont donnés le mot dans la famille. Je repasse la vidéo, quand seconde 37 je mets sur pause. Ces mains sur la machine à écrire, je les connais !
C’est lui ! Assis dans un coin d’un café, il écrivait une phrase sur un carnet vert. J’ai poussé la porte par hasard, un bout d’heure à perdre à l’abri de la vie parisienne. Je l’ai vu, je me suis assise face à lui. On a échangé quelques phrases et il a déchiré en deux la page qu’il était en train de rédiger et a noté son nom et son numéro. Je jette un coup d’œil à mon agenda où j’ai glissé ses coordonnées ; j’ai noté de l’appeler samedi.
Je repense à ces mains, samedi c’est trop loin. Et puis, qui sait, si ça marche entre nous… peut-être viendra-t-il s’ennuyer avec moi à la communion de mon neveu. Il fera chaud, il paraît, le tralala familial s’étendra sur deux jours. Je logerai dans la chambre bleue, celle qui reste la mienne, qui est demeurée fraîche et tranquille, isolée ; nous y pourrions y conjuguer hardiment les heures tièdes de l’après-midi par exemple. L’appeler dans deux jours ? Non, pas dans deux jours.