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Presquevoix...

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1 février 2018

Le lavoir

Lavoir_Ille_sur_T_t_pour_Ghislaine

 Le jour où je suis retournée au lavoir, me sont revenus les rires et les confidences mêlées au rythme des battoirs. Les jours de lessive, le linge était frotté énergiquement et les esprits s’échauffaient au fur et à mesure que les bassines s'emplissaient de linge mouillé.

J’étais enfant, mais rien ne m’échappait, ni les peurs, ni les joies, ni les tristesses des unes et des autres. Jalousies, trahisons, colères, impuissances, désirs, tout était éventré puis lavé dans l’eau froide qui rougissait les mains de ces femmes dures à la tâche.

Parmi elles, Lydie était la plus pudique,  jamais un mot ne lui échappait, comme si elle avait peur que cette proximité ne pût se retourner contre elle.

Un beau jour, elle  avait été interdite de lavoir. On avait appris que son mari lui avait signifié que le linge sale se lavait en famille, et non  au lavoir, avec les femmes du village.

Aujourd’hui, le lavoir repose silencieux sous sa charpente en bois mais, si vous collez votre oreille au mur, vous saurez qu’il résonne encore de secrets que l’on croyait scellés dans la pierre…

 

PS1 : aquarelle gentiment prêtée par Chinou, dont les carnets de voyage sont de toute beauté.

PS2 : prochain texte le dimanche 4 février.

 

 

30 janvier 2018

L’Homme

L’Homme domestique mieux les animaux qu’il ne se domestique lui-même : pourquoi ?

28 janvier 2018

Duo de janvier

Suite de notre Duo de janvier. Toujours comme inducteur, cette photo que j’ai prise en octobre dernier sur le marché aux fleurs de Bruxelles.

Voici le texte de  Caro :

 

20171022_130350

 

Clash                                                                                                                                2018

 

J'ai gardé mon imper ; le printemps est frisquet. Les quais sont bondés : voitures jouant à touche-touche, deux-roues zigzagant entre deux taxis, un bus slovène qui semble chercher sa place. Et les passants. Quelque part derrière les bouquinistes et leur devanture pour touristes, la Seine. Le serveur vient de m’apporter un Blue Mountain. Ici, à l’Académie, le café infuse lentement. J’attends une poignée de secondes avant de goûter à son arôme de velours.

Autour de moi, la ville palpite toujours. Je viens à cette terrasse au hasard d’un ciel dégagé. Je m’installe, je commande toujours la même chose et j’observe les trajectoires de vie qui passent sur le trottoir, parfois s’arrêtent. Il m’arrive de retrouver dans cette agitation urbaine un reste de gouaille, une légèreté qui semble avoir fui la modernité.

Aujourd’hui au programme, il y a cet homme chez le fleuriste. Il charrie un hydrangea blanc dans son sac à dos et il hésite depuis vingt bonnes minutes entre le lot d’orchidées en promotion et un gros pot de pensées. Je viens de commander un second café quand il se retourne et s’approche de moi l’air furieux : « Ça va pas de me fixer comme ça ! Ça m’empêche de réfléchir. Qu’est-ce qui ne vous plaît pas ? Ma tête ou les hortensias ? »

Je ne sais pas pourquoi je lui réplique presque en chantonnant : « Mais le lilas, tu l'as appelé lilas / Lilas c'était tout à fait ça / Lilas ...lilas* » Le garçon de café arrive avec ma commande et regarde l’intrus bizarrement. Je lui souris pour le rassurer ; il hausse les épaules et repart. Il en a vu d’autres.

Le porteur d’hortensia n’a pas bougé d’un iota, pas plus que sa colère.

–        Un lilas n’importe quoi ! Y’en a pas ici. Vous imaginez mettre des lilas sur les balcons de cette ville.

–        Je n’ai pas de lilas sur mon minuscule balcon, juste deux rosiers anglais et des plantes aromatiques. Le lilas, c’est pour Prévert. Vous n’aimez pas Prévert ?

–        Qu’est-ce qu’il vient foutre là-dedans le poète ? Vous vous encastrer entre vos deux boules d’épines british et vous vous évadez du béton en fumant un poème ?

–        Non… Je m’encastre, comme vous le dîtes si joliment, dans le moment présent. Il faudrait essayer d'être heureux, ne serait-ce que pour donner l'exemple**. C’est ce que m’a rappelé une amie, il n’y a pas si longtemps.

–        Je vois…

Je ne sais pas ce qu’il voyait mais sa voix s’était imperceptiblement apaisée. Qu’allait-il faire ? S’asseoir et boire un café avec moi ? Ou partir avec son improbable fardeau ?

 

* extrait de Fleurs et couronnes – Paroles – Jacques Prévert

** Spectacle – Jacques Prévert

26 janvier 2018

Duo de janvier

Voici notre Duo de janvier. Comme inducteur à nos textes, cette photo que j’ai prise en octobre dernier sur le marché aux fleurs de Bruxelles.

Cette fois-ci, le Duo commence par mon texte. Celui de Caro sera publié le 28 janvier.

 

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Le cadeau d’anniversaire

 

 En réponse à sa question, elle lui avait dit.

-          Tu n’as qu’à m’acheter une plante !

Il était donc allé au marché aux fleurs et avait fait le plein de couleurs ; une palette où le vert était constellé de rose et de blanc.

Le choix s’était avéré difficile ; on n’achète pas n’importe quel cadeau pour les 70 ans de sa mère, surtout une mère comme la sienne.

Après deux heures d’errance, il avait opté pour un hortensia. Sa mère adorait ces fleurs qui bordaient champs et routes dans sa région d’origine.

Le jour J, quand il offrit sa plante lors d’un repas partagé dans la plus stricte intimité, elle asséna.

-          C’est gentil de m’avoir offert une plante, mais tu sais bien que je déteste les hortensias !

-          Mais pourtant tu m’as toujours dit…

-          Ce n’est pas grave, tu n’as qu’à la garder, elle se plaira chez toi.

-          Franchement, c’est idiot, je croyais…

-          Je croyais n’était qu’un niais, rétorqua-t-elle en guise de conclusion.

Il n’y avait plus rien à ajouter. Le repas fut expédié dans une atmosphère tendue et il partit plus tôt qu’à l’heure habituelle,  l’hortensia dans son sac à dos.

« Sans rancune ? »,  lui dit sa mère au moment du départ. « Sans rancune », réussit-il à répondre.

Il se promit que pour ses 71 ans, il ne lui offrirait rien du tout, mais serait-il capable de tenir sa promesse ?

 

 

24 janvier 2018

Le gâteau

A midi, quand j’ai sorti le gâteau du réfrigérateur, mon mari m’a dit : “ Tu vas en manger ? ”.

Je lui ai répondu : “ Ben oui, pourquoi ? ”

-          Tu as vu comment Michel l’a démoulé hier soir ?

 Je n’ai rien répliqué, mais il a enchaîné.

-          Il s’est léché les doigts à plusieurs reprises, tu ne l’as pas vu ?

-          Comment j’aurais pu ? Je n’étais pas dans la cuisine.

J’ai voulu lui dire de se taire, mais il a continué, comme s’il y prenait plaisir.

-          Tu as remarqué comment il s’est mouché pendant tout le repas ? Et il ne s’est même pas lavé les mains pour démouler le gâteau.

Je l’ai supplié de se taire, j’en avais presque la nausée. Je pensais au gâteau de marrons, nappé de chocolat chaud que, la veille, Michel avait  déposé sur la table avec un sourire satisfait. Je m’étais  tellement régalée que j’en avais même repris ; c’est pour ça qu’il me l’avait laissé.

Et maintenant, à cause de ses remarques, la consternation, l’écœurement, l’envie de vomir, là, tout de suite. 

J’ai ouvert la poubelle d’un geste brusque et j’y ai jeté le gâteau.

22 janvier 2018

Silence

 

chandelin

 

 

Il se souvient de l’escalier. Il le voit encore la nuit, dans des rêves qui deviennent cauchemars.

Il y a deux ans,  il descendait ces marches pour aller vers le ruisseau où il aimait à entendre l’eau murmurer des poèmes singuliers. C’est au pied du chêne qu’il avait vu Juliette. A son cou, une corde nouée. La branche choisie s’était cassée sous son poids.

Il avait pris Juliette dans ses bras et l’avait ramenée dans ce qu'il appelait "leur cocon".  Aux paroles  de réconfort s'étaient mêlées les larmes, mais Juliette, inerte, voulait oublier la vie.

Jamais elle n’avait mis de mots sur cet acte et lui, il avait laissé le silence s’installer.

Seulement, maintenant,  il y a  cette culpabilité, comme une mousse qui s’accroche aux marches de la vie…

 

PS : photo gentiment prêtée par « Chandelin »

 

20 janvier 2018

Le test

Avant qu’elle n’épouse son mari, sa future belle-mère lui avait fait passer le test du repassage. Elle n’avait fait aucun commentaire, mais le soir même elle disait à son fils.

-          Je me demande comment tu peux vouloir passer ta vie avec une fille pareille. Elle fait des faux plis partout.

Son fils ne lui avait pas répondu. Il ne répondait jamais à sa mère.

18 janvier 2018

La prière

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Il était allé prier Notre Dame de toute Tendresse, qui sait si cette prière aurait une influence sur sa femme ?

Avec elle, il avait usé toutes les stratégies et ce serait la dernière avant la solution finale qui, sans doute,  la rendrait heureuse.

Elle pourrait ainsi lui dresser un autel sur lequel elle tresserait son long chapelet de louanges.

 

PS : photo prise en Normandie

 

16 janvier 2018

les gens qui doutent

les gens_qui_doutent*

Il lui avait dit qu’il ne doutait de rien, jamais, et elle lui avait immédiatement répondu qu’alors, rien ne serait possible entre eux.

« C’est trop bête » insista-t-il, comme pour se faire pardonner son assurance. "Si je  dis que je ne doute de rien c’est bien sûr parce que je doute de tout."

Elle l’avait laissé dire, mais elle doutait de l’authenticité de son affirmation…

 

 *première strophe - chantée par moi-même -  d'une très belle  chanson d'Anne Sylvestre.

14 janvier 2018

Debby

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Elle était impudique, frivole et volage. Trois choses qui exaspéraient sa mère, mais il aimait Debby.

Debby, c’était une valse à trois temps et quand elle dansait nue dans son appartement, quand elle s’allongeait sur son lit ou quand elle l’embrassait en emprisonnant sa langue, il oubliait sa mère et son catéchisme. Il disait même : « Rien à faire de tes sermons : j’aime Debby ! »

Debby ce n’était pas un oiseau qu’on mettait en cage. Debby c’était une partition inachevée. Debby c’étaient des notes qui montaient au ciel.

Et puis un jour Debby est partie.

Quand elle a eu claqué la porte, il s’est mis au piano et a créé sa valse pour Debby…

 

PS : photo prise dans la ville du Havre. Cette sculpture est de Bernard Mougin.

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