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Presquevoix...

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5 août 2018

Les goélands

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En passant devant cette maison, elle a observé la façade, sorti son appareil, et s’est demandée qui avait eu cette  idée étrange.

Elle - qui jamais ne hurlait - détestait les goélands et leurs cris stridents.

-          Propriété privée ! a aussitôt crié une voix mâle alors qu’elle terminait ses photos.

Il était à la fenêtre. Polie, elle lui a répondu.

-          Monsieur, je ne suis pas chez vous que je sache, mais dehors.

-          Propriété privée ! a-t-il repété.

-          Si vous ne vouliez pas qu’on prenne de photos, il ne fallait pas mettre de goélands sur le mur !

-          Propriété privée !

Agacée, elle a lancé quatre cris stridents qui ont séduit les goélands qui volaient aux alentours.

Puis, remarquant que l’homme ne fermait toujours pas sa fenêtre, elle a ajouté, ironique.

-          N’oubliez pas de dire aux goélands que la propriété est privée !

-          Les goélands ne sont pas humains et je les emmerde.

-          Certes, a-t-elle ajouté, mais parfois les oiseaux sont plus humains que les humains eux-mêmes.

L’homme l’a regardé méchamment et sa dernière réponse l’a laissée bouche bée.

-          Vous vous prenez pour Dieu ou vous êtes cinglée ? Un petit tour à l’asile ça vous ferait du bien. Décidément, toute ma vie les femmes m’auront fait chier !

Juste après, « le sauvage »  a fermé la fenêtre qu’en temps ordinaire il ouvrait rarement.

 

PS : photo prise au Tréport en juillet 2018

3 août 2018

Le fleuve

Elle allait par les rues sous les lumières blafardes et, en son sein, elle portait la tristesse de celles qui ont perdu leur enfance.

Les lumières clignotaient aux façades des immeubles et elle marchait vers le fleuve où les eaux sombres l’appelaient.

Elle n’aurait qu’à nouer la corde à ses pieds et sauter. Elle avait déjà répété ces gestes maintes et maintes fois dans le terrain vague qui bordait le fleuve.

Arrivée près de l’eau elle entendit des pleurs et ne sut que faire. Un bébé peut-être ?

Elle finit par dénouer la corde et glissa vers l’endroit où les piliers du pont dressaient leur silhouette menaçante. Sur le sol il y avait un couffin. Dans le couffin, un  bébé minuscule s’agitait, emmitouflé dans une couverture claire. Elle le prit délicatement contre elle et  murmura en sanglotant.

-           Ne pleure plus bébé, ne pleure plus, on ne t’oubliera plus, je te le promets, ne pleure plus.

Le bébé cessa peu à peu de s’agiter et Marie lui sourit. Elle  regarda le fleuve une dernière fois, jeta la corde loin derrière elle et, le couffin dans les bras, elle marcha vers les lumières de la ville.

Ce  n’était plus l’heure de mourir.

1 août 2018

Trapèze

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Juste avant de faire l’amour avec elle, il lui avait dit qu’il s’appelait Trapèze Volant.

-          Prouve-le-moi, avait-elle aussitôt demandé.

-          Viens chez moi. Il n’y a que là que je pourrai te le prouver.

Le lendemain, elle éprouva un étrange malaise devant ce lieu qui était le sien et ressemblait à un cirque minuscule.

Malgré tout, elle l’appela à plusieurs reprises : « Trapèze, Trapèze, Trapèze ! »

Ce n’est pas lui qui surgit, mais une femme dont les cheveux étaient coiffés d’un étrange turban.

-          Trapèze n’est pas là.

-          Il va revenir ?

-          Il est parti au pays des hommes qui mentent, comme toujours.

-          Il ne s’appelle pas Trapèze ?

-          Le trapèze, c’est son métier. Lui il s’appelle Juan et je peux te dire que c’est un fieffé menteur.

Elle ne répondit rien et  partit aussitôt.

Pourquoi l’avait-elle cru ? Etait-elle amoureuse ou avait-elle pensé que le sexe était un oiseau de paradis dont le trapèze menait au septième ciel ?

 

PS : photo prise près de la faculté de Nanterre en avril 2018.

 

27 juillet 2018

L’accident

C’était la quinzième fois qu’il se rendait à l’hôpital pour voir sa mère, et les 100 kilomètres aller et retour qu’il devait parcourir en voiture l’épuisaient.

Tout en conduisant, il maugréait :

 « Quinzième fois qu’elle est  à l’hôpital, quinzième fois qu’elle ressuscite, et deux ans que je me pastille des vacances de merde ! »

C’est à ce moment-là, exactement, que sa voiture a heurté un poids-lourd. Et c’est ainsi qu’il s’est retrouvé dans le même hôpital que sa mère, dans un étage situé juste au-dessous du sien, et dans un état tout aussi catastrophique, bien que différent.

 

PS : prochain texte mercredi premier aout.

 

25 juillet 2018

Jack London ?

20180508_153115-1-1" Tout m’ennuie, je m'en vais ! ", c'est ce qu'elle leur avait dit avant son grand voyage en stop qui l'a conduite du Nord au Sud du pays.

Dans une ville étudiante, choisie par hasard, elle s'est assise sur le trottoir, non loin d'une librairie. C'est là qu'elle a commencé sa lecture de Martin Eden et c’est à 15 h qu'elle l'a rencontré, au moment où elle entamait le chapitre numéro quatre.

- Martin Eden, lui a-t-il dit  d'une voix  grave,  c’est mon nom !

Elle a observé ses yeux bleus, ses cheveux bruns et bouclés, puis elle a précisé.

-  Tu te moques de moi ?

- Non, c’est vrai, c’est mon nom, et j’adore Jack London, surtout ce livre. Viens avec moi.

- Où ?

- Dans un endroit où Martin Eden te lira Martin Eden : le jardin Botanique

C’est ainsi qu’ils se sont connus, ainsi qu’ils se sont aimés et ainsi qu’elle a commencé des études de littérature, elle qui détestait tant les études.

 

PS : photo prise à Cambridge au mois de mai 2018

23 juillet 2018

Désarroi

Il n’a rien fait pendant l’année, mais cette absence de travail date de plus loin encore. En fin de troisième on l’a orienté en seconde, pas de projet, et on ne voulait pas le garder au collège.

 Il est donc arrivé au lycée avec son paquetage d’élève presque mauvais à tout. Un jour, le professeur  principal lui a demandé de rester à la fin du cours pour une petite mise au point.

-          Qu’est-ce que tu veux faire plus tard Kevin ?

-          Je veux être gendarme.

-          Oui, mais pour être gendarme il faut étudier, avoir son bac.

-          Alors je serai chômeur.

-          Oui, mais pour être chômeur il faut déjà avoir travaillé.

-          Alors je me suiciderai.

Le professeur l’a  regardé ahuri. Il n'a pu trouver aucune réponse  pour que la vie de cet adolescent prenne un autre sens.

Il a dit au revoir à kevin puis  est reparti chez lui à vélo. C’est à trois kilomètres du lycée qu'il a fait une chute grave à vélo.

Résultat  :  un traumatisme crânien, des hématomes profonds, quatre semaines à l’hôpital, soixante séances chez l’orthophoniste et un arrêt maladie qui ne lui a jamais permis  de revoir Kevin.  

 

 

21 juillet 2018

Le père

Son fils le détestait, c’était aussi évident que deux et deux font quatre. Il y a un mois, il l’avait traité de “vieux con” et lui n’avait pas même protesté.

Depuis ce jour-là, d’ailleurs, il prenait soin de fermer la porte de sa chambre à clef, qui sait ce que les fils peuvent faire aux pères une fois les ténèbres installées ?

Lui-même, d’ailleurs, à quatorze ans, n’avait-il pas voulu tuer son père ?

 

19 juillet 2018

L’acteur

Cela faisait trente minutes qu'elle supportait ce spectacle avant-gardiste et elle était à bout de nerfs. Soudain, un spectateur du cinquième rang se leva et cria.

- C'est nul à chier ! Suivi par deux autres du quatrième et du troisième rang.

Contre toute attente, l'un des deux acteurs interrompit son texte, se tourna vers eux et cria.

-          Et moi, vous croyez que ça m'amuse de dire ce texte ? Maintenant si ça vous emmerde, vous pouvez sortir.

Puis, comme si de rien n'était, il reprit son dialogue avec son partenaire alors que des spectateurs commençaient à quitter la salle...

17 juillet 2018

L'alccolique

Il avait le visage rouge, la mèche grasse collée sur le front et le pantalon noir de crasse. Un alcoolique, pensa-t-elle, c’était sûr. Elle fouilla malgré tout dans son sac et lui donna ce qui traînait : un euro. Elle eut la vague sensation que c’était trop, mais elle n’allait pas chipoter tout de même.

Une heure plus tard, assise à la terrasse d’un café en train de lire son journal, elle le vit qui revenait vers le manège, titubant, la bouteille de mousseux à la main. Ah c’est trop fort se dit-elle, le toupet ! Ni une ni deux elle se leva.

-          C’est à ça que servent les euros qu’on vous donne ?

-          Ta gueule, répondit-il. J’ fais c’que j’veux d’mon argent !

-          Quand je pense que je vous donnais ça pour manger !

-          Tu m’fais chier avec ta morale à deux balles, tire-toi ou j’te casse la bouteille sur la tête !

Il conclut sa dernière réplique par un rot sonore et s’éloigna stoïquement du manège

 

15 juillet 2018

La campagne

Le lundi, la boucherie était fermée, alors parfois ils partaient à la campagne. Ce lundi-là, lui  contemplait le paysage et respirait la beauté des lieux alors que sa femme feuilletait Gala, assise sur son siège pliant en toile bleue et rouge.

Pendant un long moment il resta silencieux et son regard vogua sur l’onde paisible ; soudain, mû par une veine lyrique, il déclama presque exalté.

- Je suis l’eau, le ciel, le baiser bleu-vert de l’herbe couchée, l’arbre gorgé de sève...

-  Arrête tes sornettes, je lis ! répliqua sa femme agacée.

A chaque fois qu’il improvisait un poème,  elle l’humiliait. Comme si ça la dérangeait de voir que derrière son tablier de boucher et ses mains rouges-sang il y avait aussi un poète !

Il faudrait pourtant qu’elle s’y habitue : dans sa vie, la viande et la poésie occupaient la même place. 

Et si elle s’obstinait à ne voir que le boucher en lui, il ne faudrait pas qu’elle s’étonne si un jour, il lui plaçait la pointe de son couteau affûté  sous la gorge...

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