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Presquevoix...

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17 septembre 2018

La nuit du dragon

La nuit où j'ai volé sur le dos du dragon, la vie pour moi avait perdu ses couleurs les plus vives. Il y avait juste l’absence qui me dévorait les entrailles. Quand le dragon m’a dit « Viens ! », je n’ai pas hésité une seconde, même si je n’ignorais pas que les dragons n’existaient pas. C’était la première fois que je voyageais sur le dos d’un dragon. J’avais un peu peur mais je savais qu’il m’emmènerait hors de moi et je voulais me fuir à jamais.

Nous avons longtemps voyagé, traversé bien des pays, vu l’Alaska et la terre de feu, Le Colorado et le Kilimandjaro, parlé avec des eskimos et des Indiens navajos… puis un jour, j’ai voulu rentrer chez moi. Je croyais que j’étais enfin prête à me retrouver. Lui ne m’a rien dit, c’était un dragon discret, de ceux qui parlent peu mais qui voient tout.

Nous avons à nouveau traversé déserts et forêts, villes et campagnes et par une  nuit d’été, il m’a déposée devant la porte de chez moi. Rien n’avait changé, la maison avait toujours deux étages, deux pommiers en gardaient toujours l’entrée et il y avait encore le chien qui aboyait au moindre bruit. Avant de partir, il m’a embrassée, les baisers de dragon ont la douceur des nuits étoilées. Je me souviens que j’ai pleuré lorsque ses ailes ont disparu dans le ciel.

C’était il y a longtemps, tu vois… Je ne sais pas pourquoi je te raconte cette histoire, peut-être parce que tu es le premier à ne m’avoir jamais rien demandé.

 

15 septembre 2018

Siffler ?

Il lui avait dit.

- Ce soir, si tu siffles les premières notes de notre chanson,   ça voudra dire que tu m'aimes.

Elle n’avait pas sifflé et il était parti. Longtemps elle l’avait attendu, blottie dans le silence de ses rêves, flottant au gré d’une partition inachevée.

Quand elle le revit par hasard, quinze ans plus tard, le pas énervé et la voix tranchante, elle remercia le ciel  de ne lui avoir jamais appris à siffler.

 

13 septembre 2018

Monsieur Augustin

20180301_123149Elle voyait M. Augustin à 17 heures, tous les mardi, depuis deux ans. Il  lui disait bonjour le regard sombre, s'allongeait avec lenteur sur le divan, puis il restait silencieux pendant deux minutes.

La vie de Monsieur Augustin était d'une terrible morosité et ses répétitions permanentes la plongeait parfois dans un endormissement léger.  Quand allait-il en finir avec ses ressassements ?

Cette photo, elle l'a prise discrètement le mardi 11 septembre pour une étrange raison : Monsieur Augustin avait réussi à dire qu'un jour il tuerait sa mère pour que son père puisse enfin vivre tranquille. Sauf que son père était déjà  mort...

PS : photo prise à Caen, dans une jolie chambre d'hôtes.

11 septembre 2018

Fin programmée ?

Et si je ne rentrais pas ? Chaque année la même question, chaque année la même réponse, le même manège désenchanté, le même fiasco.

Evidemment elle était libre de ne pas rentrer. Il suffisait de prendre un billet de train au hasard et hop, le tour était joué.

Soudain la voix de son mari résonna dans leur maison pimpante du bord de mer.

-          Chérie, qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

Elle répondit.

-          Je n'en sais rien et je m’en moque complètement !

C’est à ce moment-là, précisément, que tout bascula.

Vous souhaiteriez sans doute savoir, lecteurs, où elle est aujourd’hui ? Mais comment le saurais-je ? Elle ne m’a rien dit.

Je sais simplement, qu’en cette fin d’après-midi, quelqu’un la vit disparaître dans la mer avec une valise à la main et ce fut la dernière fois où on l’aperçut.

De mauvaises langues racontent qu’elle s’est suicidée mais je sûre que non. Ce n’était pas son genre.

Je crois plutôt qu’elle a longtemps nagé pour chercher d’autres ports, des îles heureuses où les femmes caressent des hommes qui n’existent pas.

9 septembre 2018

La vie est-elle un étrange palais ?

Portugal avril 2011 047C'est là qu'il la séduite de son  regard simiesque. Depuis combien de siècles vit-elle dans le parc de cet étrange palais où le présent envahit le passé? Elle ne le sait même plus.

Ici, vivre  ne consiste en rien, sinon écouter les conversations d'êtres aux langues singulières qui pensent que la vie est faite de délicieuses photos dont ils ne connaissent pas même l’histoire…

 

 

PS : photo prise à Lisbonne, au "Palacio da Fronteira", il y a bien longtemps...

7 septembre 2018

Les comprimés

J’en ai assez d’avaler des comprimés pour aller mieux. Il faut que je m’oublie. Tous les matins, je  me réveille une demi-heure plus tôt pour les prendre : quatre boîtes, quatre comprimés, un ordre à respecter, et un comprimé à couper en deux. 

Hier matin, j’étais pressé – je n’avais pas fermé l’œil de la nuit parce que j’avais pensé à elle - et au lieu de couper mon comprimé en deux  je l’ai pris entier ; grossière erreur. Au bureau, je me suis endormi devant l’ordinateur et ma collègue Josiane n’a pas réussi à me réveiller avant 11 heures. Heureusement que le chef de service – un cinglé que j'ai toujours envie d'appeler Hilter – n’est pas entré à ce moment-là. Je n’ai pu me mettre au travail qu’à 12 h. A 13 h je descendais à la cantine pour en remonter à 14 h, et à 17 h, je repartais chez moi avec une migraine d’enfer. Une journée noire.

Une vie à bouffer du comprimé, ce n’est pas une vie, six mois que ça dure. Six mois que je n’arrive pas à avaler son départ. Elle a dû me porter la poisse. C’est bizarre la vie. Quand on vivait ensemble, c’est elle qui prenait des comprimés, il faut croire que la roue tourne. Maintenant,  elle est heureuse et  ne prend plus de comprimés, c’est tout au moins ce qu’elle m’a dit quand je l’ai rencontrée  dans l’ascenseur il y a quinze jours. Il faut dire que nous travaillons dans la même entreprise, mais pas au même étage, et avec des horaires décalés.

-         Comment tu vas ? M’a-t-elle dit pour dire quelque chose puisque nous étions condamnés à partager la même cage d’ascenseur.

-         Mal, lui ai-je répondu, et toi ?

-         Bien, je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie. Tu te rappelles tous ces comprimés que je prenais ? Eh bien depuis que je vis avec Paul, c’est fini ; avec lui je fais une cure de bonheur !

Je crois que je la déteste, mais ce n’est rien à côté de la haine que j’éprouve pour Paul, ce salaud qui se disait mon ami !

 

5 septembre 2018

Magritte ?

20150613_113244Il lui avait dit qu'il s'appelait Magritte mais elle n'en avait rien cru. Elle était persuadée que cet homme se présentait ainsi  parce qu'il souhaitait se moquer d'elle. N'était-elle pas qu'une simple caissière ?

Pourtant il avait insisté.

- Les affinités électives sont le portrait des amants qui n'ont pas de lunettes d'approche. Vous savez, je suis aussi "therapist"

Elle avait rougi, incapable de répondre quoi que ce soit à cet homme qui transformait la vie en une suite de représentations. Elle avait tout de même conclu.

- Monsieur, toute caissière que je suis, je suis clairvoyante, et je ne crois aucune de vos paroles. D'ailleurs, ma pureté en a surpris plus d'un.

A ce moment il avait souri, lui avait tendu l'un de ses étranges chapeaux et avait conclu.

- Jeune fille vous êtes un commentaire à vous toute seule et je vous aime, comme on aime l'art au fil des jours. Adieu jeune mystérieuse qui enchante les jours de ceux qui vous entourent.

Elle l'avait regardé partir le cœur en joie. La reconnaissance infinie n’est pas une illusion perdue…

 

PS : Magritte à travers quelques mots vus sur  deux présentations lues à la hâte

 

 

3 septembre 2018

Attente

Je vous parle comme à une amie, je ne vois pas beaucoup de monde, je suis seule, je regarde le monde vivre. Les vieux dérangent ; ils sentent la mort. Ils perdent la tête et laissent le corps prendre la place de l’esprit.

Je vous parle comme à une amie,  vos yeux surpris lisent la vieillesse de votre jeunesse. Vous ravalez votre orgueil, vous m’observez, vous déchargez votre jeune pitié compatissante, vous parlez lentement, vous prenez le temps, vous vous adaptez,  vous êtes mes yeux,  vous êtes mon esprit réincarné, vous êtes mes oreilles, vous êtes le temps retrouvé. 

Je vous laisse partir pourtant, vous avez votre vie mais votre absence m’est douleur ; plus d’ouïe, plus de vue, plus de goût, plus rien, juste le souvenir disparu, l’espace momifiée. La télévision branchée crache ses images sonores. Je n’ai plus de désirs, je suis fatiguée des souvenirs.

Je vous parle comme à une amie, mais je ne vous vois plus, je sens le fil se casser, je respire à peine surtout ne pas le couper…Je suis le blanc  aimé…

1 septembre 2018

Le poète

20160814_144510-1Il se disait poète et restait souvent assis le long du fleuve. Il y avait installé une chaise blanche où les goélands aimaient parfois se poser

C'est là que nous vivions, avait-il l'habitude de dire en souriant à ceux qui parfois l'accompagnaient.  Nous qui ? Lui demandait-on. Elle et moi, répondait-il. Elle me donnait des mots et moi je faisais des vers qui dessinaient de longs poèmes qu'elle chantait d'une voix grave.

Le jour où il a disparu, elle aurait eu 82 ans. Lui en avait 85, et il était temps pour lui de la retrouver.

PS : photo prise dans dans le port de Rouen en 2016

30 août 2018

Le maillot

 

-          Putain, t’as vu à quoi tu ressembles ?

J’étais nue dans la cabine d’essayage quand j’ai entendu la voix, on aurait dit ma mère, sauf qu’elle n’aurait pas dit « putain ». Je me suis rhabillée illico, j’ai laissé le maillot de bain noir à l’intérieur et je suis sortie en pleurs du magasin. Après je suis entrée dans la première boulangerie venue, j’ai acheté un pain au chocolat, un pain aux raisins, un chausson aux pommes, et j’ai tout bouffé : le stress.

Je suis complètement déglinguée ; mes hormones s’affolent, la graisse déborde, les plis s’accumulent. Je ressemble à un matelas pneumatique aux boudins mal dégonflés. Je me donne envie de vomir. Tiens, si je m’écoutais, je me dégueulerais sur le trottoir. Comment j’ai pu en arriver là ? Je crois que c’est à cause de lui. Quand il est parti j’ai bouffé, et voilà.

Il ne me supportait plus. Il faut dire que je le trouvais trop gros et que je ne me gênais pas pour le lui faire remarquer. Quand il ahanait sur moi au moment de l’amour, j’étouffais et j’avais l’impression que ça n’en finirait jamais. J’avais beau lui dire « Jean Pierre tu vas finir par y laisser ta peau ! ». Lui ne m’écoutait pas et continuait son affaire.

Un jour il en a eu marre et il m’a dit que je lui coupais tous ses effets. Au début, ça ne m’a pas gênée – il ne me faisait plus beaucoup d’effet  – mais après, il y a eu comme un vide.

Voilà, si je bouffe, c’est à cause du vide. Maintenant, il y a deux solutions : le régime ou le suicide...

 

 

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