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Presquevoix...

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16 décembre 2018

Se soumettre ou agir

Dans la famille on était subalterne de père en fils. Personne n’avait jamais failli à la règle, sauf lui.

-          Subalterne, jamais ! avait-il dit à son père.

-          Mais tu te prends pour qui ?

-          Un homme.

Son père était sorti de table en vociférant. Pas de dessert pour moi, avait-il dit, je ne mange pas avec des anarchistes. Et lui avait fini de manger avec sa mère qui était restée silencieuse.

Alors qu’elle débarrassait la table il lui avait demandé.

-          Toi aussi tu penses comme lui ?

-          Non. A vrai dire je déteste deux choses : mon patron et mon salaire, mais que faire ?

-          Résister. En tout cas, moi, je ne serai jamais un larbin.

Sa mère sourit tristement et conclut.

-          C’est vrai que l’on vit dans un monde inhumain. Tu as raison de ne pas accepter ça.

Il observa sa mère. Pouvait-elle, un seul instant, penser différemment de son mari ? Il ajouta.

-          Tu sais, les gilets jaunes, c’est notre force !

-          Je suis d’accord avec toi. Se soumettre de père en fils, cela mène à la catastrophe.

-          Pourquoi tu ne manifestes pas ?

Elle aurait voulu lui dire que oui, elle manifesterait bien sûr, mais elle ne pouvait pas encore agir, peut-être qu’un jour…

 

14 décembre 2018

Le malheur

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Il avait fait son malheur à 4 heures 37, exactement, et il en avait ressenti un plaisir indicible.

A 47 ans, faire le malheur qui lui tenait à cœur depuis longtemps ; un vrai  bonheur.

Evidemment, un malheur n’arrive jamais seul, surtout lorsqu’il a cette opiniâtreté, cette fièvre, cette force.

Maintenant, où qu’il allât, personne ne le reconnaissait, pourtant il avait la même voix, le même corps. Enfin, personne sauf une femme, Sybille, sa première et unique épouse dont il s’était séparé cinq ans plus tôt.

Elle seule savait que ce visage lacéré était le sien, et qu’il le conduisait sur le chemin de l’exil…

12 décembre 2018

La remise à nouveau

Voici  un texte créé par Mado et gballand.

Notre démarche : se lire, écrire, se relire, puis travailler à deux pour aboutir au texte final.

Il me reste à ajouter  que Sénèque nous a influencées à travers la citation suivante : « Quand je repense à tout ce que j'ai dit, j'envie les muets." 

 

La remise à nouveau

Je l’avoue, je me suis  sentie libérée  en claquant la porte. En prenant  les autres à témoin au début, toute tremblante, j’ai bien lu la surprise et la consternation autour de moi : « Quoi,  la transparente, celle  qu’on  n’entend jamais ! Elle a pété les plombs ? ».  Alors, je me suis enfermée dans ma bulle  et ça s’est acharné crescendo contre lui, comme dans une transe joyeuse, au son soudain fier de ma voix. Ça s’est déversé en déluge de… Je ne sais pas d’où m’est venu ce répertoire ! La plupart des mots, je ne les avais jamais  prononcés ;  ils ont fusé, comme entraînés depuis longtemps, fin prêts à l’assaut. Et c’est vrai,  ils se sont déchaînés sans pitié… Mais c’est pas ma faute !

 Avant  je me disais toujours que c’était ma faute. C’est bizarre de se voir changer de rythme. Il faut dire que j’ai longtemps vécu à l’intérieur de moi… et jamais je n’aurais voulu que les autres sachent comme se passait la vie à l’intérieur de moi. Lui non plus n’a jamais su. D’où l’erreur. Il n’a rien compris à mon nouvel opéra en un acte et maintenant, il me fuit, comme les autres. On n’aime pas les gens qui changent d’opéra, ça perturbe, ça contamine… enfin, c’est ce qu’ils doivent penser.  Mais, comme le disait ma grand-mère, une femme de tête : « Ma fille, il vaut mieux être seule que mal accompagnée. ». Et, de fait, je l’ai toujours connue seule ma grand-mère.

Je dois dire qu’elle n’avait  pas la langue dans sa poche. Ma mère non plus. C’est peut-être ce qui a fait décamper leurs hommes… Et  si c’était génétique, ce qui m’arrive ?  Il aurait dû réfléchir plutôt que de réagir aussi  bêtement ; mais quand même… quand je pense à tout ce que j’ai dit, j’envie les muets. Moi, je ne veux pas finir comme elles. Cent ans de solitude, c’est  trop lourd à penser. Et je ne me sens  pas l’âme à sublimer dans la méditation,  le lindy hop, ou le katajjaq ! Voilà pourquoi je suis là. Je voudrais me soigner.  Des mots qui écorchent et souillent le palais en infusant un relent fétide. On pourrait conclure un pacte…

J’espère que ce que je vous dis, ça ne vous fait pas peur. Vous, dans votre métier, vous avez l’habitude des pactes. Moi non, parce j’ai un métier où je ne vois que du bois : je suis ébéniste. J’assemble, je ponce, je vernis, plus facile  à faire avec le bois qu’avec les gens. Ma mère aussi était ébéniste, c’est peut-être pour ça que mon père est parti. Elle ne voyait plus que le bois… et mon père ne pouvait plus la voir en peinture. Moi, je ne vis pas le bois comme ma mère, ce que j’aime dans le bois, c’est l’essence… d’ailleurs l’essence du bois me fait plus d’effet que les sens de mon ami. Je sais que je vous dis des horreurs, mais j’en profite, je ne vous connais pas.

Vous, qui osez prétendre me connaître, vous devez savoir qu'il y a pire bougresse. Mais enfin,  regardez ce que vous avez fait de moi !  Une adaptée, une intégrée, une pensée presque  dominée  dont la seule respiration est la violence des mots  qui se cognent au silence ; et  étouffant sous  l’uniforme, une inadaptée  au  peu de sens ambiant, dont corps et âme ne trouvent repos qu'au contact des arbres.
Alors, maintenant, on ne joue plus,  écoutez-moi  bien : je suis revenue pour exiger mon dû, avec obligation de résultat cette fois. Faîtes-moi renaître! Qu'on oublie tout, moi, mon engeance, lui ;  jusqu’à vous-même, définitivement. Et arrêtez de bouger ! Vous ne serez pas libre avant de m’avoir reprise à zéro. Ce que je veux, c'est mon  intégrité, ma dignité. Pour enfin m'éclater en tous sens  avec mon prochain. Vous le savez qu’au fond, j’aime les  gens. Signez ! En échange, devinez- quoi ? Vous aurez l’honneur d’être mon cobaye !

10 décembre 2018

Mensonges

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Une phrase écrite en anglais et qui, traduite, donnerait :

"Les gens ne changent pas, ils ne trouvent que de nouvelles façons de vous mentir"

Hélas, tout un chacun sait que les gens - ici je pense particulièrement aux hommes qui nous gouvernent et nous ont gouvernés -   commettent nombre de mensonges et d'atrocités, qu'ils les oublient et qu'ils les recommencent...

 

8 décembre 2018

Le paradis

Elle l’avait rencontré  sur le pont qui dominait la voie ferrée, juste après la manifestation qui avait tourné à l’émeute. Il lui avait demandé du feu, juste ça. Elle lui en avait donné et  il était resté immobile à ses côtés, à regarder les voies en tirant sur sa cigarette. Ni l’un ni l’autre ne parlaient ; elle parce qu’elle avait eu peur des échauffourées et lui par timidité. Soudain, en pointant la voie ferrée, il avait dit : « C’est ça le chemin pour le paradis ! »

Elle avait souri et lui avait répondu.

-          Mais d’où tu sors toi ? Les rues s’enflamment et tu nous parles de paradis ?

De sa poche il avait sorti un livre qui s’intitulait  « Le paradis d’en bas » et, les yeux embués de larmes il  avait conclu : « Moi, je cherche celui d’en haut. ».

Elle avait presque eu envie de rire, mais peut-on rire des gens qui sont perdus ?

6 décembre 2018

Les amies

 

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-          Tu ne crois pas qu'il a l'air fou, ce type à moitié nu ?

Sophie me posait la même question à chaque fois qu’elle voyait une statue qui aurait pu représenter un homme.

Je ne sais pas à qui lui faisait penser celle-ci ? A Jérôme peut-être. Mais la statue avait l’air bien plus effrayante que Jérôme. Certes Jérôme était un tantinet   pervers, mais jamais elle ne l’avait vu dans cet état de transe. Par contre, il avait une barbe et, étrangement, il aimait à sortir nu de sa chambre, surtout lorsque des amies de Sophie dormaient chez eux.

Pauvre Sophie, elle avait connu tellement d’hommes cinglés ! Elle finit par lui dire.

-          Tu ne crois pas  que parfois il vaudrait mieux changer de style ? Pour les hommes je veux dire.

Sophie l’observa froidement et répondit.

-          Parce que tu crois peut-être que ton dernier Apollon sort de la cuisse de Jupiter ?

-          Non, mais tout de même.

-          Tout de même quoi ? Moi, en tout cas, je le trouve chiant au possible ton mec.

Isabelle se tut, jeta un dernier coup d’œil à la statue et conclut.

-          Disons que nous n’avons pas les mêmes goûts Sophie, et heureusement.

Isabelle prit une photo de la statue ; elle lui servirait à écrire un texte qui s’intitulerait « la métamorphose », peut-être qu'après…

 

PS : photo prise à Sintra, ville située non loin de Lisbonne.

 

4 décembre 2018

Duo de décembre

Pour ce duo de décembre avec Caro, du blog " les heures de coton ", nous utiliserons comme nous le souhaitons cette citation de Annie Ernaux - « Ce récit serait donc celui d’une traversée périlleuse… » extraite de « Mémoire de fille ».

Aujourd'hui, voici mon texte :

 

Le récit

Ce récit serait donc celui d’une traversée périlleuse.  Non en bateau – je déteste les bateaux même si, parfois, je les invente – mais à pied, en France. Je n’aurais qu’un sac à dos léger, dans lequel je mettrais un livre – celui  de « l’intranquillité »   - et un carnet où je noterais des phrases, longues ou courtes.

Dans ce récit, le péril reposerait non sur les mots mais sur l’interprétation que je pourrais en faire.

Lors de ma traversée, une même question serait posée chaque jour à un homme. Pourquoi un homme me direz-vous ? Sans doute parce que je préfère imaginer qu’ils sont ce que je ne suis pas.

La question posée serait la suivante : Vivre pour vous, c’est quoi ?

Avec ces réponses, je pourrais voguer sur l’océan de leur âme où d’étranges oiseaux poursuivraient leur voyage.

Puis un jour, sur mon chemin,  je rencontrerais celui dont la traversée s’est faite sans sac, sans peur, sans ombres. Je lui poserais la même question qu’aux autres et il m’inviterait à m’asseoir dans un grand jardin où nous finirions par nous connaître…

 

 

 

 

2 décembre 2018

Duo de décembre

Pour ce duo de décembre avec Caro, du blog " les heures de coton ", nous utiliserons comme nous le souhaitons cette citation de Annie Ernaux - « Ce récit serait donc celui d’une traversée périlleuse… » extraite de « Mémoire de fille ».

Voici aujourd'hui le texte de Caro, le mien sera mis en ligne mardi prochain.

 

Quelque part en Italie

« Ce fils de chienne » Ma mère s’interrompit en me voyant derrière elle. Elle reprit d’un ton qui se voulait plus calme. « Ce fils de… a franchi le Rubicon cette fois-ci. » Je la regardais par en dessous. J’étais saisie par la force avec laquelle elle avait prononcé cette dernière expression, si incongrue dans sa bouche. Ses yeux brillants, ses pommettes rouges… tout indiquait chez elle un état de colère que je ne lui avais jamais connu.

« Franchir le Rubicon » Cette expression devait venir tout droit de l’enfance maternelle, quand ma mère était encore une de Saint Mars. Enfin de l’enfance, ma mère n’avait pas conservé grand-chose. Pas par rébellion. Elle était, disons, plutôt une erreur génétique dans sa lignée de comtes et comtesses. Sa multitude de frères et sœurs étaient les copies conformes des ancêtres accrochés aux hauts murs du château de Saint Mars : blonds, éthérés, regard clair et port altier.

Ma mère, elle, trimbalait négligemment ses quasi cent kilos et son mètre quatre-vingt-quatre. Elle arborait une longue chevelure brune bouclée aux accents roux. Ses cuisses épaisses étaient sanglées dans un jean ou un cuir noir quand elle sortait. Ou comme aujourd’hui elle mouvait avait aisance son immense carcasse revêtue d’une tenue de chantier. Des bras puissants, des mains comme des battoirs, rugueuses et jamais immobiles m’emportaient au ciel depuis que j’étais petite fille.

Ma mère était une géante. Et qui présentement cherchait à exprimer avec cette citation originaire de… quelque part en Italie, tout le dégoût voire un début de haine envers mon géniteur, accessoirement son mari, « ce fils de… », chic et parvenu. Responsable depuis peu de Saint-Joseph, ensemble scolaire catholique réputé, il ne cachait plus derrière sa cravate et son impeccable costume, sa nature de séducteur impénitent. Le pire dans tout cette mauvaise vie affichée était son égoïsme fini et sa radinerie.

Le Rubicon, c’était donc la guerre. L’étincelle qui causait tout ce tumulte s’agitait au bout des doigts maternels : deux billets blancs, presque innocents, deux voyages en Simplon pour Venise, le seul rêve jamais formulé de ce couple bancal. Sauf que, si le passager était bien mon père, la passagère s’appelait Louise Maruel, inconnue au bataillon.

Ma mère chaussa ses gros godillots, s’approcha de moi de son pas pesant pour m’embrasser sur le front. La porte d’entrée faillit se fracasser quand elle la claqua derrière elle. Elle allait au turbin, il était 7h10 et elle était déjà en retard. Mon père assistait depuis le début de la semaine à un colloque au collège des Bernardins. J’avais seize ans dans quelques mois et pour la première fois je devais franchir un carrefour inquiétant de ma vie. La séparation qui s’annonçait promettait d’être une guerre de tranchée où j’étais à coup sûr la plus exposée. J’eus alors la très nette sensation que la vie tenait plus d’une traversée périlleuse, que l’on franchisse le Rubicon ou que l’on tourne le dos à un château peuplé de meubles marquetées et de vaisselles aux armes de la famille, et de vieux secrets rances, qu’à une histoire de Dora l’exploratrice.  J’attrapai mon sac de cours, je jetais un coup d’œil au miroir de l’entrée. Une grande brune à la crinière indisciplinée m’observait ; j’étais le portrait craché de ma géante, version gamine. Je ne doutais pas qu’il me faudrait choisir dès cette semaine l’un ou l’autre de mes parents, basiquement le confort et la sécurité d’un côté, l’aléatoire et le volcanique de l’autre. Que mon choix de l’un m’aliènerait l’autre, en tout cas pour longtemps.

Je fermais soigneusement le verrou de l’entrée à double-tour et me dirigeais vers le boulevard Clémenceau. Je dus attendre un bon moment car les feux étaient en panne et les conducteurs ne voyaient assurément pas les piétons qui s’agglutinaient sur les trottoirs. La déviation n’avait pas encore pris fin et un flot de véhicules et de poids-lourds se déversait sur le macadam. Au moment où je traversais entre deux 32 tonnes, je crus entendre la voix de ma géante. « Une fois que tu as posé le pied et bien regardé à droite, à gauche, vas-y avance. Ne reste pas comme une idiote au milieu du trafic, là c’est une connerie.  C’est comme pour tout, jamais regarder en arrière, bien soupeser le pour le contre et… alea jacta est. »

30 novembre 2018

Le lien

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C’est sur les quais qu’elle l’avait rencontré la première fois. Il était assis, immobile, les yeux fixés sur le fleuve ; c’est ainsi qu’elle l’a vu pendant un mois, sans jamais lui adresser la parole, jusqu’au jour où il s’est tourné vers elle.

Son visage l’a troublée ; un visage qui ressemblait à un champ de bataille pouvait-il parler ? Elle s’est contentée d’un sourire et lui, d’un regard.

Des années durant ils se sont vus longuement, ici ou là. Sa voix, elle ne l’a jamais connue, seuls son regard et ses mains parlaient – jusqu’au jour où ses yeux se sont fermés pour le dernier voyage.

28 novembre 2018

le piano

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Chers voisins,

 

Je me permets de vous envoyer ce courrier car, entre le 24 et le 25 novembre,  j’ai passé une nuit épouvantable. Je dois dire que votre pratique du piano, de minuit à 3 heures du matin, m’a « percé » les tympans.

Au cas où vous l’auriez oublié, nous sommes en mitoyenneté. J’entends donc  ce qui se passe chez vous - sauf vos conversations, n’ayez crainte.

J’espère que dans les jours, mois et années à venir, vous aurez l’extrême obligeance de mettre la pédale douce après 22 heures. Soyez sûrs que cela ne diminuera aucunement vos progrès dans la pratique de l’instrument.

Je vous souhaite une excellente semaine. Sachez que la mienne commence de façon douloureuse car une migraine sévère me vrille le cerveau  ;  serait-ce dû à ce « concert » nocturne ?

 

Votre voisine,

 GB

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