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Presquevoix...

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7 janvier 2019

Le Christ

Après le texte de Mado, voici le mien, écrit à partir de la même photo, prise par Mado en été 2018 , dans un village gascon. 

 

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Le Christ

 

En voyant sa position, j’ai tout de suite compris pourquoi il était arrivé en retard à notre rendez-vous : cet idiot se prenait pour le Christ. Sans doute parce qu’il s’appelait Christian, allez savoir ?

 D’abord, j’ai essayé de lui dire qu’une telle tenue me paraissait déplacée, mais il ne m’a pas écoutée. J’ai aussitôt ajouté  que garder les bras en croix, dans cette étrange position, ne pouvait en aucune façon le mettre sur le droit chemin. C’est à ce moment exact qu’il m’a signalé qu’il avait une mission.

-          Te prendrais-tu pour le messie ? Ai-je demandé.

Il n’a jamais voulu répondre à ma question et c’est pour cette raison que je l’ai quitté.

Certes, mon attitude vous semblera rigide, mais peut-on passer sa vie avec un homme qui se prend pour le sauveur de l’humanité ?

Pour être sincère, je dois vous avouer que je n’attendais pour compagnon qu’un être « normal »,tout simplement, non un être qui prenait sa mère pour la vierge Marie.

A l’époque – et aujourd’hui il en est de même - je n’attendais ni rédemption ni résurrection.  Je préférais marcher seule sur le chemin avec comme unique volonté celle de me connaître moi-même. N’est-ce d’ailleurs pas une folie que de vouloir conduire les autres sur un seul chemin, le sien ?

Je dois dire qu’une semaine après cette rencontre étrange, Christian m’avait envoyé un extrait de l’évangile dans une enveloppe de la couleur du ciel.

Je ne me souviens que d’une phrase pour l’avoir  notée dans mon agenda :

«Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »

Quand j’ai revu Christian par hasard, vingt ans plus tard, je n’ai pu m’empêcher d’être triste. Il faisait la manche devant un distributeur automatique dans une tenue non plus christique mais d’une saleté repoussante.  Son chemin avait dû le conduire dans les ténèbres, car ses rides lui donnaient le visage d’un homme de soixante-dix ans alors qu’il n’en avait que cinquante.

J’ai cherché un billet de vingt euros que j’ai placé dans sa sébile et je l’ai salué. Il ne m’a semble-t-il pas reconnue.  Merci ma sœur, m’a-t-il dit, Dieu vous le rendra un jour, le seigneur est juste et bon.

 Je n’ai pas osé lui dire qu’un jour, il avait été mon amant, et je n’ai pas non plus osé lui dire qu’il n’était pas le Christ…

5 janvier 2019

Sur quel pied danser...

Mado – dont vous ne pouvez pas voir le blog car il n'existe pas  -  fera de temps en temps trois petits pas sur Presquevoix ; parfois seule, ou en duo avec moi. Cette fois, il s’agit d’un duo où nous nous sommes inspirées de l''une de ses photos  prise en été 2018, dans un village gascon. 

Aujourd’hui, vous pouvez lire son texte. Le mien sera publié dans deux jours.

 

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Sur quel pied danser...

 

Dans son journal, Nijinski appelait de tous ses vœux  un « dieu qui danse ». Il était mort trop précocement pour savoir  qu’un jour il serait exaucé, enfin presque. Bien lui en fut fait en somme, car  une âme si éprise d’absolu eût certainement  été un peu déçue.

Quelques décennies plus tard, Alexandre le fut aussi. Ce soir-là, comme d’ordinaire, il s’était bien torché au bal du village et  levant haut la jambe  il avait, devant son public depuis longtemps acquis,  paraphrasé le génie bondissant. Bien à son insu, le pauvre !  Lui qui avait seulement retenu de ses quelques années de  Primaire trois compagnons  de beuverie !  A l’extinction des feux, le trio ne s’était pas senti  d’aller plus loin que les cyprès du cimetière pour cuver sa piquette. De concert ils s’étaient soulagés d’urgence sur le muret d’enceinte, et c’est là qu’ils étaient tombés nez à nez avec lui, qui se déhanchait  sur sa croix de pierre. Ils n’en croyaient pas leurs yeux :

(Note : l’échange  ci-dessous se lit avec l’accent)

-          Putain  (on le sait, le Gascon est  un précurseur linguistique) ! Putain ! Hé bé, lui aussi a pété un boulon ! Et pas si brave le père pour s’y frotter, qu’il  en a envoyé le fils !

-          Moi, j’ai toujours pensé que c’était un déséquilibré ce type, renchérit Antoine.

-          En tous cas, con, sa rockégraphie ne vaut pas un clou ! conclut Arthur en connaisseur. 

Seul  Antonin s’était tu. Ses yeux vaguaient par les coteaux  baignés de lune, caressant  cette Terre  qu’alentour  il trouvait si jolie.

-          Si tu veux y rester plus longtemps, parvint-il à  philosopher à part soi, il faudrait peut-être que tu arrêtes la rouquine… 

Et s’adressant en silence au danseur qui ne cessait de dodiner et lui donnait  le tournis, il en  fit serment au père si puissant : dès demain, il freinerait la rouilleuse...

3 janvier 2019

Le rayon surgelé

On était au rayon surgelé du supermarché et elle m’avait demandé où je partais pendant mes vacances de février ; je lui avais répondu simplement.

-          En Angleterre.

C’est à ce moment-là qu’elle m’a servi sa diatribe sur l’Angleterre et les Anglais.

-          Comment ? Me dis pas que tu vas filer du fric à ces égoïstes qui  se retranchent dans leur Brexit et qui  sont même pas capables d’aligner deux mots en français ! Ya pas pire qu’un anglais ! Enfin si, deux anglais !

Et en plus, elle se trouvait drôle. Je savais que, deux ans plus tôt, elle s’était séparée de son mari qui était anglais. J’imagine qu’elle lui en voulait encore et que l’Angleterre servait à épancher sa poche d’humeur maritale. J’ai voulu passer au rayon « produits frais », mais elle  a bloqué mon chariot de son corps et a rajouté.

-          Et tu sais qu’en plus ils baisent mal les Anglais ?

J’ai rétorqué, gênée.

-          Mais, mais … j’y vais pour faire du tourisme !

-          Je me doute, a-t-elle répliqué, mais si l’envie te prenait, je te les déconseille vivement.

A ce moment-là, j’ai empoigné fermement mon chariot  et j’ai commencé à faire mine de partir, mais elle n’avait pas fini.

-          Tu sais que j’ai été mariée à un Anglais ?

-          Oui, bien sûr, puisque vous étiez venus manger à la maison tous les deux.

-          C’est pour ça que je peux en parler en connaissance de cause ! Il n’y a pas de peuple plus autiste et plus coincé que les Anglais. Et puis leurs hôtels ! Leurs hôtels c’est de la merde, sans parler de leurs transports en commun !

La situation devenait on ne peut plus embarrassante ; elle parlait de plus en plus fort en faisant de grands moulinets avec ses bras. J’ai soudain trouvé une porte de sortie.

-          Tu sais que je vais me remarier ?

-          Non, je l’ignorais. Et avec qui ?

-          Avec un anglais !

J’ai vu son corps se ratatiner et son visage se décomposer ; j’en ai profité pour battre en retraite !

 

1 janvier 2019

Les pingouins

20181220_142316Elle lui avait raconté son repas du nouvel an avec des pingouins. « Pas si  facile que ça au départ », avait-elle ajouté.

- Ne me dis pas que tu as passé ton réveillon avec des pingouins ? A  immédiatement répliqué son amie. Décidément, tu es folle. Vraiment n’importe quoi !

Elle l'a immédiatement rassuré en lui disant qu'on pouvait être pingouin et avoir bon goût.

- Par exemple ? Insista son amie

- Eh bien ils sont tous tombés amoureux de moi.

- Tu ne crois pas que tu vas un peu loin ?

- Pas du tout, à quarante ans, on se satisfait de ce qu’on trouve !

Ce qu'elle avait évité de dire à son amie, c'est que les pingouins en question avait fait le repas et que, pendant toute la soirée, il lui avait joué une musique merveilleuse. Sans parler des cadeaux qu’ils lui avaient  donnés et du reste...

Mais peut-on  dire toute la vérité rien que la vérité  sur les pingouins à une personne si bornée ?

 

PS : photo prise à Rouen, non loin du musée des Beaux-Arts

30 décembre 2018

Dans quel bateau voguez-vous ?

"Nous sommes tous des bateaux solitaires voguant sur une mer sombre. Nous voyons les lumières des autres bateaux que nous ne pouvons pas atteindre mais dont la présence et la similitude nous apportent beaucoup de réconfort."

Extrait de l'excellent livre d'Irvin Yalom, Thérapies existentielles

Je vous souhaite, avec une petite avance, une agréable fête de fin d'année.

28 décembre 2018

Le dernier plan suicide

J’ai au moins douze plans pour me suicider*. Vous ne me croyez pas ? Vous avez tort. Pour l’instant je n’en ai parlé à personne. Pour une simple raison : il suffit que vous parliez de votre envie de vous suicider pour que tout le monde vous dise que la vie vaut la peine d’être vécue. Foutaise ! La vie ne vaut la peine de rien du tout et ils le savent bien, c’est pour ça qu’ils clament le contraire.

 Le jour où j’ai trouvé mon douxième plan-suicide, je n’en croyais pas mes yeux, j’étais arrivé à la perfection. Je préfère ne pas vous énoncer mon plan, par précaution. Les pilleurs courent la toile, vous le savez comme moi.

 Je peux juste vous dire une chose :  je passerai bientôt à l’acte, non pas le 31 décembre, mais peut-être le premier janvier. Il me reste simplement  à parfaire ma mise en scène, c'est important pour moi.

 Je ne sais pas qui me trouvera. Ce ne seront pas mes enfants, je n’en ai pas ; ni ma femme, je vis seul ; ni ma mère, elle est morte ; ni mon père, il ne m’a jamais reconnu ; ni mes amis, je ne m’en connais aucun ; ni mes collègues de travail, je suis au chômage. Peu importe, mais celui ou celle qui me trouvera ne m’oubliera jamais, j’en suis sûr ; et c’est pour moi une bénédiction.

 

* phrase de Benjamin Vautier

26 décembre 2018

La mâchoire

On était en période d’examens blancs et elle avait surveillé trois épreuves. Elle s’était tellement ennuyée dans cette salle où trente élèves suaient sur leur épreuve de philosophie, qu’elle avait baillé à plusieurs reprises. Résultat : elle s’était décroché la mâchoire.

Comme elle vivait seule, elle s’était résignée à la remettre elle-même en place mais, la mâchoire inférieure s’était mal emboîtée et il lui avait fallu aller aux urgences.

Là-bas, le médecin - un vieil homme au seuil de la retraite – n’avait pas voulu y toucher : « Je suis trop vieux. Allez voir un spécialiste : tenez, voici son numéro de téléphone. »

Elle aurait voulu le mordre, l’imbécile, mais ses mâchoires n’étaient plus en état.

Elle prit un rendez-vous – heureusement rapide - chez le fameux spécialiste.

A 8.30, elle entra dans la salle d’attente. Le médecin arriva en même temps qu’elle. Jeune, mais vu son presque grand âge, tout le monde lui paraissait jeune. Elle ne resta que cinq minutes assise, il vint la chercher immédiatement.

Elle expliqua son cas. Il sourit à plusieurs reprises. Elle ne voyait pas ce qu’il y avait de drôle à s’être décroché une mâchoire, mais elle préféra ne rien dire afin de ne pas se le mettre à dos.

Après lui avoir remis la mâchoire en place il lui dit.

-          Vous ne me reconnaissez pas ?

-          A vrai dire, je ne suis jamais venue dans votre cabinet.

-          Et si je vous dis Hugo.

-          Hugo ? Hugo quoi ?

-          Vous êtes professeur de français au lycée des Tourelles, n’est-ce pas ?

-          Exact.

-          Je vous ai eu comme professeur il y a quinze ans et vous me reprochiez toujours mes bâillements. Vous disiez même qu’avec des bâillements comme ça je finirais par me décrocher la mâchoire. Et vous ajoutiez, en plus, que j’aurais difficilement mon baccalauréat.

Elle essaya de sourire, mais impossible. Elle finit par répondre.

-          Chacun son tour.

-          Oh, mais je ne me suis jamais décroché la mâchoire, moi.

-          Je voulais dire, chacun son tour de se moquer de l’autre.

Il sourit à nouveau et ajouta.

-          Je ne vous en veux pas, sinon je n’aurais pas remis votre mâchoire en place

-          Vous me rassurez. D’ailleurs, si je m’en souviens bien, vous aviez un autre talent à par bâiller.

-          Ah oui, lequel ?

-          Vous passiez votre temps à bavarder avec votre voisin.

Il répliqua.

-          Lui est devenu kiné, au cas où vous auriez des problèmes de dos.

Elle lui serra la main et sortit du cabinet l’œil terne. Dorénavant, où qu’elle allait, lui faudrait-il toujours trouver d’anciens élèves ?

24 décembre 2018

La météo

Quand il téléphonait à sa mère, sa femme avait toujours l’impression qu’il lui faisait la météo en ligne, mais lui, s’en rendait-il compte ?

Maintenant, sa mère est morte, et la météo, c’est avec elle qu’il la fait...

 

PS : Joyeux Noël à vous, avec ou sans météo ;)

22 décembre 2018

Le tiroir des imbéciles

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Ce tiroir, je  ne l’avais jamais encore ouvert. Sans doute par peur.

Mais une fois, pour échapper à l’ennui hivernal,  je lui ai rendu visite et ce que j’ai découvert m’a profondément troublée. Au détour de quelques photos, j'ai vu la mienne : j’étais jeune et triste. Je savais que j’avais été jeune, mais triste ?

Sous cette photo, il y en avait d’autres, mais pas de moi. Des photos de mes parents, de tantes et oncles, de cousins et de cousines. Je les ai toutes alignées avec la mienne. Hélas, j’étais vraiment la plus triste, et sans doute la plus laide.

J’ai continué mon voyage d’hiver  le ventre noué.

Sous les photos, j’ai découvert des lettres, mais adressées à qui ? Les adresses n’étaient pas données, et les noms avaient été effacés ; pourquoi ? Etaient-ce des lettres qui m’avaient été envoyées ? Ou des lettres que moi-même je n’avais pas souhaité envoyer ? Il me fallait les lire, peut-être pas toutes, mais certaines. Sans doute reconnaîtrais-je mon écriture, mais elle avait tellement changé depuis ma jeunesse.

La première lettre que je choisis était brève :

« Je me languis de toi. Le problème c’est que je ne t’aime que quand tu n’es pas là. Pourquoi continuer ? »

 La deuxième un peu plus longue – celle d’une femme -  disait :

« Il n’y a pas d’amour heureux, hélas, nul ne me l’avait dit. Naïve, je suis née naïve et je le suis restée. Tu as été le troisième, le plus obtus je pense. Oublions-nous ou recommençons ou tuons-nous. Mieux vaut agir, et vite. »

Qui était ce mystérieux troisième ? Mon cerveau transi ne me donnait aucune réponse.

La troisième lettre, elle, avait été écrite par un homme, et c’est lors de sa lecture que je me suis arrêtée, atterrée. Son contenu était si douloureux que des rivières de larmes ont coulé sur mon visage.

« Tu juges, tu juges,  mais te regardes-tu ? Je ne suis ni artiste, ni musicien, ni écrivain, je suis moi et ce moi me brûle quand tu me regardes avec autant de dureté. Qui es-tu toi qui observes les autres les yeux fermés ? Dans quel palais as-tu existé pour être si lointaine ? Moi ma maison est simple, mais depuis que je te connais, je ne peux plus y vivre. »

 J’ai aussitôt retiré les lettres du tiroir. Ne devrais-je pas les mettre à la poubelle ?

Sous les lettres - et ce fut ma dernière découverte avant ma décision finale - j’ai vu une drôle de bague. On aurait dû une alliance. J’ai regardé si je pouvais la mettre à mon doigt. Oui, elle se glissait facilement le long de mon annulaire. Elle était aussi triste que je l’étais sur la photo. Une fois que sa place a été trouvée, une voix d’homme a entamé un voyage musical*, d’une voix si triste et grave que j’ai failli mourir. De quoi étais-je donc coupable ? Que me reprochait- on ?

C’est à ce moment-là que la fenêtre s’est ouverte. Aussitôt toutes les photos et les lettres se sont envolées pour leur voyage d’hiver. Seule m’est restée cette bague qui maintenant repose à la cave, dans un minuscule cercueil que je lui ai construit. Sans doute ai-je voulu oublier qu’un jour – mais je ne sais pas quand – j’ai moi aussi fait un voyage que j’aurais préféré ne pas faire…

 

*Franz Schubert, voyage d’hiver

PS : Titre de livre créé aux éditions irrégulières

 

20 décembre 2018

Consultation

Elle avait payé sa première consultation 45 euros pour 45 minutes, et la seule chose pseudo-intelligente que le "coach" lui avait dite – et ce, juste à la fin - était : « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris. »*

Certes, elle en était au début de son parcours du combattant  mais tout de même, comment un dit-coach pouvait-il énoncé de telles mièvreries à une "cliente" à la fin du premier rendez-vous ?

Elle avait terriblement eu envie de lui demander s’il pensait à lui, mais elle avait préféré se taire.

Si au deuxième rendez-vous, les choses s’avéraient aussi « plates », elle en profiterait  pour lui mettre en mémoire une citation de Lacan qu'elle ferait passer de la psychanalyse au "coaching" : « Le coaching est un remède contre l’ignorance, il est sans effet sur la connerie. ». Ensuite, elle partirait sans payer.

 

* Oscar Wilde

 

 

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