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Presquevoix...

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22 février 2019

La haine

Les gilets jaunes créaient chez sa voisine des flux de haine. Pourquoi une telle pulsion ? Etait-ce du à son âge - très avancé -   ou  aux informations - les fameuses "fake news" - en boucle dans les médias ? Elle aurait aimé lui dire ce qu'elle pensait du sujet mais non, elle se taisait.
Après observation, elle constata qu' une fois ce flot de haine passée, sa voisine revenait à un état quasi normale. Etonnant. Sans doute devrait-elle relire le principe du plaisir, de Freud, afin de comprendre les raisons de son comportement...

20 février 2019

L’ange

 

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Il lui avait dit, l’air curieux.

-          Mais cet ange, tu le connais ?

Elle n’avait rien répondu, parfois la vie doit glisser dans le royaume du silence.

Cet ange paraissait si doux, et il faisait partie de sa vie. Il lui était apparu après la mort de son père, quand elle avait 12 ans.  Dès qu’il surgissait -  où que ce fût  -  il lui disait d’ouvrir les yeux et de ne plus les fermer pendant 12 secondes. Toute fermeture aurait entraîné une disparition immédiate du cercle de la vie. Elle avait obéi et le remerciait d’être  encore de ce monde.

-          Mais pourquoi tu restes immobile et les yeux grand ouverts ? Avait-il ajouté

Après avoir terminé de compter de 1 à 12, elle lui avait répondu.

-          Pour voir les choses de la vie. Toi, tu ne connais pas encore le compte à rebours, moi oui !

Il n’avait rien ajouté car il avait peur de ces paysages inconnus qu’elle semblait étrangement porter en elle...

 

PS : photo de Gaspard Lieb, semble-t-il, et prise dans la rue des Bons-enfants à Rouen

 

17 février 2019

duo de février

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Nouveau duo du mois de février avec Caro. Cette fois-ci, j’ai choisi une photo gentiment prêtée par PastelleAujourd’hui vous pouvez lire mon texte.

 

L’homme au complet noir

 

Elle l’avait suivi à distance et l’avait entendu répéter une presque lamentation « Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi.».

Suivre quelqu'un dans un musée n’est pas chose facile ; seulement cet homme-là, elle croyait l'avoir aimé un jour, et l'observer se taper la tête dans les murs d’une galerie l’effrayait. Comment en était-il arrivé là ? Evidemment, en 15 ans il peut s’en passer des choses. Elle-même n’avait-elle pas été professeur avant de  devenir gardienne de musée ?

Inutile de s’adresser  à lui, ce voyage au pays du bleu et du rouge ne pouvait se terminer par un voyage dans le passé. Oubli, ressentiment,  qui savait ce que le passé pouvait déclencher ?

Il passa ensuite des psaulmes  à une mélodie envoutante  où les couleurs se succédaient les unes aux autres dans des tons graves qui semblaient venir du fond de ses entrailles. Heureusement la salle était vide, mais que faire si des visiteurs arrivaient ?

Soudain, il fit silence, s’éloigna du mur, fit demi-tour et avança droit vers elle pour lui dire.

-          Vous vous inquiétez ?

-          Euh, je, enfin, vous voyez, votre comportement n’est pas habituel dans un musée.

-          A vrai dire j’observe ce que mon œil perçoit et je le note à l’intérieur de mon cerveau grâce à mes neurones spécialement entraînés à cet effet. Et, quand mes neurones se fatiguent, les sons pennent le relai.

Elle le regarda silencieuse. Ses yeux bleu-violet s’irisaient étrangement.

-          Joli travail Michel, finit-elle par dire.

-          Vous connaissez mon prénom ?

C’est à ce moment-là que deux hommes en blouse blanche pénétrèrent dans la salle du musée. L’homme appelé Michel les fixa et hurla.

-          Non, ne m’enlevez pas mon complet, pas mon complet, c’est ce qui me permet de sortir de mon île !

Chacun lui empoigna un bras et, sans violence aucune, ils l’empêchèrent de bouger.

-          Michel voulait vous voir, dit une blouse blanche, mais je crains qu’il ne puisse résister aux couleurs.

-          Il est fragile, continua l’autre blouse, même si son complet lui donne l’air d’un ministre.

-          Et, c’est quoi le métier de Michel ? demanda-t-elle

-          Physicien aujourd’hui, semble-t-il, mais demain est un autre jour, et il sera peut-être peintre ou poète, reprit une blouse blanche.

Michel lui sourit mais son visage était triste. Il lui tendit la main, lui laissa un papier de couleur claire, puis il sortit de la salle accompagné de son équipe de choc.

Après avoir déplié le papier elle lit :

 « Pas ici, pas d’ailleurs, je ne suis de nulle part mais  je me souviens de toi. Et si nous changions de couleurs pour changer le monde ? »

 Elle ne sut que penser. Qui était fou dans ce trio étrange, les blancs ou le noir ? Et fallait-il venir de nulle part pour changer les couleurs du monde ? Ses yeux passèrent du rouge au bleu puis elle se dirigea vers la seule chaise présente, effrayée par les vertiges qui envahissaient son cerveau ébloui.

 

PS : prochain texte, mercredi 20 février.

15 février 2019

Duo de février

 

 

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Nouveau duo du mois de février avec Caro. Cette fois-ci, j’ai choisi une photo gentiment prêtée par PastelleAujourd’hui vous pouvez lire le texte de Caro, le mien sera publié dimanche.

 

 L'illusionniste

 

Tout est prêt.

C’est simple, la salle s'est vidée des deux stagiaires, et de Leïla et de Tom. Oui, tout est prêt. Les flûtes sont alignées sur le bois brut de la salle de réception Delaunay, la petite, sans doute parce qu’il s’agit de Sonia et non de l'autre Delaunay, Robert. Les petits fours et le champagne sont au frais. Les artistes exposés relisent leurs notes ou se foutent de leurs discours. Les huiles, les pique-assiettes, les habitués, les branchouilles, les sincères s’apprêtent, avant de prendre le tram, le métro, Uber. Cela signifie que Lui se prépare à quitter définitivement ce lieu qu’il dirige de main de maître depuis quinze ans, traversant l'époque sans paraître être abîmé par les revirements politiques de l'Etat sous tous ses avatars : coups bas, médisances, trahisons. Toutes les saloperies que son statut d’artiste, de directeur, d’homme en vue, de célibataire, suscite autour de lui.

Tout est prêt pour la dernière exposition à laquelle il appose son nom. Il en fait le tour, décale d’un quart de millimètre vers le bas la toile du fond. Signale une faute de typo et un s manquant à l’artiste n°8, un Tchèque au nom si improbable qu’il fleure le pseudo pioché dans un scrabble. Les deux fautes seront corrigés dans la demi-heure.

Tout sera parfait.

19 h 32. Il est seul ; je l’observe depuis l’encoignure de la porte. Il se penche et ausculte le mur blanc, immaculé comme le reste des pièces. A chaque exposition, il scrute le même endroit. Je l’ai vu faire depuis que je suis entrée ici en tant que très (trop) jeune commissaire d’exposition. Il va bientôt se relever. Il jette un dernier regard qui parcourt la salle en son entier. Dernière visite. Peut-être sera-t-elle plus longue. La der des der, un chant du cygne. La guerre, la mort, la beauté.

On m'avait narré cette manie dès mon arrivée. Je pencherai aujourd’hui plutôt pour une histoire de l’ordre de la légende ou du mythe : au départ, une inscription qu'une artiste exposée avait laissée et que l’on recouvrait de peinture à chaque installation de peur qu’elle ne réapparaisse. Qui, quand, quoi, pourquoi ? Une femme vraiment ? Ou était-ce un homme ? Les récits étaient incertains, proches par endroits, pour s’exclure ensuite. Personne ne pouvait rien assurer. Il l’aurait aimée, elle était morte, sa sœur peut-être. Il la voyait encore. Ou l’autre était son alter ego, frère maudit. Cette tache, il la craignait, superstitieusement, l’imaginant renaître avant chaque vernissage ; c’est ce qui se murmurait. L'homme était, reste, impénétrable.

23 h 32. Ils sont tous partis. Lui et moi nous tenons devant la toile que j'ai contemplée pendant des heures. Lui aussi. Pas forcément la plus accessible. Quelque chose d’improbable et de primal s’en dégage farouchement. Nous nous tenons presque collés l’un à l’autre et c’est sans doute à cette complicité immédiate que je dois d’être demeurée à ses côtés et d’avoir repoussé au maximum mon engagement dans Le proche lieu, une audacieuse galerie berlinoise tout nouvellement créée. Rester avec lui jusqu’au bout.

« Qui pensera à la tache quand vous ne serez plus là ? » Il me regarde avec ce regard amusé, ou condescendant, je n’ai jamais su. Il lève les mains comme s’il n’était en rien partie prenante de ce travers.

Ses mains… Il a vieilli, sa peau s’est patinée, sa voix parfois se fendille dans les hauteurs. L’usure. Mais pas ses mains, étonnamment jeunes, virevoltantes, apaisées, élégantes, autoritaires. N’accusant aucune ride, aucune flétrissure. Je laisse échapper : « Vos mains d’illusionniste ! » Dans mes mots amusés, éclate le jugement de ses détracteurs. Il sourit très vite comme si l’instant du partir ne pouvait être entaché de bêtise. « Elles ont tenu haut ce musée, ces mains ! Au firmament de l’art contemporain ! Signant des noms, révélant des œuvres, des courants. » Sa voix s’assourdit retrouvant une tonalité veloutée, typique de son registre de basse. « Des mains qui ont plongé dans la merde, le stupre, le fric, le sang peut-être pour une beauté toute neuve. * » Il s’approche du tableau Bleu extended, et de la tache absente. Il reprend, plus doucement encore. « Parfois elles n’ont pas réussi. Ou peut-être que si, lorsque l’être derrière l’artiste s’en libère et fuit…, et par là-même se sauve. »

Il va quitter la salle lorsqu’il me semble que sa main droite dérobe une larme à sa paupière. Mon regard se détourne et s’attarde sur le grand rectangle bleu… et sur une marque oubliée qui semble n’avoir jamais disparu et qui s’étend, jusqu’à faire naître une même larme, juste là, devant moi.

 

* « Moi j’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. Et puis après ? Est-ce que tu t’imagines qu’on peut gouverner innocemment ? » - les mains sales Jean-Paul Sartre 1948

 

12 février 2019

La clef

 

 

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Elle ne trouvait plus la clef du paradis. Pourtant, afin de ne pas la perdre, elle avait demandé une grande taille chez le serrurier.

Peut-être  avait-elle été volée, mais par qui ? Son mari ? Non, il ne croyait pas au Paradis ; ses enfants ? Non, ils avaient disparu il y a longtemps déjà ; ses amis ? Non, ils étaient morts et enterrés en elle ; ses parents ? Non, son père n’avait jamais existé et sa mère vivait si loin qu'elle ne la voyait plus.

Alors, où était-elle cette clef ? Elle se souvint soudain que son dernier rêve l’avait transportée dans un étrange paysage où deux goélands  l'avaient accusée de posséder une clef que seul Dieu pouvait garder. Elle avait voulu leur dire qu'elle n'était pas coupable  mais elle était restée muette. Juste après leur départ une femme, dont la voix évoquait le bruit de la mer,  avait murmuré à son oreille : « N’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne. »* .

Lorsqu'elle s'était réveillée, son corps tremblait et son coeur battait la chamade. Ce rêve signifiait-il qu'il était temps pour elle de préparer son dernier voyage ?

 

*phrase extraite de Devotions upon Emergent Occasions, 1624,  de John Dole

PS : prochain texte en ligne : vendredi 15 février

 

 

10 février 2019

L’inconnue

Jamais je ne l’avais vue sans ses aiguilles à tricoter. Je me suis tout de suite demandé pourquoi elle les transportait toujours dans son sac rouge. N’allez pas croire que je la suivais partout. Non, bien sûr que non, mais souvent je faisais un bout de chemin avec elle, sans qu’elle le sache. J’ai toujours aimé suivre des inconnues.

Seulement maintenant, ce n’est plus une inconnue pour moi, je sais que ses aiguilles ont tué. Qui, je ne sais pas, où, je ne sais pas non plus, mais la lettre qu’elle a laissé sur le banc où je m’asseyais est très claire. Ce sera donc le début de mon roman…

 

 

8 février 2019

L’homme aux longues oreilles

 

 

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Quand elle avait rencontré l’homme aux longues oreilles et au nœud papillon, celui-ci l’avait immédiatement avertie.

-          Les monstres ne dorment pas toujours, parfois ils font semblant.

Elle aurait voulu lui demander pourquoi, mais il ne semblait pas être de ceux qui répondent aux questions des clients d’un jour.

Pourtant, cliente, elle ne l’était pas ou alors, pas une cliente comme les autres, puisqu’elle l’avait rencontré lors d’un rêve, un seul et unique  rêve qu’elle avait fait dans sa chambre où le soleil avait imprimé sur les murs noirs une lumière de printemps.

Alors, elle avait imaginé une autre question.

-          Et si j’étais moi-même un monstre ?

-          Petite mademoiselle, a-t-il répondu en souriant, un homme aux oreilles aussi longues que les miennes sait immédiatement quand on lui dit un mensonge.

-          Mais vos longues oreilles contiennent tellement de souvenirs qu’elles peuvent se tromper.

L’homme a éclaté de rire et elle a remarqué que ses grandes dents jaunes donnaient à sa mâchoire un air semi-tragique.

-          Sachez que le monstre est derrière vous mais hélas, vous ne le voyez pas. Quand vous le verrez, vous pourrez parler en votre nom propre.

Une fois ces mots prononcés, il a quitté le miroir et elle s’est réveillée.

Les jours ont passé et elle a oublié l'homme du rêve, jusqu’au jour où elle l’a retrouvé, rue des Bons-enfants, dans la vitrine d’une bien étrange boutique. Elle s’est arrêtée  face à lui et  lui a montré ses longues oreilles qui maintenant ressemblaient aux siennes. C’est à ce moment-là qu’il lui a dit d’entrer dans la boutique. Elle a obéi et, jamais elle ne l’a quitté.

 

6 février 2019

Fin ?

Il avait eu le mauvais goût d’être inhumé le jour où elle avait prévu de partir en vacances en Islande. Impossible de ne pas aller à l’enterrement, on le lui aurait reproché. Décidément, son frère lui avait « pourri la vie », du jour de sa naissance jusqu’au jour de sa mort.

4 février 2019

L'enfant

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L’enfant

Elle passait des jours dans les arbres, à lire. Personne ne la retrouvait. Si elle avait voulu disparaître à jamais, elle aurait pu, mais ce qu’elle voulait, elle, c’était s’échapper, fuir ce monde où chacun jouait un rôle qui le rendait prisonnier des autres et de lui-même.

A chaque lecture, elle poursuivait son voyage interrompu la veille. Les livres se succédaient les uns aux autres et elle y passait des heures et des heures, l’été.

Ses pieds et ses bras nus recevaient les caresses du soleil et un amour que nul, jamais, ne lui avait apporté. Amour que pourtant ils pensaient lui donner depuis sa naissance. D’ailleurs, tous deux l’appelaient « ma chérie », mais de quelle chérie s’agissait-il ?

 

PS : photo prise à Rouen, rue des Bons-Enfants, rue où a été fondé, semble-t-il, le collège dit des Bons Enfants, en 1358.

2 février 2019

Disparition programmée

Dis-moi,  tu l’as vue ? Ne me dis pas que tu ne l’as pas vue, parce que c’est dingue ! Pourquoi c’est dingue ? Mais parce qu’elle a changé. Comment ça tu ne comprends pas ? Eh bien je vais te le dire tout de suite. Toute sa vie durant, elle s’est demandée comment on pouvait avoir du vague à l’âme, comment on pouvait voir la vie en noir, comment on pouvait demander de l’aide aux autres, comment on pouvait ne pas se secouer, comment on pouvait être déprimée, comment on pouvait se suicider, et maintenant : l’inverse ! Tu ne comprends pas ? Eh bien maintenant, c’est elle qui est déprimée ! Pourquoi ? Je n’en sais rien moi, ou plutôt  j’imagine. Sans doute parce qu’elle est nostalgique. De quoi ? De la seule chose dont elle garde un souvenir merveilleux : son enfance. Tu me demandes si elle a des regrets ? Ah les regrets, ça ne manque pas. Mais bien sûr, ça ne concerne pas l’attitude qu’elle a eue envers les autres. Non, les regrets qu’elle a, c’est son incapacité face au quotidien, raison pour laquelle, elle n’a peur que d’une seule et unique chose : que son mari disparaisse avant elle !

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