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Presquevoix...

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15 mai 2019

L’empathie

Il n’avait jamais voulu être assassin mais on lui avait forcé la main. La première fois qu’il avait tué, sa chemise était à tordre, comme s’il avait perdu toute l’eau de son corps. La fois suivante, il avait mis du coton  pour absorber la sueur.

Il avait une qualité peu commune pour un assassin : l’empathie. Il n’était pas rare qu’il se laissât aller à quelques attentions touchantes avec certaines victimes toujours choisies avec le plus grand soin. Les annonces passées dans Paris Normandie à la rubrique « emplois » précisaient toujours que les candidates devaient avoir entre 25 et 30 ans, être blondes ou châtains clairs, mesurer environ 1 m 65 - la même taille que sa mère -  se montrer enthousiastes, disponibles, et le tout pour une rémunération  largement supérieure au SMIC. Quant au travail demandé, l’annonce ne le stipulait pas.

La première femme qu’il avait tuée - et son père l’en avait presque supplié - c’était sa propre mère. Comment aurait-il pu le lui refuser ? Elle avait fait de son père une épave. Une fois le pied à l’étrier, il lui avait fallu monter en selle plus vite qu’il ne l’aurait sans doute voulu et il était très vite devenu un cavalier émérite.

Depuis un an, après chaque meurtre, un rituel s’était imposé : il enfermait dans du papier de soie les cheveux de ses victimes dans l’éventualité d’une greffe. Qui sait si ce simple geste n’était pas aussi un ultime geste de tendresse ?

13 mai 2019

Le mari de la voisine

Moi, je plains le mari de ma voisine. Mardi dernier il s’est confié à moi au rayon boucherie d’Intermarché. Il m’a  dit qu’il regrettait de s’être marié avec une psychothérapeute.

-          Si j’avais su ! a-t-il ajouté. Je ne peux rien dire sans que ce soit passé à la moulinette de l’analyse. Je ne sais pas si vous vous rendez compte ?

Oui, je  me rendais  compte, mais je ne pouvais pas lui dire que mon mari  était psychothérapeute, comme sa femme. Lui, sa phrase favorite quand nous avons un problème, c’est : « Encore ton vieux complexe d’Œdipe mal résolu ! » 

-          Chacun sa croix ! Ai-je conclu en regardant le mari de ma voisine droit dans les yeux.

Il m’a aussitôt demandé si je croyais en Dieu. Non, lui ai-je dit. Croyez-vous aux relations extra-conjugales ? a-t-il ajouté.

N’ayant aucun désir de coucher avec lui, je  lui ai juste répondu que mon mari, lui, croyait en Dieu et qu’il était pasteur.

-          Ah oui, je vois, a-t-il ajouté, mais que voyait-il ?

11 mai 2019

la fuite

Souvent elle lui demandait s’il l’épouserait et jamais il ne répondait. Parfois il riait. Elle non. Un jour, il lui répondit avec une citation de Paul Leautaud : « Dans le mariage on fait l’amour par besoin, par devoir. Dans l’amour on fait l’amour par amour. »

- Fadaise lui répondit-elle. Tu utilises une citation mais celle-ci ne te correspond pas. Car en ce qui te concerne, le besoin joue un grand rôle.

Il ne dit rien, partant du principe que le silence apaise les maux.

Amusée, elle conclut.

- C’est étonnant comme le silence fait partie intégrante de ta vie, plus que les mots, mais sans doute as-tu peur d’en dire plus que tu n’en sais soit même ?

Il la regarda en souriant et se tut. A quoi bon entamer un discours qui ne le concernait pas ?

9 mai 2019

Mado

Mado, de passage sur Presque-voix.

Petit(s) signe(s) de Mado (Photo et texte)

 

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Signes particuliers

 

Elle s’était d’abord crue trop «  normale », terme péjoratif dans sa petite tête d’alors. Puis, elle comprit que c’était d’insignifiance qu’elle souffrait, dénuée de ces traits distinctifs qui  en  rendaient d’autres remarquables à ses yeux. Dès lors, elle s’évertua à  s’approprier le moindre signe jugé original, pour l‘expérimenter.

Elle fut d’abord fascinée par une camarade au menton en galoche. Si bien qu’elle prit l’habitude d’avancer la mâchoire inférieure pour signaler sa singularité. En découvrant le strabisme, elle s’entraina à loucher. Elle repéra aussi divers tics, et leur trouva un certain chic. Ainsi, un temps, elle s’appliqua à imiter le balancement habile d’une élève sur sa chaise, jambes méthodiquement entrelacées. Cligner des yeux l’occupa quelque temps. Elle traversa ensuite une période « Ouiiich… ! » et s’acharna à emprunter divers accents insolites. Surtout, elle épia avec délice l’art des rongeurs d’ongles dont chacun exploitait une facette avec un talent tout personnel - une longue période d’apprentissage jouissif !

Les meilleurs succès de laboratoire avaient été ceux de son enfance. Mais bien sûr l’adolescence lui fournit-elle son lot d’expériences - avant qu’elle n’en saisisse, car elle avait mûri, le caractère grégaire : mouvement de tête désinvolte pour rejeter une mèche de cheveux, démarche mannequine et regard félin volés à la publicité, etc… Devenue plus velléitaire avec l’âge, elle finit par se prétendre peu douée pour la singerie. Elle cessa donc de copier les autres et en prit son parti : elle resterait transparente. Elle le resta un bon moment.

Et puis sur le tard, sans le vouloir, elle réalisa sa  propre palette  de TOC : sautiller avant de franchir certaines portes ; essayer de joindre les malléoles en marchant ; toquer de l’ongle les murs, … On se mit à la voir, enfin. A la regarder. C’était trop tard… Accoutumée depuis tant d’années à n’être personne, elle allait, indifférente à ceux qui la montraient d’un  doigt quelquefois  pointé  avant sur la tempe.

Elle ne remarquait même pas les gesticulations des enfants qui rivalisaient d’astuces pour la plagier au plus près. Peut-être en aurait-elle souri…

 

 

 

7 mai 2019

Le principe du plaisir

 

 

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Un jour, énervée, elle lui avait dit.

-          Le principe du plaisir, tu connais, non ?

Il l’avait regardé le visage grave, comme à son habitude, et s’était replongé dans sa lecture.

Elle ne l’avait pas supporté et avait continué.

-          Tu pourrais rentrer dans la catégorie des ours mal léchés ou je me trompe ?

Il avait mis ses lunettes sur son nez, comme à son habitude, et avait fini par lui dire le plus calmement possible.

-          Tu devrais peut-être lire, comme moi, cela t’apaiserait. Et en ce qui me concerne, le plaisir, je le diffère plutôt que de tomber dans le trou.

Ce type la fatiguait. Elle ne resterait pas longtemps avec lui, à moins d’un miracle mais Dieu était si loin d’elle…

 

PS : photo prise avec, comme personnage principal, un vieil ours de mon enfance 😉

 

5 mai 2019

Vivre ?

J’épie, tu épies, il épie…Ça pourrait être une comptine, mais c’est ce que je fais à longueur de journée ; une règle de vie. J’épie sans montrer que j’épie, bien sûr. Je passe mon temps à épier mes semblables. J’épie pour le plaisir, pour mon plaisir. J’épie des vies qui pourraient être la mienne, pour vivre plusieurs fois, sans risque, comme au cinéma, mais avec l’émotion du voyeur actif en plus. Personne ne me connaît, mais je VOUS connais. J’ai l’air normal, une normalité de façade. Personne ne sait quel monde m’habite. Je mets un soin particulier à cacher ma véritable nature. Souriant, serviable, insaisissable, s’ils savaient. J’attends la faille, l’embûche, le piège et je regarde la chute, parfois. Je mène une existence parallèle à mon existence d’épieur, bien sûr. A vrai dire, je ne sais plus qui je suis et parfois, je me regarde et je ne me reconnais plus. Ça me fait peur, mais je dois continuer ou consulter.

Seulement, peut-on consulter si épier immunise de la vie ?

3 mai 2019

Question

Elle était restée dans la salle des professeurs pour travailler. Lui, était entré 10 minutes après elle et lui avait à peine dit bonjour, le regard noir. Elle l’avait observé, mi-figue mi-raisin, et avait fini par lui demander.

-          Tu connais la baie du naufrage, en Grèce ?

-          Non, pourquoi ?

-          Figure-toi, qu’en te regardant, j’ai cru que tu y étais échoué, mais je me suis peut-être trompée, excuse-moi.

Il l’a regardé, troublé, puis lui a demandé, presqu’en souriant.

-          Tu connais quelqu’un d’autre qui y vit ?

-          Euh, non, mais tu peux mettre une annonce sur internet.

Et tous deux ont recommencé à travailler comme si rien n’était, pourtant…

1 mai 2019

Duo d'avril

 Duo de la fin avril avec Caro qui a décidé de choisir la photo ci-dessous qu'elle a prise à St Malo. La citation suivante, que j’ai choisie, doit   influencer notre texte :

" J’ai en moi tous les rêves du monde " ( Fernando Pessoa )

Aujourd'hui, voici mon texte.

 

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Rencontre

D’une voix blanche, dans la chambre où ils se retrouvaient depuis un mois, elle avait dit à son amant.

-          Je voudrais tuer les gens pour les protéger.

Calme et non dénoué d’humour, Il lui avait conseillé  d’aller « rue du pourquoi-pas »

-          Pourquoi ? avait-elle dit.

-          Pourquoi pas ? avait-il répondu

Rue du pourquoi-pas, l’air était raréfié et elle sentit immédiatement des maux de ventre qui l’obligèrent à s’arrêter. Elle observa une suite de maisons toutes aussi sombres les unes que les autres pourtant, des fleurs rouges décoraient les balcons. Etaient-ce elles qui avalaient l’air et le gardaient dans leur pistil ?

Soudain un homme vêtu de noir s’approcha d’elle. Elle le salua poliment ; sa bonne éducation l’obligeait à garder le sourire aux lèvres. L’homme lui adressa la parole.

-          Pourquoi avez-vous choisi cette rue ?

-          Désolé monsieur, Je ne peux pas vous répondre car je ne vous connais pas.

-          Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais.

-          D’où ?

-          Je préfère rester silencieux afin de ne pas faire couler en vous des flots de larmes.

-          Que risque-t-on à dire une vérité ? lui demanda-t-elle.

-          On risque de perdre l'autre, répondit-il, et il plongea ses yeux dans les siens, comme s’il était à la recherche d’un paysage étrange.

-          Pourquoi m’observez-vous ?

-          Je suis de ceux qui observent et parlent peu. Dites-moi, jeune demoiselle, pourquoi ne pas vouloir vous tuer vous-même, plutôt que tuer les autres ? Moi c’est ce que j’ai fait et voyez le résultat.

Elle le dévisagea attentivement. Ce type était-il fou ou était-ce elle ?

-          Dites-moi quelle vie serait la mienne si moi aussi je me tuais ?

-          Vous auriez une vie sans rêve aucun et vous rentreriez au cœur de l’angoisse de ceux qui sont restés vivants. Certains acceptent qu’on les aide, mais ils sont rares.

-          Et comment les aide-t-on ?

-          En désenvoutant la maison hantée où ils survivent.

-          Croyez-vous que moi aussi je vis dans une maison hantée ?

-          Bien sûr.

-          Comment vivre ailleurs ?

-          Commencez à voir la plainte qui hante votre cœur et surtout, ne demandez jamais réparation, ce n’est pas possible. Vous devrez accepter l’inguérissable, c’est à cette seule condition que vous pourrez avoir en vous les rêves du monde.

Avant de continuer son long chemin, l’homme lui avait dit en souriant.

-          Essayez, que risquez-vous ?

-          Pourquoi pas ?  fut sa seule réponse. 

Jamais il ne lui reparla mais de temps à autre il l’observait. Quand il comprit qu’elle ne vivait plus dans un écran de fumée et ouvrait ses yeux à la vie, il eut presque envie de pleurer, mais lui n’était plus vivant.

29 avril 2019

Duo d'avril

Duo de la fin avril avec Caro qui a décidé de choisir la photo ci-dessous qu'elle a prise à St Malo. La citation suivante, que j’ai choisie, doit   influencer notre texte :

" J’ai en moi tous les rêves du monde " ( Fernando Pessoa )

Aujourd’hui voici le texte de Caro. Le mien sera en ligne mercredi.

 

saint malo (1)

 

 

Papiers de soi

 « A nos rêves ! » Le tintamarre des verres, le fracas des paroles qui s’écrasent contre les murs de L’intranquillité, rue du pourquoi-pas, le claquement des rires, le brassement de la musique qui charrie ce concentré humain dans un flot assourdissant. Comment ai-je pu atterrir là ?

Cinq ans. Cinq ans d’ascèse. Cinq ans de bagne social sur fond de travail, d’heures sup, de sandwiches et de surgelés tièdes, d’yeux bouffis et d’un corps flasque. Cinq ans de célibat entrecoupé d’aventures brèves toutes plus asséchantes les unes que les autres. Cinq ans de désert social. Cinq ans de néant culturel. Cinq ans de négation de tout ce qui n’est pas la boîte - notre start up - que nous venions de céder, à un prix dépassant toutes nos prévisions.

« A nos rêves ! » Moi aussi je lève ma coupe qui irradie sous les ersatz de néon. Ou s’en sont-ils allés ? A l’instant où Gus me demandent ce qu’il en est, je n’en ai pas la moindre idée ; ils me semblent aussi irréels que l’endroit rutilant où nous fêtons cette réussite qui vient de gonfler nos comptes bancaires.

Nous sommes quatre, jeunes, deux hommes, deux femmes. Nous avons en commun trois ans d’école dite à la française, une année à Londres et une start-up, des nuits blanches fêtardes – il y a longtemps – et des centaines d’heures de travail mis à bout, des piles de pizzas avalés, des coups de gueule, des coups de dép. Un marathon mené au bout, à l’aveugle, en aveugles. Nous voilà devant cette bouteille de champagne qui a le goût délicat et suffisamment amer de la victoire. Suis-je le seul à comprendre que ce toast sonne le glas de notre complicité ?

Nous danserons, nous rirons, nous boirons. Gwen sort son smartphone et nous posons pour le selfie de rigueur. Grégoire nous proposera de nous revoir. Un an, trois ans, dix ans ; de toute façon, la photo aura bougé et nous serons flous. Ou absents. La course est finie et les mois qui vont suivre nous révèlerons assurément plus que nos trop jeunes dernières années.

Une clameur, Cléa se lève surexcitée. « C’est FB et son Maddy la nuit. Il est trop fort. Allez, on y va ». Un mec aux cheveux longs et barbe courte s’excite paresseusement sur ses claviers, nous suivons notre brune comparse dans la masse des corps qui se plient et se déploient en rythme. Danser, bouger. Depuis combien de temps, ne me suis-je pas senti aussi vivant ? Ces dernières années avaient malmené mes rêves ; leur peau délicate s’était déchiquetée. Est-ce que l’on raccommode les papiers de soi ?

La musique revient plus forte et je ferme les yeux. Est-ce l’alcool ou ce que nous avons fumé : je me retrouve assis dans un de ces trains inconfortables qui sillonnaient l’Europe. J’ai dix-neuf ans, une copine que j’oublierais dans quelques jours, presque rien en poche. La vitre ouverte laisser couler un vent d’été tiède. Les rayons rasant du soleil se brisent et l’avenir semble, comme lui, devenir mille carrés de papiers de soie incandescents qui s’envolent. J’ouvre les yeux, les corps se déhanchent, saccadés. Mes désirs devaient être si légers… que même le bruissement de leurs ailes s’éloigne, soufflé par le martel du temps.

Cléa commande une deuxième bouteille de champagne. Nous trinquons, Gwen me demande : « Alors Marco, tu vas faire quoi maintenant ? » Je repense à la fenêtre d’un train, aux paysages qui passent, à mes rêves tremblants et multicolores.  Je réponds enfin à ceux qui sont encore mes amis, qui le demeureront, d’une certaine manière.  « Je crois que je vais prendre un train. » Et je finis mon verre savourant ce goût mi-amer mi-pétillant qui m’invite à ce que tout finisse et que tout recommence.

 

 

 

27 avril 2019

La phrase

20190324_152057-1La première fois qu’il avait murmuré cette phrase – « J’aime beaucoup tes fesses et tes lèvres »  -  à la sortie du cours, Brigitte avait eu envie de le renvoyer.  Le gougeât, comment avait-il pu faire preuve d’une telle impertinence ! Certes, elle avait un corps mince et séduisant, mais tout de même.

Finalement, elle n’avait rien dit. Elle se souvenait encore du jour où, à 16 ans à peine, il était arrivé avec un gilet jaune. A la fin de l’heure, elle lui avait demandé de rester.

-          Pourquoi un gilet jaune, tu peux m'expliquer ?

Après avoir attendu quelques secondes, il lui avait répondu.

-          Jaune parce que c’est la couleur de la lumière des dieux qui bénissent la terre. C’est aussi la couleur de Louis XIV.

-          Et le gilet ?

-          C’est pour faire peuple, je crois, enfin ça, je suis pas sûr.

Elle avait souri ; comment ne pas sourire à un élève aussi créatif ?

Le temps avait passé, et sa créativité - tout comme sa réflexion -  avait baissé pavillon, mais ça, elle n'osait pas le lui dire...

 

PS   :  photo prise à Rouen.

PS 2 : Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne saurait être que fortuite

 

 

 

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