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Presquevoix...

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8 novembre 2019

Isabela

Tous les jours, elle avait l’angoisse d’être angoissée, surtout depuis qu'elle avait quitté son pays natal, le Mexique.

Il aurait fallu qu’elle apprenne à se désangoisser. Mais elle n’avait jamais trouvé de stage pour ça. Un de ses amis français lui avait dit.

-          Tu sais, Isabela, ces stages là, ça n’existe pas. Il n’y a qu’un truc à faire : changer d’ennemi.

-          Tu te moques de moi ?

-          Pas du tout, au lieu d’être ton propre ennemi, tu t’en choisis un autre. Tiens, par exemple, choisis M.Mac

-          M. Mac, c’est qui ?

-          Notre président.

-          Le tien, mais pas le mien, je suis mexicaine.

-          Pas grave. Et en plus, tu nous rendras service, à nous, Français.

Elle sourit.

-          D’accord, mais je ne suis pas sûre que « los brujos de Catamaco  " puissent nous soutenir.

-          Catamaco ?

-          Oui, le lieu où les sorciers jettent des sorts contre les gens qui nous veulent du mal.

-          Pas grave. On essaie quand même. Si ça marche, je te paie 10 séances chez le psy. Tu verras, c’est pas mal aussi le psy, peut-être mieux que les sorciers.

Elle éclata de rire et conclut : « Me gustan mucho los Franceses e claro, tu principalmente ! »

Il embrassa sa jolie bouche rouge, aussi rouge que les cerises de son arbre préféré ; et ce fut la première nuit qu’ils passèrent ensemble, entre rêve et ciel, dans un champ où les hautes herbes avaient caché les épis d'angoisse.

 

 

 

 

6 novembre 2019

L’échelle

 

 

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Difficile de grimper à l’échelle après tant de mois d’arrêt de travail.

Les barreaux succèdent aux barreaux et la lumière est si loin.

Toujours cette petite obsession : et si les mots me manquaient, qui viendrait me sauver ?

A vrai dire, peu importent les oublis puisque j’ai mis en place des dictionnaires vivants prêts à intervenir, si problème il y a.

Ce retour dans le monde du travail exige un autre rythme et une faculté de concentration différente. Finis les siestes, les lectures, l’écriture, la musique, la méditation et les silences. Quatre matinées sur sept, les mots et les voix entrent en scène - à tort ou à raison -  et, leur chemin  se glisse - avec peine ou aisance - dans  ce lieu où citations, cartes et paysages incitent au voyage.

 

PS : photo prise dans la Creuse en mai 2018.

 

4 novembre 2019

Revirement

On l'avait trouvée nue sur la voie ferrée, avec un morceau de tissu déchiré qui cachait à peine ses seins. Elle avait assuré qu’on l’avait violée. Une semaine plus tard, elle revenait sur sa déposition et disait que tout était faux. Le policier s’étonna de ce revirement.

-           Alors vous avez menti ?

-           Oui.

-           Mais quand même, nue ou presque à cette heure, sur la voie ferrée, c’est bizarre, non  ? Insista-t-il.

La jeune femme resta silencieuse quelques instants puis elle dit d’une voix triste.

-           Je voulais me faire un film mais ça n'a pas marché, et elle éclata en sanglots.

Le policier lui tendit un mouchoir et ajouta d’une voix étrangement douce.

-          Bon, ce sont des choses qui arrivent, on a parfois envie d’être ce qu’on n’est pas.

Pensait-il à lui ?

2 novembre 2019

Le crépuscule

 

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Esther se demandait encore pourquoi sa tante avait appelé sa maison « Le Crépuscule ».

Sans doute une de ses chimères ou, peut-être, le reflet de sa foi  qui l’avait conduite, à la fin de sa vie, sur le chemin d’un couvent où, entre mai et juillet, elle faisait  « une retraite bien méritée ».

Sa tante y retrouvait l’une des bénédictines – sœur Marie-Ange - son amie d’enfance devenue nonne à 30 ans. Celle-ci lui avait confié les raisons de ses voeux le jour de ses 85 ans, alors qu’elle cueillait des courgettes dans le potager du couvent.

-          C’est Jean qui m’a conduite ici.

-          Jean ? l’évangéliste ?

-          Non, avait-elle souri, le Jean des Chairons, tu te souviens ?

Oui, sa tante s’en souvenait, et comment ! Il était grand et blond, elle-même en avait été longtemps amoureuse.

-          Tu ne lui avais pas dit que tu l’aimais ?

-          A vrai dire, à l’époque on se taisait, tu le sais bien. Tu te souviens d’Angèle ? C’est elle qu’il a épousée.

-          Angèle ? Oui, une jolie brune. En tout cas, tu es devenue Marie Ange, toi, c’est un peu pareil qu’Angèle finalement, et toi, tu t'es mariée avec Dieu.

Elles se turent et quittèrent le potager en même temps ; Jean les suivait, dans une douce pénombre rêveuse.

Sa tante lui avait raconté ce "secret" le 17 août, le jour de ses 85 ans.

-          La vie est un étrange et douloureux chemin, avait ajouté sa tante le visage triste.

Maintenant, c’était elle, Esther, qui habitait Le Crépuscule. Elle qui, maintenant, avait 70 ans et attendait ses petits enfants qui empliraient la maison  de rires et de joie. Esther était contente d’avoir trouvé un chemin à deux même si, parfois, celui-ci avait inondé par les pluies de printemps…

 

PS : Photo prise au Tréport en aout 2016

31 octobre 2019

les jambes

Tous les jours il restait en arrêt devant la boutique aux collants bariolés, pour le plaisir. Il ne faisait de mal à personne. Il aimait bien ces jambes qu’il s’imaginait saisir à bras le corps pour les emporter au pays de ses rêves.

Quand les flics l’ont interpellé devant la boutique ils lui ont dit, menaçants.

-          Suis-nous salopard ! 

 Forcément il n’a pas voulu, il ne faisait rien de mal, c’est interdit par la loi de regarder des jambes de mannequins ? Les flics ont alors sorti leurs menottes.


- Sale obsédé, tu mérites qu’une chose, la taule !


Lui n’a rien compris. En garde à vue il a juste répété qu’il n'y avait pas de mal à regarder des collants bariolés. Soudain l’un des deux flics - celui dont les yeux s’enfonçaient dans les siens - lui a balancé une torgnole en gueulant.


- Et les jambes qui étaient dans le sac en plastique, les jambes bariolées que tu as balancées dans le canal ? Tu t’en souviens bien putain de merde !


Là, il a baissé les yeux, qu’est-ce qu’il aurait pu dire ? De toutes façons ils ne l’auraient pas cru.

29 octobre 2019

La certitude

Ce n'est pas l'incertitude qui rend fou, c'est la certitude, disait Nietzche et c'est exactement l'impression qu'avait Marie quand elle revenait de chez sa belle-mère. Ne devenait-elle pas folle ?

Mon Dieu, concluait Marie systématiquement, pourvu que Dieu ne lui prête pas longue vie !

Si Dieu n'avait pas le sens de l'humour, il comprendrait sans doute leur souffrance car lui aussi avait souffert : malgré sa grande bonté et son empathie extrême,  il n'avait pu conduire cette catholique pratiquante sur un autre chemin que celui du narcissisme délirant...

27 octobre 2019

Rencontre

A chaque fois que quelqu’un lui manquait de respect, elle se contentait de dire : « Mais qui vous a appris à vivre ? » Personne ne lui répondait certes, sauf dans le bus numéro 2, ce matin-là. Elle demanda à un jeune homme, casque dans les oreilles, de lui céder sa place, mais il fit semblant de rien. Elle lui tapa sur le bras et répéta.

-          Vous pouvez me céder votre place s'il vous plaît ?

-          Pourquoi ? dit-il

-          J’ai 65 ans, vous 22 ou moins, il me semble donc que vous pouvez rester debout.

-          Je suis fatigué, j’ai mal dormi et je vais au boulot.

-          Mais qui vous a appris à vivre ?

Il la regarda droit dans les yeux et dit.

-          Et vous ? Vu l’énergie qui est la vôtre, vous pouvez bien rester debout. Et puis d’abord, l’heure de la retraite est arrivée, non ? Alors évitez de sortir aux heures de pointe, à moins que vous vous embêtiez chez vous, et ça, c’est autre chose.

Elle ne répondit rien, suffoquée. A l’arrêt suivant il se leva et ajouta.

-          Au fait, vous avez été ma prof de français au lycée Buffon, en première, et qu’est-ce que vous m’avez gonflé ! Alors chacun son tour, hein ?

Il lui avait gâché sa journée. Elle essaya de se souvenir de son visage mais l’écran était noir, entièrement noir. Sans doute ne voulait-elle pas retrouver le visage de cet adolescent qui avait gardé un si mauvais souvenir d’elle.

 

25 octobre 2019

La démesure

 

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Tout ce qu’elle faisait était démesurée, que ce soit au travail ou entre amis. Le contraire de lui.

Ils vivaient ensemble mais avaient deux chambres séparées. Peut-on faire dormir en un même lit bombance et abstinence ?

Leurs chemins parfois se croisaient, entre salle de bain, cuisine, et les chemins de terre où elle courait et lui dessinait de petites aquarelles.

Un jour il disparut. Elle ne le dit à personne - même pas à elle-même - et sa vie continua sur les rives de la fuite éperdue…

20 octobre 2019

Le carnet d’adresse

Hier, elle avait encore rayé un nom dans son carnet d’adresse et, comme à chaque fois, ce cœur qui battait, vite, si vite, qu’il lui semblait que c’était le dernier jour du reste de sa vie.

Désormais, son carnet ne contenait plus que cinq noms. Elle se demandait qui serait le prochain. Elle, peut-être, et dans ce cas, son carnet serait jeté dans cette benne à ordure qui, chaque lundi, la réveillait à sept heures.

Elle sourit, s'allongea sur le tapis de sol et commença sa demi-heure de relaxation qui la conduisit - étrange voyage - au pays de la télomérase...

 

PS : retour au pays des textes le vendredi 25 octobre.

18 octobre 2019

Sarabande

 

 

 

 Depuis un an, elle voulait toujours qu’il lui joue la sarabande de Haendel.

-          Pourquoi ce morceau ?

-          Parce que, répondait-elle, sans jamais donner de raison.

Cette sarabande, c’était l’extase. Il comprit ensuite pourquoi : elle le quitta pour un espagnol au regard fier et mélancolique spécialiste des danses du XVIIè.

-          Lui aussi joue d’un instrument ? demanda-t-il.

-          Non, il danse.

-          Et moi ?

-          Quoi toi ?

-          Maintenant, je sors de  la scène ?

Elle ne répondit rien puis, le visage triste, elle conclut.

-          Oui mon ami, nous ne donnerons pas suite à notre couple. Que veux-tu, la vie est un théâtre permanent, l’un part, l’autre rentre…

Il mit un an à s’en remettre et élimina définitivement la sarabande de Haendel de son répertoire.

 

 

 

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