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Presquevoix...

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7 avril 2020

Les deux jardins

En troisième semaine de confinement, elle avait décidé de mettre son lit devant la fenêtre pour voir le jardin. Au-dessus des arbres, des oiseaux d’inquiétude volaient dans un ciel aux couleurs de coronavirus.

Quand il entrait dans sa chambre – qui avait été la leur – il entendait souvent la chanson JARDIN_D'_HIVER. Elle occupait le lieu, tout comme les livres dont les piles formaient d’étranges cercles.  Pourquoi cette chanson ? Et pourquoi Simenon et Patricia Highsmith étaient-ils les seuls romanciers autorisés dans sa chambre ? Sans doute aurait-elle pu le lui dire s’il lui avait posé une question, une seule ; mais c’était un taiseux et jamais il ne mettait à la lueur du jour « les dentelles » de ses sentiments.  Son émotion ne sortait que  la nuit, dans le labyrinthe du jardin de ses rêves.

Pour tous deux, la vie n’était peut-être plus qu’un jardin d’hiver où les mots avaient tissé leur longs draps aux souvenirs bleutés...

 

PS : La chanson JARDIN_D'HIVER est interprétée par Gilda, une amie Brésilienne qui adore le français et vit à Belo Horizonte.

5 avril 2020

Un instant de folie

 

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La dernière fois que l’oeil lui était apparu, c’était sur les volets d’une maison qu’elle ne connaissait pas, et cette fois, il lui avait parlé.

-          Je suis l’œil, lui avait-il dit d’une voix grave.

Que lui répondre ? Elle s’était tue et il avait continué.

-          Je vois en toi quelque chose de violent qui demande à sortir. Raconte.

-          Raconter quoi ?

-          Ce qu’il y a là, maintenant, dans cette âme en train de bouillir.

Et à ce moment-là – dieu sait pour quelle raison – elle avait sorti sa colère, une colère qui datait d’avant… d’avant quoi, d’ailleurs ? Elle ne le savait même pas.

-          Je suis celle qui veut tuer la religion patriarcale. Je hais ces pseudos dieux vivants qui nous dominent, je hais ce Dieu qui délègue aux mâles ce pouvoir qui remplit leurs âmes vaines et délègue aux femmes les tâches subalternes. Je veux que règne le matriarcat, protecteur de l’égalité inconditionnelle.

Après ce pamphlet, elle s’arrêta, à bout de souffle. Était-ce l’intrusion du coronavirus en elle ? Elle eut peur.

L’œil lui répondit.

-          Repose-toi maintenant. Dès dimanche, tu tueras Dieu et le calme reviendra.

Elle n’en croyait pas ses oreilles, l’œil lui demandait de passer à l’acte ?

Et c’est ce qu’elle fit le dimanche suivant, dans l’Eglise du Sacré cœur, la seule église ouverte.  En ville, les rues étaient désertes, inutile de courir, il lui suffisait d’aller vers l’autre monde, celui du matriarcat…

 

PS : photo prise à Saint Prix,  95.

 

3 avril 2020

Rien

Il était assis au fond de la classe, le corps avachi sur sa chaise. Le week-end avait dû être difficile ! Au moment où le professeur commença à écrire au tableau, l’élève leva le doigt.

-          Monsieur, je vois rien.

Le professeur lui répondit.

-          Viens devant, Charles, il y a de la place au premier rang.

Charles réfléchit un instant puis conclut.

-          Ça y’est monsieur, je vois.

-          Quand je pense qu’il y en a qui recouvrent la vue avec moi ! Grâce à toi, je vais finir par me prendre pour Jésus !

Charles sourit et resta assis au dernier rang. Le cours continua.  Charles n’écrivit rien de rien et son cahier avait été fermé bien avant la sonnerie.

Avant de sortir, il dit au professeur.

-          C’est pas votre cours monsieur mais j’aime pas l’école.

-          Et qu’est-ce que tu aimes ?

-          Rêver.

-          A quoi ?

-          A rien. C’est pour ça que tout à l’heure je vous disais « Je vois rien ».

-          C’est pas banal, dit le professeur en souriant.

-          Rien est loin d’être banal, monsieur.

-          Ah. Eh bien si tu m’écrivais quelque chose sur Rien, ça me ferait plaisir Charles. Tu me rends ça demain ?

Il quitta le lycée à 16 h et rentra chez lui à 17 h, épuisé. Quand sa femme revint du travail à 18 h, le voyant rêveur assis sur le fauteuil, elle lui demanda.

-          Tu penses à quoi ?

-          A rien.

-          Et après rien ?

-          Je sais pas, je crois que ma vie est un long fleuve de rien que je dois suivre avant qu’il se jette dans la mer ; et il est long ce fleuve, très long ; je ne sais pas si je vais y arriver.

Ils se couchèrent à 23 heures, et sa dernière parole avant de s’endormir fut la suivante : « Pour ne pas être déçu par les gens, ne rien attendre d’eux ! »

Le visage de sa femme pâlit, et elle, rien ne lui fit fermer l’œil de la nuit !

1 avril 2020

Flamenco

A force de marteler le sol de ses bottines nerveuses, il était devenu fou. C’était comme si la tête de ses talons résonnait dans son cerveau, jour et nuit, ne lui laissant aucun repos.

Il avait consulté divers spécialistes, aucun n’avait pu atténuer son mal. Un seul lui conseilla d’arrêter le flamenco, en ajoutant.

- Consacrez-vous à la natation, votre équilibre personnel y gagnera.

Il répondit à ce médecin ignare qu’il ne savait pas nager, que le flamenco était toute sa vie, que son père, son grand-père et son arrière-grand-père étaient danseurs de flamenco et qu’il n’avait pas vocation à jouer au crapaud.

C’est le mardi qui suivit cette visite qu’il décida d’en finir. On était le 31 mars -   le jour de l’anniversaire de la mort de son père. A 23 h 30, revêtu de son costume noir, il monta sur le pont Flaubert, avança en martelant le macadam de son « zapateado » inquiet jusqu’à l’endroit choisi, enjamba la balustrade et se jeta dans la Seine.

Personne ne retrouva son corps, mais par moments, quand on s’approche tout près du fleuve gris, on entend des martèlements qui montent des flots.

 

30 mars 2020

Duo

Voici notre nouveau duo avec Caro, du blog " les heures de coton ". Cette fois-ci nous nous sommes confinées de longs jours avec les deux citations suivantes :

« Moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache » (Raymond Devos)

« N’importe qui peut assassiner, c’est une question de circonstances » (Patricia Highsmith)

Voici mon texte, après celui de  Caro, en ce lundi de confinement :

 

 Les deux voix

 

« Pauvre Joséphine, elle est folle à lier », c’est ce que tout le monde pensait. Seulement, elle était heureuse Joséphine, car elle disait ce qu’elle voulait quand elle voulait au contraire du commun des mortels. Une seule devise rythmait son quotidien : Moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache.

Toute la famille cachait sa honte, noblesse oblige ; une noblesse tardive d'ailleurs, mais la famille était fière de ce nom récent qu’elle prononçait avec une articulation paroxystique : « Gan-ti-er D’-Où-tre-mont » !

En dehors de sa presque inquiétante folie, Joséphine possédait un pouvoir : sa beauté. Plus d’un homme avait été séduit par son visage long aux yeux verts, si verts, mais tous avaient fui, effrayés par son vocabulaire qui, en plein vol, pouvait atteindre des sommets de grossièreté et d’excentricité. 

Le dernier scandale – mais dans la noblesse tout est scandale – eut lieu lors de la dernière soirée au château de Bois Renard, propriété ancestrale des Gantier d’Outremont, le week-end qui précéda le confinement. Une quarantaine de personnes – des amis de la famille – étaient réunies dans la grande salle à manger quand soudain, revêtue d’une robe vert pâle, Joséphine monta sur la table et dit d’une voix théâtrale :  N’importe qui peut assassiner, c’est une question de circonstances ; et n’oubliez pas, même de tout petits virus peuvent assassiner !

Toute la tablée se tut, mais soudain, un homme grand et brun à la queue-de-pie noire, dit d’une voix de basse : " Je vous engage dans mon chœur séance tenante, madame. Quelle tessiture, quel lyrisme que le vôtre ! Madame, soyez mienne sur les chemins de la voix et assassinons ceux que la liberté dérange ! "

La tablée ne dit mot, Joséphine non plus mais, dans ce silence profond, de sa voix de mezzo, elle chantonna.

-           Monsieur, partons tous deux dans le labyrinthe de cet étrange jardin pour découvrir l’amour à deux voix !

Ils sortirent main dans la main et jamais on ne les revit. Sans doute sont-ils allés au pays des voix heureuses ?  

28 mars 2020

Duo

Voici notre nouveau duo avec Caro, du blog " les heures de coton ". Cette fois-ci nous nous sommes confinées de longs jours avec les deux citations suivantes :

« Moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache » (Raymond Devos)

« N’importe qui peut assassiner, c’est une question de circonstances » (Patricia Highsmith)

Voici le texte de Caro, en ce samedi de confinement :

 

Au Chat qui penche

Je sirotais tranquillement ma pinte de Maredsous quand Bernard, juché sur son tabouret habituel, me souffla : « Moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache ». Il rajouta : « C’est du bon, du Devos. » Je souris et levais ma chope. J’aimais bien Bernard. Il cachait sous sa face rubiconde une foule de citations et d’expressions qui ressuscitaient Alphonse Allais, Rabelais et Frédéric Dard. Distillés à bon escient, ces mots savoureux n’en étaient que meilleurs et ajoutaient au charme flamand de l’estaminet du Chat qui penche.

C’est après avoir dégusté la moitié de ma binouse que je me suis demandé pourquoi Bernard avait fait cette remarque. Il n’était généralement pas causant. Les habitués ne devenaient bruyants qu’à la fin des matchs retransmis sur le grand écran du bistrot, sacro-saint moment qui appelait les commentaires avertis des supporters : « Arbitre de mes deux. » « Ce petit con de Verr… » et évidemment des analyses techniques qui n’avaient rien à envier celles de Pierre Ménès. Parfois, rarement, une question d’actualité suscitait un débat houleux que calmait alors une tournée générale offerte par Dédé, le taulier. Le nez dans leurs mousses, les habitués redevenaient doux comme des agneaux.

Bref outre sa déco chaleureuse, la qualité de ses bières, sa proximité, j’aimais ce rade pour la discrétion de sa clientèle qui me laissait flotter confortablement dans mon vague-à l’âme de fin de journée. Ou de début de soirée.

Je retournais toujours dans ma tête les mots de Devos quand je les vis. Ou plutôt quand ils se firent entendre. Je devais être sacrément ailleurs pour ne pas avoir remarqué cette tribu de bobos friqués qui vociféraient au bout du comptoir. Ils avaient dû renifler l’endroit comme un possible repaire branché et s’étaient passé l’adresse, ces charognards. Ils avaient traîné jusqu’ici leur Lauboutin, leurs Weston et leurs fringues achetées lors de la dernière fashion week. Je tendis l’oreille, ça causait de Césars, de différencier l’homme de l’artiste, de ces foutues féministes et de ce monde qui partait en vrille. Je soupirai. Une discussion de comptoir drapée de sapes Gucci est toujours une discussion de comptoir. Je reconnaissais maintenant certains de ces  people. Chacun de leur cachet et les indemnités d’intermittents planqués qui suivaient devaient dépasser ce que les habitués du Chat qui penche touchaient en un an, moi comprise. Je constatais également que le talent de jouer pouvait être assorti à une unique pauvre paire de neurones. La connerie humaine n’a pas plus d’habit qu’un moine et, présentement, elle voulait à toute force qu’on lui serve du champagne et non une Gueuze. Au Chat qui penche. Le mauvais goût n’a jamais de limite.

Je commandais une seconde pinte pour moi et une énième pour Bernard. Je levais mon verre pour trinquer avec lui en repensant à cette citation que j’avais souligné au hasard de mes lectures. « N’importe qui peut assassiner, c’est une question de circonstances. » Je la répétais à Bernard qui cligna de l’œil. Le bon mot ferait le tour du bistrot d’ici la fermeture, j’en étais certaine.

Je n’ai pas encore fermé mes volets. L’estaminet du Chat qui penche est fermé depuis un mois. Et Bernard, Dédé, moi, et les autres, sommes confinés quelque part dans la ville. Je n’avais pas même eu le temps de trouver un moyen de nous défaire de la bande clinquante et arrogante qui avait envahi notre repaire, ni quiconque parmi nous d’ailleurs. Un virus venu de Chine avait changé notre donne quotidienne. L’ordre de confinement accompagné de la fermeture de tout bistrot de France et de Navarre était tombé comme un couperet. Là, accoudée à la fenêtre, j’entends les oiseaux qui vocalisent comme des fous avant que la nuit ne les fasse taire. Ma Maredsous est un peu solitaire, et je la préfère pression. Je ne sais pas quand je retournerai en boire une chez Dédé. Je sais juste qu’elle aura un goût inoubliable. Et qui sait si le virus, s’il traînait dans le coin ce soir-là, n’avait pas eu comme nous le goût des citations bien placées et si, contrairement à nous, il avait eu le temps de réfléchir

26 mars 2020

La boucle

 

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Elle était en boucle comme jamais elle ne l'avait été. Et lui était en colère, comme toujours il l'avait été.

Elle parlait beaucoup trop et répétait en permanence.

- Tu te souviens quand on marchait sur les chemins dans la campagne ?

ou

- Tu te souviens quand on se promenait sur la côte ?

ou

- Tu te souviens de nos vacances à vélo sur les routes de Bretagne ou d'Alsace ?

Oui, il se souvenait, mais il en avait marre. « Qu’elle la boucle », pensait-il.

Et plus elle parlait, plus sa colère montait et plus il soufflait comme un phoque. Seulement, à force de souffler, il allait faire un arrêt cardiaque, il le sentait, il le sentait, il le sentait...

 

PS : photo prise non loin de St Martin de Boscherville en 2015, du temps où le covid 19 n’existait pas…

 

 

 

24 mars 2020

L’inspecteur

-          Cette histoire est invraisemblable !

-          C’est justement là le problème.

Elle regardait l’inspecteur, attendant qu’il manifeste un désir, une volonté, un ordre, mais non, rien.

Le livre laissé ouvert à la page 199, sur la table du salon où le meurtre avait eu lieu, laissait à penser que l’assassin avait suivi la voix du narrateur à la virgule près. La fiction rejoignait la réalité et l’inspecteur était troublé.

-          Un fou ? Suggéra-t-elle pour le faire sortir de son silence.

-          Non, un malade de l’écriture, un type qui n’a jamais pu publier, répondit l’inspecteur dans un souffle.

Puis son regard erra tristement sur le corps lacéré qui avait servi de page d’écriture…

 

22 mars 2020

Hortense

- Hortense, ne me laisse pas seul. J’ai besoin de toi !

J’ai prononcé ces mots en pleurant et en criant ; je suis sûr que n’importe quelle personne normalement constituée aurait éprouvé de la compassion, mais pas elle. Dédaigneuse, elle a jeté un regard vers moi, du haut de sa fenêtre du premier étage, et elle a hurlé : « Confinement ! ».

Au moment où j’allais partir, un policier m’a demandé mon attestation. « J’en ai pas », ai-je dit le visage livide. Il m’a demandé où j’habitais et hélas, j’habite très loin de chez Hortense. J’ai dû payer 135 euros.

J’ai fait une poussée de fièvre juste en rentrant chez moi. J’ai pris le thermomètre. Il frôlait les 40° ! J’ai appelé le 116-117, comme on nous l’avait dit au journal de 20 h, mais rien, personne ne répondait.

Tout le monde m’abandonnait, tout le monde, et surtout Hortense car elle ne répondait pas aux SMS que je lui envoyais. Le dernier disait : Tu  t’appelles pas Hortense, car tu  viens pas d’un jardin ! Ta mère devait s’appeler Corona et peut-être que toi aussi.

J’ai ensuite regretté de lui avoir envoyé ce message.

Putain de vie, me suis-je dit à voix haute, que des regrets et jamais, jamais, une étincelle de bonheur.

Ensuite, je me suis mis au lit, j’ai dormi, et le monde a changé…

 

 

20 mars 2020

Le ciel

Avant, quand sa grand-mère voyait un ciel bleu  se dessiner derrière les vitres de la maison, elle disait toujours : quelle belle journée !

Maintenant, à chaque fois que sa grand-mère voit un ciel - bleu ou gris -  se dessiner derrière les vitres de la maison, elle dit toujours : Encore un ciel de coronavirus ! Puis elle ajoute systématiquement.

- Et quand je pense que si je meure, il y aura moins de 20 personnes à mon enterrement et même pas une messe !

 

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