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Presquevoix...

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11 mai 2020

Le paradis

 

 

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Dès qu’elle est arrivée au paradis, on lui a dit de choisir un bouton dans la grande boîte qui était posée à l’entrée. Elle a voulu demander pourquoi, mais l’ange lui avait dit qu’ici on ne posait pas de questions.

D’ailleurs, pourquoi était-elle au paradis ? L’ange lui a chuchoté.

-          Tu as pardonné, et comme tu as pardonné, tu n’as ni jugé ni puni.

Quelle bonne idée que d’avoir pardonné, a-t-elle pensé. Mais qui avait-elle pardonné ? Tous peut-être ? Même son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, ses grands parents ? Etrange, elle n’en avait aucun souvenir.

Elle a choisi un bouton bleu clair, la couleur du ciel d’été. Et quand la voix - celle de Dieu ? – a dit que le livre qui lui était attribué était « Psychothérapie de Dieu* » elle a souri. Dieu était omniscient, certes, mais thérapeute, aussi ?

* livre de Boris Cyrulnik.

PS : photo prise à Bruxelles en 2015

 

9 mai 2020

Le coup fatal

Depuis le confinement, elle avait l’impression qu’il faisait exprès de parler pour lui vriller le cerveau. Elle ne pouvait plus penser tranquille dans cette maison, même quand elle allait dans sa chambre, et son coeur s’affolait comme un oiseau blessé.

« Tais-toi, je pense, tais-toi je pense, tais-toi je pense… » marmonnait-elle inlassablement pendant qu’il lui parlait ; mais il ne s’arrêtait pas. Il ne s’arrêterait donc jamais ? Elle sentait que bientôt la marée du confinement la submergerait et elle ne savait pas nager. C’est à cause de ça qu’elle l’avait assommé avec la poêle ; et enfin le silence s’était fait.

7 mai 2020

Le dos au mur

 

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A chaque fois que Rémi la voyait il disait.

- Putain, t'as vu le dos qu'elle a ! Je me demande qui en a déjà fait le tour, et il hurlait de rire.

J'avais envie de lui dire qu'il était un fieffé connard, mais je ne disais jamais rien à Rémi, et  si j'en avais plein le dos, c’était de lui, mais pas de Mauricette. Elle, je l'aimais bien, seulement je ne voulais surtout pas qu'il se fiche de moi en disant.

- Ouais, on passe de la pommade dans le dos de qui on peut mon gars !

Et il était vrai que je n'avais passé de la pommade dans le dos d'aucune femme. J'étais timide et ce défaut semblait être à perpétuité.

Quelle femme accepterait de faire l'amour avec un pauvre type qui à 30 ans n'avait que son propre sexe comme compagne...

 

PS : photo prise à Saumur en juillet 2019

 

5 mai 2020

Le psychiatre

Je m’efface petit à petit. Il y a deux mois un de mes doigts a disparu, quinze jours plus tard c’était la main gauche, il y a un mois l’avant-bras gauche, dans quinze jours ce sera peut-être une jambe…  Les miroirs renvoient de moi une image amputée. Pourtant les autres, eux, me voient comme avant.

La semaine dernière je suis allée chez l’ophtalmologiste, il m’a dit que tout allait bien.

-          10 à chaque œil, a-t-il signalé d’un air satisfait, à 40 ans, c’est rare.

Ce n’est donc pas un problème de vue. C’est autre chose, mais quoi ? J’ai demandé à mon médecin l’adresse d’un psychiatre. Je l’ai vu hier.

Quand il m’a fait entrer dans son cabinet, j’étais épuisé. Dès que je me suis assis, j’ai sangloté. Il m’a tendu un mouchoir en papier, m’a souri et il m’a écouté sans m’interrompre. Au bout de 25 minutes, il m’a donné une ordonnance en précisant.

-          Vous souffrez d’un syndrome assez rare. Tellement rare qu’on ne lui a pas encore donné de nom.  Revenez me voir la semaine prochaine à la même heure, on en reparlera.

J’ai voulu lui poser une question mais il m’a gentiment poussé vers la porte de son cabinet et je me suis retrouvé rapidement dans le couloir.

J’ai dû attendre l’ascenseur qui s’est arrêté juste à cet étage. Une femme en est sortie, ma mère ! Mon sang n’a fait qu’un tour.

-          Mais qu’est-ce que tu fais ici ?

-          Et toi ?

-          La même chose que toi, on dirait.

-          Eh bien voilà ! Excuse-moi, je suis en retard, et je n’aime pas ça, tu le sais bien.

Elle a sonné et elle est entrée dans le cabinet du psychiatre. Merde, me suis-je dit, est-ce qu’on voit un psychiatre de mère en fils ?

 

3 mai 2020

Les aiguilles

Depuis qu'on l’avait placée en maison de retraite, Eléonore ne pensait qu’à fuir. Pourquoi voulait-on la retenir prisonnière dans cette bâtisse grisâtre au milieu d'un parc vert entouré de grilles noires, loin de la vie, loin de sa vie ?

Avant chaque fugue, elle ne manquait jamais de mettre l'un de ses nombreux chapeaux, ajusté soigneusement avec de précieuses aiguilles qu’elle gardait au fond de son sac à main.

A bout d’arguments, le personnel avait fini par lui confisquer tous ses chapeaux, mais pas ses aiguilles.

C’est avec elles qu’Eléonore signa la date de son passage dans l’au-delà, et ce fut exactement le jour de son anniversaire. 

En la découvrant morte dans le parc, l'infirmier - un bout en train qu'Eléonore aimait beaucoup - eut cette remarque que certains considérèrent comme cynique.

- Dommage Eléonore. Pourtant toi qui aimais le bordeaux,  tu savais que " le vin d'ici vaut mieux que l'eau de là " !

1 mai 2020

En ce premier mai... fête internationale des travailleurs...

Jean-Pierre Rosnay est le fondateur du Club des Poètes. Voici, ici, son poème ordre du jour qui, en cette période de confinement, peut donner matière à penser, à sourire, à imaginer, à s'égarer, à se rebeller, à s'amuser, à soupirer, à aimer, à voler peut-être...

Bon, je vous dis bonne journée. Moi, je pars, poème à la main, pour la manifestation virtuelle. L'un des mots d'ordre sera : tenons "tête à l'adversité" sans "épargner l'adversaire" !

 

 

Ordre du Jour

Tenir l'âme en état de marche

Tenir le contingent à distance

Tenir l'âme au-dessus de la mêlée

Tenir Dieu pour une idée comme une autre
un support, une éventualité,

une contrée sauvage de l'univers poétique

Tenir les promesses de son enfance

Tenir tête à l'adversité

Ne pas épargner l'adversaire

Tenir parole ouverte

Tenir la dragée haute à ses faiblesses

Ne pas se laisser emporter par le courant

Tenir son rang dans le rang de ceux qui sont décidés

à tenir l'homme en position estimable

Ne pas se laisser séduire par la facilité

sous le prétexte que les pires

se haussent commodément au plus haut niveau

et que les meilleurs ont peine à tenir la route

Etre digne du privilège d'être

sous la forme la plus réussie: l'homme.

Ou mieux encore, la femme.

Jean-Pierre Rosnay
Jean-Pierre Rosnay


29 avril 2020

Le père

La dernière fois que j’avais vu mon père, c’était le jour de mes 14 ans, le jour où il avait giflé ma mère parce qu’elle lui avait dit que c’était un enculé qui ne pensait qu’à bouffer son fric pour ses tiercés de merde.

Maintenant j’ai 25 ans et je n’ai jamais revu mon père, sauf hier, sur le champ de courses d’Enghien où mon copain faisait sa première course de trot attelé.

Il était non loin du guichet ou j’allais parier ma date de naissance. Lorsqu’il m’a vue, il ne m’a pas reconnue, moi oui, et j’en ai eu froid dans le dos. Il n’a pas changé, sauf que maintenant ses joues sont envahies par la couperose.

C’est lui qui s’est adressé à moi. Il m’a dit.

-          Vous aimez les courses de chevaux ?

-          Non, ai-répondu.

Et il a ajouté.

-          Moi, le champ de courses c’est ma vie. Vous voulez un conseil ?

-          Un conseil pour quoi ?

-          Pour la prochaine course.

-          Non, je joue ma date de naissance.

-          C’est quoi votre date ?

-          10 mars 1995

Il n’a rien répondu, mais j’ai eu l’étrange impression que sa couperose doublait. Je suis restée silencieuse, sans le regarder, et il a fini par me dire.

-          1995, une mauvaise date, mais bon, on a les dates qu’on peut.

Et il est aussitôt parti vers le guichet pour faire son tiercé.

27 avril 2020

Duo d'avril

Comme à notre habitude, avec Caro du blog  " les heures de coton ",  nous continuons le chemin des duos. Cette fois-ci, une photo que j'ai prise  dans la gare de Saint Pancras, à Londres, en mai 2018. Les sculptures sont de Paul Day.

Cette photo, bien sûr, est entrée de façon différente dans nos imaginaires. Après le texte de Caro, voici le mien.

 

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 La bibliothèque

 

Paul épiait les gens puis créait des vies imaginaires. Dans les verres de ses lunettes, des hommes et des femmes étaient emprisonnés des minutes, des heures, des jours…

Taedium vitae, lassitude de moi, disait-il à son ami, le seul qui lui restait du désert de son enfance. Un ami aussi bancal que lui, certes, mais différent parce que vivant.

La vie de Paul était aussi terne que la grisaille de ses yeux. Je préfère épier plutôt qu’aimer, avait-il coutume de dire à son ami. Puis il ajoutait souvent, dans cette boucle qui était son seul chemin : dans ma courte vie, jamais personne ne m’a aimé, et jamais je n’ai aimé personne.

Son ami hochait la tête sans rien ajouter ; forcément, il était sourd.

Toujours de noir vêtu, caché derrière ses lunettes sombres, Paul s’autorisait à suivre un humain par jour.  Parfois il sortait en fin de journée, au moment où le dernier oiseau se taisait. Et c’est exactement à ce moment-là qu’il a croisé l’homme au livre ; un être aussi silencieux que les oiseaux de la nuit et qui semblait trouver dans les livres un étrange horizon.

Maintenant, l’homme au livre était presque devenu son compagnon muet. Il l’épiait jour après jour, et les livres que cet homme lisait faisaient partie de son paysage imaginaire.

Voyant son obsession, son ami d’enfance lui avait écrit sur un papier blanc : Tu veux sortir de ta boucle de confinement ?

Et Paul avait répondu, sur la même feuille blanche : Je veux construire la bibliothèque de ma vie et ouvrir mes yeux…

 

25 avril 2020

Duo d'avril

Comme à notre habitude, avec Caro du blog  " les heures de coton ",  nous continuons le chemin des duos. Cette fois-ci, une photo que j'ai prise  dans la gare de Saint Pancras, à Londres, en mai 2018. Les sculptures sont de Paul Day.

Cette photo, bien sûr, est entrée de façon différente dans nos imaginaires. Aujourd'hui, voici le texte de Caro. Le mien sera publié lundi.

 

Duo d’avril 2020


 

 

 

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 à Christelle, à Patrick, deux amoureux de l'amour

 

 En tout, il faut un certain savoir vivre.

Se revoir tient du miracle. Je commande du champagne ; il faut fêter l’événement.

Il entre dans ce café où je lis un roman de Henry Miller. Cela aurait pu être une coïncidence mais qui ne sait pas que le Ralph’s est ma cantine et que je suis d’une fidélité sans faille. L’expression de son visage est indéchiffrable. Il s’assoit. Un instant, je crois qu’il va sourire ; le peut-il encore ? Nous nous fixons en vieux adversaires. A-t-il voulu croire cela de moi ? Je n’ai jamais su.

Je l’ai rencontré, il y a dix ans. Un amour feu de paille, le genre où le corps tremble et la tête suit. J’aimais ses muscles noueux de marcheur, ses sourires parcimonieux. Sa solitude aussi, qui n’encombrait que certaines de mes nuits et qui se prolongeaient par hasard au matin suivant. Lui prisait l’indépendance, disparaissait sur les routes, embarquait dans des trains cacochymes vers des contrées qu’aucun touriste de ce siècle ne désirait connaître. Il en ramenait un parfum de danger, d’inconnu et une tristesse adoucie. J’aimais m’endormir contre le battement de son cœur où coulait une vie que je ne désirai aucunement mais qui m’intriguait.

Un soir, il sonna. Je me découvris un peu agacée de cette intrusion. Je revenais d’un voyage dans le Morvan avec une classe ennuyeuse et fatigante au possible et j’avais anticipé avec reconnaissance un tête-à-tête avec moi-même. Enfin pourquoi pas ? C’était un bon amant et on ne refuse pas la tendresse lorsqu’elle frappe à votre porte. Néanmoins il m’apparut très vite qu’un trait de caractère assez commun dans les relations amoureuses pointait son visage de petite frappe… La possessivité, accompagnée de son âme damnée, la suffisance.

Qui n’a pas été jaloux pour une peccadille ? Qui n’a pas ressenti la griffure d’une parole pleine de morgue ? C’est le jeu de l’un avec l’autre, ce versant de soi peu gratifiant que nous nous découvrons et avec qui il faut composer. Pour quelque chose d’aussi véniel, on peut se pardonner. Mais quand on a peur du prochain coup, il faut savoir perdre sans y laisser sa peau. En amour, il n’y a pas de vainqueur, on ne ramasse que des souvenirs.

Nous eûmes une dernière nuit pleine d’attentions. En tout, il faut un certain savoir vivre. Malheureusement, mon amant était un homme sagace et l’intensité de son regard était le miroir de ce qu’il avait contemplé pendant ses longues quêtes. Il m’avait devinée et ne me pardonnait pas d’avoir cerné sa faiblesse. Surtout je le crains, il s’en voulait de s’être approchée d’une âme plutôt allègre et sans attaches. De lui, je n’eus plus de nouvelles. Je n’y comptai pas.

Contre toute attente, en cette fin d’après-midi paresseuse, il est devant moi. Sa belle gueule a été tailladée par les années. Je commande un Armagnac ; il en ajoute toujours un trait à sa coupe de Blanc de blanc. Mue par une émotion brutale, j’ôte ses lunettes de soleil et caresse les rides profondes qui labourent son front, strient ses pommettes et qui abîment les mots qu’il prononce à voix basse. Ses yeux s’ouvrent à moi tel un livre : toute la peine du monde semble s’y être donnée rendez-vous, des corps tourmentés s’agglutinent, la douleur croise l’indifférence et la fin. Je tremble. Soudain, à l’instant où ses lèvres qui ne connaissent plus le chemin de la vie s’emparent de ma bouche, j’aperçois dans ses prunelles assombries mon reflet qui me fait signe avant de s’effacer. Alors, légère comme un pardon d’aimer, je le laisse nous emporter.

 

 

 

23 avril 2020

Les deux amies

Ce jour-là, je me souviens, Isabelle m’avait dit d'une voix coupante.

- Je t'interdis de lui faire remarquer que je me suis fait couper les cheveux !

Un peu étonnée, je lui en avais demandé la raison. Elle m’avait répondu, agacée, qu'il devrait le découvrir tout seul.

- Mais pourquoi ? avais-je insisté.

Elle avait rétorqué.

- Pour que je sache à quel point il ne me regarde pas !

- Et ça te fait plaisir de le remarquer ?

Enervée, elle m’avait répondu.

-          Dis-moi, tu es l’amie de qui,  Bernard ou  moi ?

-          De toi, Isabelle, de toi. Mais ne crois-tu pas que tu en fais trop ?

-          Trop de quoi ?

J’avais respiré longuement avant de lui donner la phrase finale, celle qui, sans doute, provoquerait une rupture, la nôtre.

-          Eh bien trop de scènes, comme si nous étions au théâtre.

Isabelle ne m’a jamais pardonné cette réponse. C’était il y a 5 ans. Et aujourd’hui encore, quand elle me croise dans une réunion, elle m’ignore. Peu m’importe, d’ailleurs, car je me suis rendue compte qu’Isabelle n’aime qu’une seule personne : elle-même.

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