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Presquevoix...

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16 juillet 2020

huis-clos

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Elle vivait dans un monde de carton-pâte. Un huis clos où, dès sa dixième année, elle avait commencé à construire sa forteresse vide. C’est là qu’elle signait ses arrêts de mort, et elle ne s’en était pas privée car les astres avaient toujours suivi sa route.

A quatre-vingts ans, elle s’estimait toujours jeune et séduisante. Qui aurait pu ne pas l’aimer, elle qui n'avait pas vieilli ?

Un étrange chevalier à la triste figure s'était invité chez elle le jour de son anniversaire. Le croyant amoureux, elle l'avait fait entrer. Hélas, son armure l’avait terrassée et elle était arrivée au ciel sans jamais avoir pensé qu'elle aussi, un jour, aurait rencontré la mort.

Une fois au ciel, Saint Pierre lui avait posé une question, une seule.

-          Qui es-tu ?

-          Et toi ? lui avait-elle répondu, agacée.

Sans hésiter, Saint Pierre l’avait envoyée au purgatoire, et elle n'en était jamais revenue.

 

 

PS  : Photo prise dans le parc du lycée. Prochain texte, dimanche prochain.

 

12 juillet 2020

Le coach

L’entraînement avait commencé ainsi : « Allez les gars, faut y croire : l’entreprise est en déficit, , les chinois nous sautent à la gorge, des postes vont fermer, mais on est les meilleurs !

Le type qui les coachait pour la semaine était grand, musclé, et il travaillait aux ressources humaines. Son visage aux mâchoires larges ne lui plaisait nullement, sans parler de son discours, mais la séance était obligatoire.

Il jeta un coup d’œil vers Juliette dont les yeux étaient fixés sur « l’éphèbe » qui leur annonçait le programme de la journée. Elle avait l’air d’y croire. Pauvre Juliette, elle serait pourtant la première à franchir le pas de la porte car elle était la dernière arrivée.

Enervé par le discours du coach, il finit par dire.

-          Euh, votre « les gars » est déplacé, il y a une femme.

Aussitôt, la voix de Juliette retentit et il en fit dépité.

-          D’accord, il y a une femme, moi. Mais n’est-on pas prêt à faire des sacrifices pour l’entreprise ?

« Encore une qui est conne et aveugle ! » pensa-t-il. Il se demandait s’il ne devenait pas misogyne…

 

PS : Prochain texte le 16 juillet

 

10 juillet 2020

La fenêtre

 

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Elle cancanait toujours, que ce soit à la fenêtre ou ailleurs, et moi je l’observais, sans qu’elle le sache. Je finissais par la connaître mieux qu’elle ne se connaissait elle-même. C’est comme ça qu’un jour, je lui ai proposé une séance de tarot. Mais en fait de tarot, on est passé à autre chose, et cette autre chose lui a permis, au fil des semaines – et pour une somme modique, je dois dire – d’être en relation avec un pays lointain où elle n’avait jamais voyagé…

 

PS : photo prise à Honfleur, en juin 2020

 

8 juillet 2020

Duo de juillet

Nouveau duo avec Caro du blog lesheuresdecoton. Nous utiliserons dans ce texte, à l'endroit de notre choix, une phrase de Mado :


"Au plus tendre du poignet, à la plume, elle avait signé son envol d'un trait d'encre".

Aujourd'hui, voici mon texte :

 

Le Mont Fuji

 

Comment un tel corps pouvait-il exister ? Lourd, lourd, si lourd, que le monde n’avait plus de place pour lui. Elle ouvrit la fenêtre et  regarda - tout comme son frère jumeau avait l'habitude de le faire -  le ciel où les nuages traçaient des paysages imaginaires.

Au plus tendre du poignet, à la plume, elle avait signé son envol d'un trait d'encre. Puis, le sang avait semé d’infimes gouttes sur le papier blanc qu’elle avait placé à ses pieds et le Mont Fuji était apparu. Elle commencerait l’ascension entre chien et loup et, au sommet, elle contemplerait le ciel étoilé avant de s’endormir.

« Marion, Marion », entendit-elle. Comme souvent, il avait poussé la porte de sa chambre. Ce soir-là, elle n’osa pas le regarder mais elle lui dit.

-          Tu sais que tu ne peux pas rester ici, personne ne doit te voir.

Il ne répondit rien.

-          Ce soir je fais l’ascension du Mont Fuji. Tu viens ?

Il rit. La même fraîcheur que celle des jours heureux.

-          Je n’aime plus les montagnes.

-          Tu as peur ? demanda-t-elle.

-          Je n’ai plus peur, mais toi tu trembles.

Elle toucha sa peau moite où la peur dessinait un long chemin. Elle n’ignorait pas que pour monter au Mont Fuji elle serait seule ; seule dans la musique blanche de son corps déserté mais lourd, si lourd, qu’elle mettrait longtemps à arriver au sommet…  

 

 

6 juillet 2020

Duo de juillet

Nouveau duo avec Caro du blog lesheuresdecoton. Nous utiliserons dans ce texte, à l'endroit de notre choix, une phrase de Mado :


"Au plus tendre du poignet, à la plume, elle avait signé son envol d'un trait d'encre".

Voici le texte de Caro, le mien sera publié Mercredi prochain.

 

 

Cet été-là

 

Léane regarde les cinq colis que le livreur a déposés. Ils sont maintenant coincés entre le comptoir et l’armoire jusqu’à ce soir. D’ordinaire, avec ses cafés à tout heure et ses drinks au pied de la mer, la cahutte est bondée. D’ordinaire, tante Phyléa est la maîtresse des lieux. Cet été-là, cette dernière erre chez elle, abîmée par un virus qui a envahi le monde. D’ordinaire, les serviettes et les châteaux de sable redessinent la plumeplage. Cet été-là, la moitié des vacanciers espérés sont restés chez eux.

D’ordinaire, Léane vient aider sa tante pendant la haute saison : à la rentrée elle retrouve Lille, les petits boulots, Matthias son compagnon et Chevron, le chat. Elle connaît la cahutte depuis ses 15 ans ; elle venait y faire le coup de main. A défaut des vacances que ses parents ne lui payaient pas, les soirs à longer l’océan l’emportaient ailleurs. Ici rien n’est tout à fait réel, l’été est entre parenthèses. Il a cette odeur douce des peaux gorgées de crème solaire et de sel. Ici, elle a appris à surfer correctement et a engrangé les veillées avec braseros sur la plage et les amours faciles. Ici, elle a su le goût inégalable de certaines enfances.

Un groupe de touristes luxembourgeois vient de quitter la paillotte. Il est 10 h, seul en terrasse, l’homme au polo rêve devant son café. Il se lève et laisse quelques pièces. Il vient chaque jour, le matin et avant la fermeture. Il est chic et sobre, sans ostentation. Un soir, alors que la nièce et la tante prenaient l’apéritif une fois le rideau de la devanture baissé, Phyléa s’était imaginée lire les lignes de la main de ce client dont le prénom leur était inconnu. La cocasserie du curriculum qu’elle avait alors improvisé les avaient amusées toutes deux jusque tard dans la nuit.

Cet été-là, Léane a posé ses bagages dans la chambre minuscule qui l’accueille pour la saison depuis ses 15 ans. Elle a laissé derrière elle, Lille, Chevron, le chat, et Matthias.

Léane sait que rien n’est sûr dans les plis hasardeux d’une paume, mais lire un visage… De l’homme au polo, elle discerne les lignes de vie majeures : pas d’amertume au coin des lèvres, le pli de celui qui rêve et réfléchit, le réseau infime au coin des yeux qui marque le rire. Alors que Léane débarrasse la table, elle trouve un papier froissé : "Au plus tendre du poignet, à la plume, elle avait signé son envol d'un trait d'encre". La jeune femme regarde le minuscule tatouage qui orne, depuis son arrivée, son poignet droit, une plume d’où s’envolent de minuscules oiseaux. Elle observe l’homme qui s’éloigne, il faudrait qu’elle ose lui parler. Il faudrait quelle lui rende le papier qu’elle tient dans sa main.

 

 

 

 

 

 

4 juillet 2020

La digestion

7 ans qu’ils étaient mariés et depuis 1 an, à chaque fois qu’elle lui adressait la parole, c’était pour des problèmes de digestion : ballonnements, nausées, vomissements, renvois, et tant d’autres tourments encore.

Jusqu’au jour où il lui dit.

-          Au chiotte la digestion !

Elle en resta bouche bée et son ventre gonfla immédiatement. Cinq minutes plus tard elle lui répondit.

-          Tu as vu mon ventre ?

-          Consulte ! Tu  me parles que de ça, à croire que tu n’as pas d’esprit !

Il regretta de lui avoir parler de son esprit, car sa femme pensait - elle était professeur de philosophie au lycée Prévert - mais pas avec lui.

Elle finit par lui avouer.

-          Peut-être qu’on devrait consulter tous les deux, tu ne crois pas ?

Il répondit aussitôt.

-          Moi, je vais bien, pas de problèmes de digestion. Par ailleurs, j’aurai sans doute pas les mots pour le dire, je suis charpentier, tu sais.

Sa bouche se marqua d’un léger rictus. Et, cinq minutes plus tard, elle conclut.

-          Tu ne t’appellerais pas Joseph, aussi ? Ça m’arrangerait tu vois, parce que là, je saurais vraiment que je vais être enceinte !

2 juillet 2020

Les hurlements

 

 

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Pourquoi hurlait-il aux loups ? Elle avait plusieurs fois essayé de lui poser la question mais le hurlement recommençait aussitôt et c’était insupportable. D’autant plus qu’il hurlait à d’étranges moments : quand il allait vider les poubelles, quand il commençait à faire la vaisselle ou quand il partait faire les courses à Intermarché. Elle avait fini par faire ces trois activités elle-même et la situation s’était améliorée.

Quand elle lui avait demandé de faire le repassage à sa place – pour équilibrer les tâches ménagères – elle n’avait pas réitéré la demande car son hurlement avait effrayé la voisine qui avait frappé à la porte. Pour s’excuser, elle avait inventé une histoire rocambolesque qui l’avait assurément fait passer pour folle.

Depuis, elle faisait aussi le repassage elle-même pendant qu’il travaillait devant son ordinateur ; mais travaillait-il vraiment ?

 

PS : petite statue prise dans le parc du Gerês, au Portugal, en 2019

 

30 juin 2020

Le discours imaginaire de rentrée scolaire 2020

Un bourdonnement couvre la voix du Proviseur, comme d’habitude, mais cette année, on a des masques. Au programme, les résultats du bac – excellents, pour une fois, car c’était un bac COVID et il y a eu 100 % de réussite alors que d’habitude on touche les 70 % - les classes à 35 élèves – 36 parfois – les premières terminales versus réforme Blanquer, les consignes de rentrée du rectorat etc. L’ennui aidant, on se concentre sur les « éléments de langage », c’est tout de même plus drôle.

Ce nouveau Proviseur fait de son mieux pour mettre en application les mots clefs de la « novlangue ». Il commence d’entrée avec le « protocole sanitaire » - port de masques, gel, gestes barrières etc - il « balaie le conducteur », avant d’« impacter » » et « d’élargir le périmètre » parle de « bienveillance » – forcément – et soudain surgit le « retour sur investissement », suivi des « cohortes d’élèves »  qui  me terrifient et m’évoquent les troupes d’invasion de Gengis Khan.

Au bout de 40 minutes, le bourdonnement s’accentue et, avec les masques on ne comprend vraiment plus rien.  Certains professeurs, distraits, auront raté – tant pis pour eux -  les plus belles envolées poétiques du discours, avec « le travail en distanciel », le « décalage temporel », « la mouvance » . Emue, j’ai presque eu envie d’applaudir, voire de pleurer, l’émotion.

Une année scolaire qui s’annonce  aussi mauvaise que la précédente, mais ce n’est pas grave, l’essentiel c’est de participer, non ? Et question participation, nous sommes les meilleurs, car l’année dernière, nous avons tellement participé que nous avons travaillé en distanciel et en présence. Qui dit mieux ?

28 juin 2020

Dieu-E ?

 

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Dieu est une femme, je l’ai rencontrée, voici ce qu’elle lui avait dit à la cafétéria de l’hôpital psychiatrique. Il avait failli lui répondre qu’il se fichait que Dieu soit une femme ou un homme car il ne croyait en rien. Mais peut-on dire que l’on ne croit en rien, que l’on ne pense à rien, que l’on ne s’oblige à rien ?

Pour lui, le rien était apparu dès sa naissance, et peu à peu, il était entré dans sa vie. Un désert de rien. Une immensité de rien dans le bleu de l’humanité. Quelqu’un avait-il déjà écrit sur ce RIEN-là ?

Fernando Pessoa, peut-être, mais il ne se reconnaissait nullement dans cet écrit qu’il avait pourtant inscrit sur le mur de sa chambre, face à son lit :

« Je ne suis rien

Jamais je ne serai rien

Je ne puis vouloir être rien

Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde. »

 

Lui, ne portait aucun rêve, mais il ouvrait son cœur au rien…

 

PS : photo prise à Rouen, sur l’un des murs de la ville.

25 juin 2020

le pied


Elle prenait son pied partout. Quel mal y avait-il à ça ? D'autant plus que maintenant, elle portait un masque, et que les choses se faisaient  dans la plus grande discrétion.

PS : prochain texte dimanche 28 juin.

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