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Presquevoix...

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24 mai 2021

Mère et fille

Marion  avait demandé à son amie.

-          Alors, avec ta mère, tout s’est bien passé pendant cette semaine de vacances avec elle ?

-          Oui, ma mère, c’est une merveille !

Marion n’avait rien répondu car elle savait qu’avec un thème pareil la conversation pouvait durer des heures ; et  pour le pire, car sa mère à elle était une narcissique invétérée et non une merveille. Souvent, lorsqu’elle parlait de sa génitrice, elle avait l’impression de gêner, comme si dire du mal de sa mère était encore un sujet tabou. Certaines amies, même, ne la croyaient pas.

-          Mais elle est vraiment comme ça ta mère ? Tu n’exagères pas un peu ?

-          Non, pas du tout. Tu crois que c’est la seule ? Evidemment, c’est mon point de vue. Si tu la voyais, tu la trouverais peut-être charmante ma mère,  mais tu n’es pas sa fille, et entre vous deux, il n’y a pas eu le « drame terrible » de la rivalité. D’ailleurs, au royaume de la « rivalité », les filles sont souvent perdantes, j’en sais quelque chose car j’ai failli ne jamais pouvoir reprendre la course de la vie.

Parfois, avec cette petite voix douce qu’elle aimait utiliser pour apaiser l’atmosphère, elle en arrivait à la conclusion suivante.

-          Mais bon,  peut-être que de nos jours, les choses ont changé. Peut-être même qu’aujourd’hui, mères et filles s’entendent  toutes à merveille dans le meilleur des mondes, qui sait ?

Ses amies ne répondaient rien et, peut-être, pensaient à leur fille – si elles en avaient une -  qui se dirigeait à grands pas vers l’adolescence et ses tourments…

 

PS : prochain texte, jeudi.

20 mai 2021

Le dentier

Hier matin, j'ai sorti mon vélo du garage, comme je le fais tous les jours pour aller travailler. Je l'ai mis contre le mur pour fermer la porte, et c'est là que je l'ai vu. Il brillait d'un petit éclat métallique sur la chaussée le long du trottoir. Je me suis approchée, on ne sait jamais ce que l'on peut trouver, mais ce que j'ai découvert m'a horrifiée : c'était un dentier !
Quel esprit malveillant avait laissé un dentier devant chez moi ? Je dois dire que je suis parfois paranoïaque, surtout quand le temps est à la pluie. Mais peut-être était-ce dieu qui voulait m'inviter à réfléchir ? J'avoue que je réfléchis peu. Je ne suis pas de ces femmes qui voyagent par monts et par vaux sur le chemins des idées. Je suis une femme simple ; si simple d'ailleurs que ce soir, je vais me boire un porto à la terrasse d'un café, juste pour croire que je ne suis pas en France mais au Portugal...

 

PS : prochain texte, lundi prochain.

17 mai 2021

19 mai

Après le travail, mercredi 19 mai, je m’assiérai à la terrasse du bar des mimosas. C’était un bon poste d’observation avant le COVID. Je prendrai une bière, peut-être deux, histoire de sentir l’exictation de l’ébriété sans m’y abandonner, et je regarderai mes semblables mordre la poussière du coivd.

Nous ferons, ensemble, notre entrée dans un monde où la fragilité peut, à tout instant, nous faire basculer dans un nouveau confinement où, les fermetures de ces lieux qui nous lient, donnent à la vie le visage d’une momie.

 

13 mai 2021

Nadia

Il s’était fait tatouer le prénom de sa compagne – Nadia – avant de la tuer.

-          Mais pourquoi ? avait demandé le juge.

-          Un problème de déontologie, avait répondu l’assassin.

Puis il avait ajouté, pour préciser.

-          Sans mort, pas d’amour à vie.

Le juge avait sorti un long mouchoir à carreaux rouges et noirs avant d’éternuer.  Jusqu’à quand allait-il supporter d’entendre ça ? Jusqu’à quand ses jours seraient-ils plus noirs que ses nuits ?

 

PS : prochain texte, lundi

 

10 mai 2021

Le corps, le visage et l’esprit

On l’avait appelé l’embaumeur bien avant que ce ne fût sa profession. Il faut dire que dès son enfance il avait aimé  mettre du baume au cœur des gens. Il savait - l’espace de quelques instants -  réconcilier les êtres  avec eux-mêmes et avec les autres, quand les tensions entraient dans leur cœur.

Mettre du baume au cœur, personne ne  le lui avait appris, ce don lui était arrivé par « l’opération du Saint Esprit » comme le disait souvent sa mère. Dans sa générosité, le Saint Esprit lui avait ajouté un autre don :  restaurer les visages et les corps. Il avait commencé par celui de sa grand-mère. « Presque un artiste », avait dit sa mère, émue, quand elle avait vu sa propre mère au funérarium. Et c’en était un. Il était sans doute l’un des rares à pouvoir réconcilier aussi vite les vivants et les morts et maintenant, à l’âge de quarante ans, il avait ajouté une nouvelle corde à son arc, la cythare indienne, un instrument qui lui permettait de voyager dans l’entre-deux, disait-il…

 

PS : prochain texte, jeudi.

 

 

6 mai 2021

Le fantôme

Je ne suis plus personne, mais personne ne le sait. Au travail, j’évite de me faire remarquer : neutralité et bienveillance. Derrière mon dos, on m’appelle « le Suisse ». Je n’existe pas plus qu’un masque ou un stylo. Quand mes collègues parlent, leurs conversations passent au-dessus de moi. Cela ne me déplait pas au fond, cette façon fantomatique d’être présent au monde. Les fantômes n’offrent aucune prise, aucune implication, aucun engagement.

Il arrive parfois qu’une femme –  les hommes préfèrent rester silencieux -  m’adresse la parole. Alors là, je sors du cadre et je dis deux ou trois mots, rarement plus, car mes  discussions, je les ai avec moi-même et les confidences se font de moi à moi, ça suffit.

 

PS : prochain texte, lundi

 

3 mai 2021

Le juge

Ce midi, le juge a bien mangé et bu gentiment ; un petit vin de bordeaux pas désagréable lui a permis de digérer  son roti de porc. Une fois sorti du restaurant, il se rend au travail. Quinze minutes à pieds, guère plus, et cette marche lui fait du bien. Le ciel perdure dans son bleu limpide et il sait qu’à 18 h 30 il verra Isabelle, cette jeune avocate qui titille en lui ce corps qui sommeille depuis si longtemps ; ses 30 ans de vie de couple l'ont anesthésié.

Quand il arrive pour les comparutions immédiates, il est 14 h 30. Juste avant d’entrer, il est passé par la case toilettes pour se laver les dents – nécessaire, même si le masque protège – et il s’est aussi rincé la figure, certes on ne le prendra pas en photo mais une présentation correcte fait partie du métier.

Sa bonne humeur était telle, le vin de bordeaux aide, que les comparutions immédiates ont été menées légèrement : deux peines de prison sur 10 alors qu’ en temps ordinaire, il arrive à au moins 4 sur 10. Même le tunisien accusé de vente de stupéfiants pour la troisième fois, ainsi que l’homme accusé d’insultes renouvelées à agent sur la voie publique ont échappé à la case prison.

Oui, monsieur le juge était en grande forme : ouvert, cordial et bienveillant.

 

PS : prochain texte, jeudi.

 

29 avril 2021

Conseiller financier

Je suis conseiller financier au Crédit Bilatéral. J’écoute plus que je ne donne de conseils. Au début, ça me paraissait bizarre, je pensais que dans un poste comme celui-ci, j’allais être obligé de parler 80 % du temps pour aligner les avantages du crédit B ou du placement C. Eh bien non. Depuis le COVID – et même avant - les clients passent leur temps à me parler d’eux. J’ai même des confessions. Par exemple, avant-hier après midi, une cliente venue vérifier où en était son épargne et comment elle pourrait investir son petit capital en prévisison d’un divorce, s’est mise instantanément à me parler de ses problèmes avec son mari. Pourquoi à moi ? Allez savoir. Heureusement, aucune demande particulière hors contrat n’a fait suite à sa liste de plaintes. Sinon, aurais-je pu dire non ? Elle n’était pas mal cette cliente : grande, élancée, brune, les yeux verts, bref, le genre de femme qui ne passe pas inaperçue.

Ce jour-là, a suivi un homme, 50 ans, grand aussi, mais le regard triste. Si ces placements lui ont fait poser question sur question pendant 20 minutes, ensuite il m’a parlé de sa tentative de suicide. J’aurais préféré ne pas savoir pourquoi, car cela m’a tristement rappelé mon propre cas. Il est impuissant. De père en fils, a-t-il ajouté, comme si l’impuissance était dans les gênes ! Je n’ai rien dit et, 15 minutes plus tard, j’ai sonné l’heure de la fin, le client suivant m’attendait.

Je me demande si je n’éprouve pas un certain plaisir à écouter le malheur des autres. Si j’en tire cette conclusion, c’est que la cliente suivante, une femme de 60 ans, m’a parlé en long, en large et en travers de son fils, le même âge que moi, et là, je me suis dis que ma mère aurait pu dire la même chose. Raison pour laquelle j’ai conclu, en disant  : Vous savez, ce n’est pas simple d’être un fils non plus. Elle n’a rien osé répondre à ce propos et a juste ajouté que je lui avait donné de bons conseils. J’ai souri. J’avais presque envie de lui tendre la main, mais en période de gestes barrières…

PS : prochain texte, lundi.

26 avril 2021

Souvenirs

Quand elle avait 16 ans et récitait ses psaumes rituels, elle avait l’impression d’être dans une église.

Elle commençait ainsi.

-          Je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai digne.

Et continuait avec.

-          Mon dieu, faites que la "sainte sacrificielle" ne m'interdise pas de rencontrer Paul. Elle le déteste et pourrait  être capable de le détruire pour que jamais je ne puisse le revoir.

Sa dernière  prière, qui précédait le « Amen » final, était.

-          Dis seulement une parole, une seule parole mon dieu et je m’estimerai.

Mais dieu ne répondait jamais, Peut être ne l’entendait-il pas ?

Maintenant, elle a 80 ans. Elle est allongée dans le lit de la petite maison de retraite où son fils l’a laissée il y a un an. Elle bouge peu, et  pense au passé en regardant le hêtre.  Heureuse elle ne l’est pas, triste non plus, et les heures s’écoulent dans la lenteur de ces journées où elle  dit - aux trois femmes qui partagent sa table lors des repas du midi et du soir - ne jamais voir personne. Pourtant, vivent avec elle tous les êtres qui ont fait partie de sa vie avant son mariage avec Pierre – l’homme que sa mère a choisi -  quand elle avait  20 ans.

 

PS : prochain texte jeudi.

22 avril 2021

Le bar

Aujourd’hui, on est le 14 juin 2021. Les cafés ont rouvert depuis une semaine. Je suis passé m’enfiler un déca, comme au bon vieux temps, chez Raymond et Martine, à deux pas de l’immeuble où j’ai une piaule. Moi, comme d’habitude, c’est toujours un déca. Les autres, non. Eux, c’est plutôt les couleurs du drapeau français, moins le bleu. Il y a pas encore de vin bleu, mais ça viendra, il y a déjà bien des roses bleus et des marguerites rouges, alors pourquoi pas du vin bleu, ça nous pend au nez ; et quand le vin sera bleu, les pifs auront des bleus.

Quand je suis entré, comme d’habitude, les mêmes dialogues : le temps, les faits divers, les ragots, le foot et… le COVID ! L’alcool ça tue la honte et ça crée des liens. On est tous un peu frères chez Raymond et Martine. Et, depuis que le COVID a envahi le monde, on est encore plus frères chez Raymond et Martine. Pourvu que ce connard de COVID soit pas envahi par les variants. Si jamais ça arrivait, ce serait l’horreur. Je  me demande – comme l’a dit Robert ce matin – si on  finira pas par voter à gauche – la vraie, si elle existe -  parce que quand même, on en a marre de ces cinglés qui gouvernent comme si on existait pas…

PS : prochain texte, lundi.

 

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