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Presquevoix...

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2 octobre 2021

Le feu

Il en était à sa troisième église et à son premier carmel. Ces incendies le mettaient en joie. Il se contentait de lieux inhabités où messes, religieuses, curés et paroissiens avaient disparu à jamais. Déserté, le catholicisme tombait en ruines, donc qu’importait que les toitures s’effondrent après les flammes qu’il allumait de ses longues mains fébriles.

Les églises, il ne les avait jamais aimées, non qu’il ait été, un jour, victime d’un prêtre pédophile, mais l'évangile avait terrorisé son enfance. Sa grand-mère – lorsqu'elle le gardait – l’obligeait à lire une page de l' évangile selon Saint Mathieu chaque jour. Pourquoi  Saint Mathieu ? Sans doute parce que son mari, mort en Algérie, s’appelait Mathieu.

A chaque fois que l’incendie commençait, il hurlait : « Satan en a décidé ainsi, et Satan, c’est moi ». N’était-ce pas ce que disait sa grand-mère à sa mère.

-          Ton fils, c’est Satan personifié ! Il est comme son père, il obéit à rien !

Il avait, d’une certaine façon, répondu  à l’appel du feu pour purifier sa vie de paumée, une vie qui le poussait à aller de ville en ville, lui qui pourtant avait fait des études. Il se disait  charpentier, comme le père de Jésus ; d’ailleurs lui aussi s’appelait Joseph…

PS : prochain texte, mardi.

28 septembre 2021

La rencontre

En ce mardi matin, il était de course au centre commercial. La voiture garée, il alla rapidement chercher un chariot avant d’entrer dans l’antre de la consommation. Peu de courses à faire pour lui, juste des bouteilles de bière – plusieurs parce que ces derniers temps les températures étaient à la hausse – et du vin, car depuis que les vaccins étaient eux-mêmes à la hausse, leurs invitations l’étaient aussi ; et, quand il s’agissait de vin, sa femme lui demandait de se déplacer avec l’argument suivant.

-          Tes amis boivent plus que leurs femmes  !

Arrivé tôt, aucune queue à la caisse, juste une femme d’une quarentaine d’années qui déposaient ses céréales, biscuits, légumes, fruits et bouteilles d’eau et de lait devant la caissière. Plutôt longue sa liste de courses, mais elle avait un beau visage et un sourire qui donnait envie d’attendre. Il faut dire qu’à son âge – soixante dix ans – il ne se privait jamais du plaisir que ses yeux lui offraient ; il faut dire que le sexe, lui, était en liste d’attente depuis longtemps.

Une fois son caddie rempli, la jeune femme lui dit, amusée.

-          Ah, votre caddie est beaucoup plus intéressant que le mien dirait-on ? Vous avez une fête chez vous, peut-être ?

-          C’est effectivement ce que je me suis dit en comparant nos caddies respectifs.  Vous savez, à mon âge, c’est vacances tous les jours, alors, on en profite ! Mais bon, des vacances un peu particulières, puisqu’à la fin, on meurt !

La jeune femme ne sembla pas démoralisée par cette vaguelette de cynisme et elle conclut en souriant.

-          Alors bonne fête ! Pour moi, c’est triple peine. Le matin, les courses,  l’après-midi mon travail à mi-temps, et le soir, la cuisine, les enfants et mon mari. Quelle chance vous avez ! J’ai hâte d’avoir votre âge, mais je n’ai pas hâte de mourir. A une prochaine fois peut-être, qui sait ?

Et elle partit en poussant son chariot à vive allure. Il se demanda si son épouse, à l’âge qui était celui de cette jeune femme, aurait pu dire la même chose avec autant d’esprit. Dès qu’il rentrerait, il lui poserait la question.

 

PS : prochain texte, samedi.

 

 

25 septembre 2021

Dialoguer

 Elle lui avait dit au milieu du repas.

-          Moi, maintenant je vais manger avec un miroir en face de moi.

Comme d’habitude, il ne répondit rien et continua à manger la délicieuse paella qu’il avait achetée.

-          Tu m’as entendue ?

Il arrêta de mastiquer sa crevette et répondit.

-          Oui, tu vas manger avec un miroir.

-          Et tu sais pourquoi ?

-          Il me semble.

-          Donc ?

A nouveau le silence. Sans doute aurait-elle préféré qu’il parle, parfois, lors de ces soirées d’été où ils dînaient sur leur terrasse qui donnait sur un vaste jardin où trônait un cèdre centenaire ; mais cet homme était un puit de silence.

C’est au moment où il termina sa paella qu’il conclut.

-          Tu vois, le silence m’apaise, comme le cèdre. Toi, rien ne t’apaise. Sept ans de non-apaisement ça doit être long, non ? Donc, comme tu vas avoir un nouveau conjoint, le miroir, je vais partir. Et tout ira mieux, pour toi et pour moi.

Il se leva, traversa le jardin et prit le nouveau chemin qui était le sien, sans regarder derrière lui…

 

PS : prochain texte, mardi.

21 septembre 2021

Un étrange métier

Il disait toujours que les cons ça ne manquait pas et qu’ il les sentait ; son nez ne se trompait jamais. Il faut dire que mon ami avait quitté son poste d’enseignant – la lassitude l’avait broyé -  afin de devenir « auto-entrepreneur en gestion des cons ».

Son affaire marchait bien. En général, les gens s’adressaient à lui individuellement, mais parfois, de petits groupes lui demandaient conseil. Sa théorie était simple : d’abord il fallait  comprendre le con – fastidieux, mais nécessaire - et ensuite le marginaliser.

Je l’écoutais attentivement, d’autant plus que j’étais sûr que  mon chef de service en était un. Non qu’il me l’ait dit – j’avais bien compris qu’un con ne se reconnaît jamais lui-même – mais sa suffisance et son « art » du truisme atteignaient des sommets.

Mon ami, expert en stratégies, m’avait souligné.

-          Sois aimable avec ton chef, demande lui des conseils, parle-lui. Ce peut être douloureux  et cela demande une grande capacité d’attention et d’observation, mais tu verras que c’est la meilleure solution pour entrer au cœur des choses.

Et il avait  raison.

J’ai abandonné mon ancien travail et nous avons maintenant, mon ami et moi-même, notre petite entreprise. Nous intervenons partout : dans les usines, les entreprises, les banques, les commissariats, les ministères, et même à l’Elysée. Etrange, non ?

J’avoue que maintenant, aller au travail est un plaisir car j’ai enfin l’impression que ma vie a du sens. Peut-être que cela vous fait rire et peut-être me prenez-vous moi-même pour un con ? Qui sait ?

 

PS : prochain texte, samedi.

 

 

18 septembre 2021

Choisir

Peut-on connaître la face cachée des autres ? se disait-elle devant le porche de l’ église romane de son enfance, dans sa robe blanche, en cette journée de fin d’été. Mais qu’attendait-elle ? Etait-elle de ce monde ? Son amie Gina lui avait dit.

-          Ma pauvre ! Mais dans ce siècle qui est le nôtre, on se fout de tout ça ! Change de siècle et ça ira mieux !

En ce moment deux hommes – l’un sombre, l’autre lumineux - avaient creusé leur vie dans le nid de son cerveau, et voilà qu’elle ne pensait qu’à eux. L’un ressemblait  à un envoyé de Dieu, l’autre à un artiste ; et leurs corps tournaient en boucle à la vitesse d’une tornade. L’un prêchait, l’autre créait ; l’un disait parler avec Dieu, l’autre, de ses couleurs vives, peignait un monde inconnu. Quel chemin devait-elle prendre ?

Voici pourquoi elle avait choisi l’apaisement de cette église où nul – ni homme, ni femme, ni prêtre -  ne pénétrait depuis longtemps.

Mais qui vaincrait ? L’art, la religion ou les deux ?

 

PS : prochain texte, mardi.

 

14 septembre 2021

Les pompes funèbres

"Aux pompes funèbres, les pompes qu'il vous faut". C'est ainsi qu'il avait appelé son magasin de pompes funèbres. Sa femme avait été réticente, comme souvent, mais il n’avait pas changé d’un iota le nom de cette merveilleuse boutique dont il était fier car elle comportait aussi un rayon chaussures ; pour enterrement, bien sûr.

Un ami avait essayé de lui suggérer qu’il y avait parfois des limites à ne pas dépasser. Mais lui avait juste répliqué.

-          Rien de pire que le silence des pantoufles !

-          Je ne comprends pas, avait répondu son ami. Quel rapport entre ton magasin et les pantoufles.

-          Eh bien, tout ça pour te dire qu’il n’y a rien de pire que les gens qui stagnent dans la tradition. Je peux te dire que mes  pompes funèbres à moi auront bien plus de succès que les pompes funèbres du bout de la rue ! Peut-être à cause du rayon chaussures, d’ailleurs.

Et le magasin ouvrit, ainsi nommé. Les clients furent nombreux, certes, mais cinq mois après l’ouverture, à  l’âge de 40 ans, il fut dans l’obligation d'avoir lui-même aux pieds  ses pompes funèbres "maison" car il mourut d’un arrêt cardiaque.

 

PS : prochain texte, samedi.

11 septembre 2021

Le drapeau

Elle l’avait vu passer dans différentes rues puis s’asseoir au café avec son drapeau qui disait « Je serais comtent de parler avec vous ou de vous écouter ». Quel âge avait-il ? 75 ans ? Peut-être plus. Ce n’est pas qu’il avait l’air sympathique, non, mais son drapeau l’avait touchée.  Qui était-il ?

Une heure qu’elle le suivait de rue en rue, à distance, mais personne n’avait encore fait le geste de lui parler. Finalement, il  choisit une toute petite terrasse d’un café inconnu. Il mit son drapeau à terre et sortit un livre. Son visage était taillé à la serpe et ses yeux d’un gris profond disaient les orages de la vie. Une fois près de sa table, elle lui demanda si elle pouvait s’asseoir à ses côtés. Il lui répondit aussitôt.

-          Mais je ne vous connais pas.

-          Certes, mais j’ai vu votre drapeau « Je serais comtent de parler avec vous ou de vous écouter », alors je me suis dit que peut-être…

-          Ah, mon drapeau, mais là vous êtes en dehors de mes heures de service, alors impossible de vous asseoir à ma table.

Elle ne sut quoi répondre. Oui, le type était fou, vieux et fou, et peut être depuis longtemps. Finalement elle préféra conclure avec humour, même si l’humour était un pays étranger où ce vieil homme n’avait sans doute jamais dû voyager.

-           Dommage, car moi aussi j’ai un drapeau, même s’il est invisible. Et il dit " Tout étranger, quel qu’il soit, peut-entrer dans la maison de mon âme, à n’importe quelle heure de la journée."

 

PS : prochain texte, mardi.

7 septembre 2021

Grivoiserie ?

J’adore aller au café, non à cause du serveur – même s’il est jeune et sympathique - mais parce que j’y lis le journal, prétexte idéal pour écouter ce qui se dit du monde aux tables avoisinantes.

Avant-hier, le garçon – trente cinq ans environ - est arrivé instantanément avec la commande que je n’avais pas encore passée. Bien sûr, il connaît ce que mon mari et moi-même prenons les samedi et dimanche, mais une telle hâte !

« Emue » par ce non-temps d’attente, je lui ai dit.

-          Eh bien, vous êtes rapide aujourd’hui !

Et lui de me répondre en souriant.

-          Ce n’est poutant pas ce que disait mon ex-femme !

Je dois dire que je m’y attendais tellement peu que j’ai éclaté d’un rire tonitruant ; mais sans doute n’est-ce que ma grivoiserie – un héritage paternel – qui m’a laissé imaginer que…

Peut-être voulait-il simplement dire que son ex-femme lui reprochait de ne pas l’aider rapidement à mettre le couvert le soir et que…

 

PS : prochain texte, samedi.

4 septembre 2021

La rentrée

J’adore les journées de rentrée scolaire. C’est l’occasion de remettre à jour la langue de bois de l’éducation nationale.

Cette année, nous avons eu droit, au « carré régalien », aux pass – divers et variés : le pass sanitaire, bien sûr, mais aussi le pass sport et le pass culture. Le « cadrage » revient à la mode – nous sommes très cadrés, nous les enseignants – et  « l’accompagnement personnalisé » poursuit son chemin, d’autant plus personnalisé, d’ailleurs, que les effectifs dans chaque classe de  seconde atteignent 35 élèves, et que les élèves ne fonctionnent jamais, ou presque, en demi-groupe ! Et puis, comme apothéose, nous avons eu les « cordées de la réussite » qui « visent à être, de l'accompagnement à l'orientation, un réel levier d'égalité des chances. ».

Tout ceci m’a beaucoup fait rire, mais j’étais la seule, dommage. Si nous étions plus nombreux, l’ambiance serait certainement bien plus détendue.

Oui, notre Ministre veut que nous donnions de « l’ambition aux jeunes » et que nous luttions contre « le décrochage scolaire » parce que les deux priorités sont « la réussite » et « l’ambition ». Je me demande si Monsieur Blanquer a déjà écouté un professeur, un seul, depuis le début de sa « brillante » carrière de ministre. Oui, c’est étonnant que l’on ne demande jamais leur avis aux enseignants. Pourquoi ne pas tirer au sort 10 professeurs du primaire, 10 du collège et 10 du lycée afin de savoir exactement quels sont les besoins des enseignants, quelles sont  leurs critiques et vers quel chemin pédagogique ils trouveraient important de s’engager ?

Sans doute le ministre pense-t-il que les enseignants ne disposent pas de cette extraordinaire capacité de réflexion et de création qui est celle des ministres et des hauts fonctionnaires de l’administration ! 😉

D’ailleurs, leur capacité est telle, qu’il sont en train de décourager élèves et professeurs, me semble-t-il…

 

PS : prochain texte, mardi.

31 août 2021

Bibliothécaire

L’année de sa retraite, elle s’était trouvée une activité particulière qui lui permettait à la fois de faire travailler les muscles de son cerveau et de son corps : elle était devenue bibliothécaire d’une bibiothèque à pédales.

La chose était simple : elle avait supprimé de ses trois bibiliothèques tous les livres pour enfants et adultes qu’elle ou ses enfants ne souhaitaient plus garder et elle passait de quartier en quartier une fois par semaine, dès que le printemps prenait son envol.

Sa bicyclette était décorée de fleurs et elle annonçait son arrivée d’une voix chantante harmonisée d’une mélodie.

« L’affaire », si elle pouvait l’appeler ainsi car personne ne payait quoi que ce soit, marchait bien et nombreux étaient les enfants qui empruntaient des livres et lui demandaient conseil. Rares étaient les adultes – en dehors des mères qui parfois jetaient un coup d’œil aux titres des livres. C’est sans pour cette raison qu’elle fut surprise par le jeune homme – une trentaine d’année – qui s’arrêta près de sa bilbiothèque à pédales. Les yeux cernés, le visage triste et revêtu d’un pantalon qui n’avait pas d’âge. Il lui dit.

-          Moi aussi je peux ?

-          Bien sûr monsieur. Tout le monde peut, répondit-elle l’air souriant.

-          Je cherche un livre sur l’étrange, mais je n’ai pas de titre.

-          Un auteur peut-être ?

-          Pas d’auteur.

-          Bon, je vais trouver ça.

Elle consulta les 50 livres qu’elle avait ce jour-là et elle en sortit un.

-          Pourquoi pas « l’étranger » ?

-          Comment vous avez deviné ?

-          Devinez quoi ?

-          Que c’était celui qu’il me fallait ?

-          Ah mon âge, monsieur, on devine beaucoup de choses. Mais profitez bien du vôtre, car à votre âge, il y a tant de choses à faire.

Il prit le livre, lut la quatrième de couverture et, après lui avoir demandé quand il devait le lui rendre, il la remercia, lui tendit la main, puis s’éloigna, le regard perdu dans son drôle de monde

 

PS : prochain texte, samedi prochain.

 

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