Avec Caro-carito, du blog "les heures de coton", nous avons décidé d'écrire un texte à partir des deux contraintes suivantes : la chanson "Comme un étranger dans la ville", chantée par Eddy Mitchell et l'existence d'une "Association de fous et de rêveurs"
Ci-dessous, vous pouvez lire le texte de Caro-carito , quant au mien, il se trouve sur son blog.
Saint Malo, 2 mars 2011
L’écume et l’asphalte.
Je suis né dans un hôpital des quartiers nord de la ville. J’y ai grandi, joué au foot, accumulé les bêtises de tout gamin jusqu’à ce que mes parents emménagent dans une loge de concierge en centre ville, chic. Trois pièces sur arrière-cour et du marbre qui s’arrêtaient devant notre loge. De fines veines rouges et brunes qui envahissaient la pierre brillante et dorée et qui se plissaient au contact des colonnettes et du miroir vénitien du large hall d’entrée.
Le premier matin, je scrutai les rectangles de pierre à la recherche d’un fossile et ses volutes fragiles, emprisonnés par un, deux, trois millénaires. Une main me saisit au collet. Une moustache me cracha au visage quelques mots bien sentis, accompagnés d’un coup de pied aux fesses. Je venais de faire connaissance avec le propriétaire du troisième, le Colonel. Dès lors, il me fit la vie dure.
Le lendemain, je pris le tram 19 pour retrouver les terrains vagues et les copains. Cela dura le temps de l’été. Un après-midi, je restai seul sur le banc de touche, les regardant rire et s’éloigner. Je me levai et fis un geste à Medhi ; jusque-là, nous partagions le même anniversaire.
La rentrée scolaire m’enferma encore plus sûrement dans notre séjour trop étroit. Mon père bricolait à droite à gauche. Il disait qu’il arrondissait les fins de mois ; mais, en l’embrassant, je sentais le parfum de ses gauloises, du verre de vin d’après le taf et les conversations partagées avec les ouvriers du quartier limitrophe.
Ma mère passait chaque matin sa main fatiguée dans mes boucles blondes. Elle redressait mon col, mais cela n’arrangeait rien. Nous étions seuls. Sans destination d’été pour nous évader dès juillet dans une voiture poussive et surchargée. Elle revint un jour du presbytère un livre dans son sac. Elle avait voulu s’inscrire à une réunion de femmes du quartier. Sur le seuil du presbytère, une femme lui avait dit qu’elle s’était sans doute trompée de date et elle lui avait indiqué une bibliothèque. La lumière naquit de nos lectures sous l’abat-jour.
Jusqu’à Lauréliane. Ce n’était pas une nouvelle arrivée, ni une étrangère, nous avions toujours fréquenté les mêmes classes. C’était une bonne élève, banale. À 16 ans, elle devint laide. Pas repoussante, car elle aurait pu avoir un genre : de jolis mollets, des lèvres prometteuses, une poitrine qui attisait l’imagination d’adolescents en mal de première expérience. Non, Lauréliane était juste laide. Dès lors, elle me rejoignit sur le banc de touche.
J’enlevai ses lunettes, juste avant de l’embrasser à pleine bouche, à deux jours des épreuves de mathématiques du bac. L’année suivante, nous révisions ensemble médecine dans son appart qui donnait sur la fac et les cafés de carabins. Et quand je vis affiché que nous avions réussi brillamment notre première année, je pensai à l’enveloppe pliée dans ma poche qui contenait nos deux billets pour Ostende. Le vent sur la digue et l’écume. Nous promener sur le sable clair, en imaginant les prochains cours magistraux et d’éventuelles spécialisations chirurgicales. Ma main sur sa taille et ses cheveux bruns et raides comme des baguettes s’amusant d’une bourrasque.
Je me retournai, elle était là, souriante. Elle passa devant moi comme si j’étais un étranger. Elle rejoignit quelques étudiants de deuxième année qui l’accueillirent à bras ouverts. Elle ne portait plus de lunettes. J’appris plus tard qu’il s’agissait d’un groupe, une association d’anciens qui soi-disant rassemblait des fous et des rêveurs et qui avait pignon sur rue. Ils organisaient des fêtes huppées où l’on parlait de défis impossibles. De leurs rêves, je ne sus jamais rien, car quand je postulai, à l’évidence les miens étaient trop ternes. Je pris une chambre dans une résidence universitaire pourrie ; je tapissai les murs de listes de maladies et de symptômes, de schémas, je bâtissais des murets de livres de médecine. Dès que je pus, je gagnai les campus californiens.
A mes pieds, la baie de Rio. Ma mère est là pour quelques semaines. J’ai voulu lui offrir un iPad pour qu’elle ne transporte plus sa cargaison de romans, mais elle m’a dit que chez moi elle n’en avait pas besoin. Il lui suffisait de regarder la piscine et les palmiers. Mon père a sans doute récupéré la boîte à outils dans le garage et bricole à droite à gauche même si la maison ne souffre sans doute que d’une ampoule grillée. Ma femme s’affaire avec les enfants. Je l’ai rencontrée alors que je n’étais que chef de service dans cette clinique de chirurgie esthétique. Je la dirige et la possède aujourd’hui. Elle accompagnait ses parents et dans son sang coulent sans doute toutes les nations qui ont abordé les rives brésiliennes. Ma fille a des boucles dorées par le soleil, mon fils a la peau mate.
Hier, ils m’ont demandé « Là onde cresceste, há alguma praia ? » * J’ai repensé au bac à sable devant l’immeuble des Fauvettes qu’une invasion de junkies et de seringues avait condamné à deux coups de tractopelle.
Quand le matin se lève, avant que de quitter la maison, je crois parfois que l’écume envahit le sable des plages jusqu’à l’asphalte. Je pense alors à elle, à Lauréliane. Si je renouais avec ce pays gris et lointain, la reverrais-je seulement, même en rêve ?
* Là où tu as grandi, il y a une plage?