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Presquevoix...

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19 avril 2012

Les textes

A défaut d'être publié -  jamais aucun de ses manuscrits ne correspondait  " à la ligne éditoriale " des maisons  d’éditions contactées -  il distribuait ses textes dans les boîtes à lettres de Rouen, sans oublier de laisser son nom et son adresse, au cas où.  A chaque nouveau texte, il choisissait une nouvelle rue…


18 avril 2012

Les pastilles

Avant chaque cours, non seulement il se faisait une petite pulvérisation de spray buccal fluocaril, mais il la complétait par des pastilles Alibi, censées neutraliser les substances malodorantes. Ceci, pour la simple et bonne raison que des bruits avaient couru sur lui.  L’un de ses collègues de français affirmait  avoir entendu dire que des élèves de la Terminale S4 se seraient plaints, en pouffant, de son haleine pestilentielle.  Certes, ce collègue était  peu susceptible de bienveillance à son égard – ils avaient déjà eu plusieurs conflits au sujet de la réservation de la salle polyvalente  – mais deux précautions valaient tout de même mieux qu’une. Après tout, s’il disait vrai…


17 avril 2012

Le cinéma

Paul lui avait dit qu’au cinéma, dimanche dernier, il avait rencontré sa femme.
-    Ma femme ? Au cinéma ? Mais elle me dit toujours qu’elle déteste le cinéma. Et elle était avec qui ?
-    Ah, ça, je ne sais plus, répondit son ami embarrassé.
-    Tu vois, tu n’aurais rien dû me dire, parce qu’on ne souffre pas de ce que l’on ignore.
Une fois la rougeur passée, Paul essaya de plaisanter, mais il était trop tard.

16 avril 2012

La censure

Le pays allait de mal en pis. Tout était passé au rouleau compresseur de la censure. Les textes étaient ajustés en permanence et le Ministère de la Culture s’appelait maintenant Ministère de l’Orientation Islamique. La moindre allusion au corps était dépecée. Les mots avaient la fadeur de l’eau et les récits se décharnaient à vue d’œil. On remplaçait « faire l’amour » par « discussion », « sexe » par « relation amicale », « peau », par  « enveloppe », « sensualité » par « délicatesse »…
Le pays entier était emprisonné dans une camisole de chasteté dont les imams détenaient la clef.


PS : texte écrit à partir d’un article sur l’Iran, lu dans Libération

15 avril 2012

Les talons

Alors qu’elle était assise au restaurant, seule, les jambes sagement croisées, un  homme d’une soixantaine d’année s’est approché de sa table et lui a dit, admiratif,  en montrant ses escarpins.
-  Je me demande comment vous arrivez à marcher avec ça !
Elle lui a répondu en souriant qu’elle ne marchait pas avec, qu’elle se contentait juste de les mettre quand elle était assise, quand elle avait un rendez-vous un peu spécial.
-  Ah, vous attendez quelqu’un ?
-  Mais oui, vous ! a-t-elle répondu. Je vous en prie asseyez-vous, vous prendrez bien quelque chose avec moi.
Il ne s’est pas fait prié. Ensemble, ils ont dégusté entrée et plat principal arrosé d’un vin sympathique. Il a remarqué qu’elle prenait systématiquement ce qu’il y avait de plus cher. Après le plateau de fromages, elle s’est excusée, elle devait aller aux toilettes, une envie pressante. Et elle n’est jamais revenue.
Il a dû payer l’addition, pour lui… et pour elle.

14 avril 2012

Le porte- parapluie

Depuis  l’acquisition de ce porte-parapluie japonais pour vélo, elle faisait rencontre sur rencontre. Elle ne regrettait  pas ses 39 euros qui  lui avaient permis de croiser la route d’un nombre incalculable de cyclistes aux mollets affriolants : Michel, Eric, Jean Louis, Hervé, Guillaume, Jean, Charles, Frédéric…

13 avril 2012

Duo

Nouveau duo inspiré de cette photo de Patrick Cassagne.

Le texte que vous allez lire est de Caro-carito, du blog les heures de coton, quant à mon texte, il  est sur son blog.

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Main-fenêtreTerreur nocturne

Le rêve s’en était allé aussi brusquement qu’il était arrivé. Il passa la main sur le visage enfin apaisé d’Anne, sa bouche ronde à l’abandon. Il contempla encore un instant les traits paisibles de son épouse avant de se lever. Inutile d’espérer le sommeil, il valait mieux descendre dans la cuisine et guetter l’aube.


Ils s’étaient rencontrés à vingt ans et, était-ce leur jeunesse, ils avaient immédiatement cru qu’ils marcheraient longtemps côte à côte, peut-être même pour toujours. Et ils avaient reçu ce que l’on peut attendre de la vie : des rideaux clairs aux fenêtres, des repas d’amoureux où les bougies s’éteignent très vite puisque les nuits se font longues et douces. Un enfant… une fillette. Du travail et les cinq semaines de congés annuels pendant lesquels la voiture achetée d’occasion se traînait paresseusement sur les routes et les campings de France.


Il n’avait pas tout de suite remarqué les absences d’Anne. Ses silences qui envahissaient leurs soirs d’été et d’où elle revenait à chaque fois le regard flou. Une enfance et une jeunesse qu’il avait crues limpides et qui se révélaient mouvantes, envahies de non-dits et d’à-peu-près. Une vie passée qui se démultipliaient et qui n’en était aucune. Ces peurs aussi, qui interrompaient leur sommeil et que, infatigablement, il éloignait en lui chuchotant à l’oreille des mots d’enfants et des baisers légers.


Patiemment, il avait affronté les fantômes qui surgissaient de l’ombre, certain qu’à eux trois, une famille, ils sauraient vaincre la solitude apeurée des nuits, les tremblements qui la secouaient, les angoisses qui cherchaient à s’accrocher aux murs de papier de leur pavillon.


Et peu à peu les peurs avaient disparu. Anne souriait à leur enfant, leurs mains se mêlaient à nouveau pour une sortie du dimanche ou pour un bouquet ou un châle offert. Ils s’endormaient l’un contre l’autre et, en épiant son souffle léger et ses yeux paisiblement clos, il se disait que leur jeunesse avait sans doute eu raison.


Une nuit, il la sentit tremblante contre lui. Elle lui avoua alors les cauchemars qui l’avaient accompagnée depuis l'enfance et qui avaient presque tous fini par s’éclipser. Tous sauf un qui revenait inlassablement. Elle avait douze ans, marchait puis fuyait devant une menace inconnue et, arrivée à cette porte-fenêtre où une main…


Depuis, chaque nuit, le  doux corps d’Anne qui se pressait contre lui secoué de frayeurs le réveillait. Il contemplait cette peau familière, trempée de sueurs et de frissons glacés et remontait le drap jusqu’à l’arrondi de l’épaule. Il savait désormais. Le combat était perdu d’avance et son impuissance l’atterrait.


Le mois passé, Anne avait cessé de voir cette spécialiste, Mme M., qui n’avait pas su démêler les fils de ses terreurs. Il n’avait rien dit, s’était résigné. Ce qu’il avait cru être un amour éternel se révélait une illusion pareille à tant d’autres. Désormais, il veillait sur l’âme brisée d’Anne sans plus de convictions que celles que donnent l’habitude et le devoir.


Hier en faisant quelques courses, il avait rencontré Madame M. Présentation, rapide bonsoir. Elle était presque loin quand il l’avait rejointe précipitamment et lui avait confié cette angoisse qui depuis quelques semaines ne le lâchait plus : chaque nuit, il sentait une main, à la peau grise et froide, effleurer ses rêves…

 

Caro Mennesson - Le Pain Perdu, 12 avril 2012


12 avril 2012

Les armes

A cinq ans, il tirait à la carabine dans des stands de forains ; à huit ans, on lui offrait sa première arme à feu : à 10 ans, il s’entraînait en forêt avec son père ; à 14 ans il mettait le canon de sa carabine dans la bouche de sa copine parce que celle-ci ne voulait pas coucher avec lui : à 15 et 16 ans il faisait stage commando sur stage commando pour s’endurcir et à 18 ans il s’ engageait dans l’armée et partait en Irak. A 20 ans, il avait totalisé 225 tués ; un record. Quand il rentra, on le décora pour services rendus à la patrie. A 25 ans, il massacra 25 étudiants sur un campus américain et il se donna la mort.

PS : Un petit coup de pub pour la revue « lu si », chapeautée par Caro-carito. Si vous souhaitez la lire en PDF, vous abonner ou participer,  c'est ici.


11 avril 2012

Les photos

A chaque voyage, il se faisait prendre en photo sous toutes les coutures, de dos, de face, de profil, de trois quart, en gros plan, en plan américain, en plan d’ensemble. Et quand on lui demandait pourquoi toutes ces photos devant des monuments divers et variés, il répondait invariablement.
- J'aime bien savoir l'image que j'ai à travers le regard des gens, parce que moi,  je  peux pas me juger par moi-même…
Et effectivement, ses 200 amis sur Facebook lui faisaient savoir ce qu’ils pensaient de lui, de face, de profil, de trois quart, en gros plan, en plan américain, en plan d’ensemble.

10 avril 2012

Le fromage

IMG_3938[1]Elle déambulait dans ce marché flamand à la recherche de quelque chose  de typique – elle aimait ce qu’elle supposait être typique -  et soudain elle avait hurlé à l’adresse de son mari
- Non, mais tu l’as vu ?
- Non, quoi ? Répondit celui-ci qui flottait toujours en apesanteur entre monde réel et rêvé.
Elle lui répondit exaltée.
- Ce fromage ! C’est dingue !
Comme d’habitude il ne voyait pas ce qu’il y avait de  « dingue » dans ce qu’elle lui montrait, juste un fromage comme tous les fromages français, sauf que celui-ci était flamand, orange et de belle taille. Une taille d’ailleurs qui avait une vague ressemblance avec celle que prenaient les hanches de sa femme avec la ménopause. Mais ça, il ne le lui dit pas.
Comme d’habitude elle prit la photo sous plusieurs angles -  au cas où - et comme d’habitude il disparut dans la foule afin d’ éviter les commentaires qu’elle  lui ferait  immanquablement sur tel ou tel problème technique dont il se moquait éperdument.
Son pur esprit, épris d’abstraction,  supportait difficilement ses remarques prosaïques…

PS : photo prêtée par JCD et prise à Anvers, en mars 2012

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